01/05/2023 mondialisation.ca  6 min #227874

Les États-Unis relancent la production des composants clés de bombes nucléaires

Par  Alexandre Lemoine

La production de composants clés pour la fabrication de « garnitures » pour les ogives nucléaires reprend aux États-Unis pour la première fois depuis 1989.

La reprise de la production de noyaux de plutonium a été annoncée par Jill Hruby, administratrice de la National Nuclear Security Administration (NNSA), lors d’une audition devant le comité sénatorial des forces armées.

L’administration de Joe Biden demande 18,8 milliards de dollars pour le développement d’armements, ce qui représente une augmentation de 10% par rapport aux dépenses de l’année précédente,  note le journal britannique Independent. Près d’un tiers de cette somme, 5,6 milliards de dollars, est demandé pour la modernisation des armements au profit de la triade nucléaire américaine (bombardiers stratégiques, missiles balistiques intercontinentaux et sous-marins nucléaires capables d’embarquer des armes nucléaires).

Il est prévu de déployer la production de nouveaux noyaux de plutonium, entre autres, dans le plus ancien centre de technologies nucléaires – le laboratoire de Los Alamos dans l’État du Nouveau-Mexique, qui fonctionne depuis l’époque du projet Manhattan. Los Alamos prévoit de produire 30 noyaux par an. Le laboratoire national de Savannah River en Caroline du Sud devrait également produire 50 de ces composants clés de l’ogive nucléaire chaque année.

En résumé, les États-Unis pourraient théoriquement obtenir jusqu’à 80 bombes nucléaires par an.

Cependant, le congrès est mécontent quant au fait que la reprise de la production de composants pour les armes nucléaires soit constamment retardée. Savannah River n’atteindra sa capacité de production qu’en 2030, et le centre de Los Alamos ne pourra reprendre la production de noyaux de plutonium qu’en 2026.

L’augmentation des dépenses pour la production de nouvelles ogives est nécessaire en raison de la « situation instable dans le monde », a déclaré Jill Hruby, s’adressant aux sénateurs et aux membres de la Chambre des représentants. Elle a précisé qu’il était question du développement d’armes hypersoniques par la Russie.

Washington est froissé, Moscou a sérieusement devancé les États-Unis dans le développement et la mise en service d’armes hypersoniques avancées. En mars, le Washington Post  a noté que l’utilisation par la Russie de missiles hypersoniques Kinjal avait de nouveau suscité l’inquiétude, car les États-Unis et leurs alliés ne disposent pas d’armes aussi difficiles à intercepter. Selon les experts, le missile Kinjal peut embarquer à la fois des ogives nucléaires et non nucléaires.

S’adressant aux membres du congrès, Mme Hruby a également mentionné sa préoccupation concernant les capacités croissantes de la Chine (qui, selon le Pentagone, devance également les États-Unis en matière d’armement hypersonique) et la situation instable autour de la Corée du Nord et de l’Iran.

« Nous devons ajuster nos estimations des dépenses, reporter le lancement de grands projets supplémentaires et trouver des moyens innovants de les mettre en œuvre », rapporte Independent se référant à la déclaration de la chef de la NNSA.

La volonté des États-Unis de renouveler leur arsenal nucléaire est liée à l’expiration en 2026 du traité de réduction des armes offensives New Start. Étant donné l’état des relations russo-américaines, il est fort probable qu’aucun nouveau traité ne soit signé, ce qui offre à la Russie la possibilité de produire de nouvelles armes.

Le programme de modernisation du potentiel nucléaire américain est prévu sur 20 ans. Si les États-Unis parviennent à produire 80 noyaux de plutonium par an, ils pourront considérablement renouveler leur arsenal nucléaire au cours des 20 prochaines années.

Les États-Unis prévoient une large modernisation de leur triade stratégique, ainsi que la production d’armes nucléaires tactiques – des bombes B61-12, qui peuvent être installées sur des chasseurs. En ce qui concerne les forces stratégiques, les États-Unis sont en train de concevoir de nouveaux missiles à longue portée AGM-181 LRSO, pour lesquels de nouvelles ogives seront nécessaires.

Les États-Unis ne cherchent pas à « concurrencer » la Russie mais mettent à jour leur arsenal nucléaire en raison de l’apparition possible de nouveaux missiles russes.

La situation pour les États-Unis est compliquée par le fait qu’en plus de la Russie, la Chine perfectionne elle aussi activement ses missiles. En fait, les États-Unis doivent mener une politique de dissuasion nucléaire à l’égard de deux superpuissances, ce qui nécessite une augmentation encore plus importante de la production d’armes offensives.

Il est à noter qu’en parallèle avec les projets de production d’armes nucléaires offensives aux États-Unis, des plans sont élaborés pour déployer des éléments de leur triade nucléaire pour dissuader la Chine.

Le 26 avril, il a été annoncé que les États-Unis pourraient déployer des vecteurs d’armes nucléaires en Corée du Sud: des bombardiers stratégiques et des sous-marins. Comme  l’a précisé CBS, il s’agit de l’entrée de sous-marins nucléaires dans les ports sud-coréens, mais pas du déploiement d’armes nucléaires sur le territoire de l’allié. La décision a été prise à la suite d’une rencontre entre le président américain Joe Biden et son homologue sud-coréen, Yoon Suk-yeol. L’objectif de Washington dans la région consiste à contenir la Corée du Nord et ses alliés chinois.

Si une telle décision est prise, cela marquera un retour, même partiel, à la situation de la guerre froide: de 1958 à 1991, les Américains stockaient des armes nucléaires tactiques en Corée du Sud.

Même si les informations des médias américains sur l’envoi d’armes supplémentaires en Corée ne se confirmeront pas, le simple fait de leur publication peut témoigner d’une sérieuse inquiétude des États-Unis concernant la situation dans la région. Dans une situation où les États-Unis sont en confrontation avec la Russie et où, dans un avenir proche, ils seront confrontés à la montée en puissance militaire de la Chine, Washington se retrouve progressivement pris entre deux feux.

Alexandre Lemoine

La source originale de cet article est  Observateur continental

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