07/05/2023 dedefensa.org  7min #228122

 La multipolarité et la montée des États civilisationnel

Recherche civilisation(s), de toute urgence

 Ouverture libre

Recherche civilisation(s), de toute urgence

• Nous sommes au constat de la fin de la soi-disant "civilisation occidentale" et donc en attente d'une nouvelle civilisation. • Les pays du Sud-Global nous proposent la notion d'"État-civilisation". • L'émergence de cette notion comme celle du Sud-Global est évidente depuis le début du conflit ukrainien. • Résumé de la situation et de la révolution : le 24 février 2022, « la Russie a été isolée par l'Occident [et] l'Occident a été isolé par les autres... » • Cette formule heureuse est du professeur chinois Weiwei dont nous présentons le texte.

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C'est peut-être le signe ultime du chaos, – lorsque le terme est pris dans son sens de "désordre créateur", – que cette démarche de plus en plus affirmée de la recherche d'une, ou de plusieurs civilisation(s). Le meilleur exemple à cet égard, au-delà de la querelle géopolitique de l'unipolarité contre et vers la multipolarité, est l'usage de plus en plus fréquent qui est fait de l'expression "État-civilisation".

C'est un passage intéressant de la notion d'"État-nation" à celle d'"État-civilisation". L'expression est toute-récente selon la définition qu'en donne "L'Encyclopédie alternative" ‘ Metapédia' :

« L'État-civilisation (‘civilization state') est un concept apparu au cours des années 1990 et décrivant au départ la situation de la Chine et de la Russie. Il vise des États pouvant, en s'appuyant sur leur culture et leur histoire de longue durée, constituer une sphère d'influence allant au-delà de leur territoire national ou de leur groupe ethnolinguistique. L'État-civilisation est présenté comme étant appelé à prendre le dessus sur le modèle occidental de l'État-nation qui serait périmé. Cette notion peut également s'appliquer à l'Inde, à la Turquie et à l'Iran. »

Bien entendu et on l'a compris avec cette définition, ce sont les théoriciens des grands pays du "Sud-Global" qui ont mis en avant cette notion, comme ils avancent la multipolarité au lieu de l'unipolarité. Cette démarche fait partie de leur arsenal conceptuel pour faire avancer la bataille lancée sur le champ de guerre par la Russie, avec l'attaque de l'Ukraine qui a rapidement morphé, pour ainsi dire sous nos yeux, en une attaque contre l'ordre occidental rapidement circonscrit à la notion implicitement méprisante d'"Occident-collectif". Comme l'observe avec finesse le professeur chinois Zhang Weiwei, professeur de relations internationales à l'Université Fudan de Shanghai, l'auteur du texte ci-dessous :

« La Russie a été isolée par l'Occident [et] l'Occident a été isolé par les autres... Si l'opération militaire russe en Ukraine est controversée, l'un des objectifs avoués de la Russie est de transformer l'ordre mondial unipolaire dirigé par les États-Unis en un ordre mondial multipolaire, et cet objectif est largement soutenu ou du moins compris par le monde non occidental. »

... Nous disons bien "avec finesse" de cette observation du professeur Weiwei parce qu'effectivement, elle décrit un subtil mais fantastique changement d'une opération militaire que l'on ne peut plus cantonner à la boue du champ de bataille ni aux stratèges de Zelenskistan et à leurs opérateurs de Washington. Donc, le professeur Weiwei nous explique ce qu'est un "État-civilisation" et, finalement et même aussitôt, on découvre qu'il n'y a rien de bien nouveau. On sait depuis longtemps que la Chine est une vieille "civilisation millénaire", et la même chose pour l'Inde, pour l'Iran, pour la Turquie et même pour la Russie (les cinq pays cités dans la définition). Mais il y a une grande différence dans le regard que l'on porte aujourd'hui sur la chose, quasiment depuis le 24 février 2022 : en disant "État-civilisation", on met plus, beaucoup plus l'accent sur le terme "civilisation" que sur l'État. Ce regard transmute la démarche. La grande Histoire, la métahistoire reprise jusqu'aux temps anciens est mise à sa place qui est la première, et le traité de Westphalie mis largement en second, plus comme un outil que comme un destin.

Tout cela nous conduit à trois remarques :

• L'"État-civilisation" est sans aucun doute un nouveau concept mais il s'applique à une situation politique, culturelle qui existait déjà avant ce nouveau concept. Cela signifie-t-il qu'il n'y a rien de changé et qu'il suffit d'un nouveau concept pour réaliser un changement aussi important ? Certes non : la signification de la situation qu'on observe a complètement changé, mais ce changement semble bien appeler à d'autres changements, dans des domaines différents.

• C'est sans aucun doute la première fois dans l'histoire connue qu'un changement de "civilisation" est souhaité, appelé sinon "géré" par les discours et la communication, au su et au vu de tous, et en temps réel. En général, les "changements" de civilisation se font (se faisaient ?) dans l'écroulement et la décadence du modèle en place, sans vraiment que cette fin soit annoncée, en général subi sans être précisément identifié. Dans le cas actuel, d'une façon générale, le processus est de plus en plus acceptée comme tel et de plus en plus comme une nécessité à mesure de son avancement du processus. C'est la conséquence de la puissance, du poids et de la vitesse du système de la communication, qui visualise et permet la perception de l'événement en même temps qu'il se fait (sans nécessairement qu'on l'identifie et le comprenne avec sagesse et lucidité, – autre débat). La formule choisie par Philippe Grasset à propos de 11-septembre peut évidemment, doit être évidemment reprise pour décrire cette situation :

« D'abord, il y a ceci : en même temps que nous subissions cet événement d'une force et d'une ampleur extrêmes, nous observions cet événement en train de s'accomplir et, plus encore, nous nous observions les uns les autres en train d'observer cet événement. L'histoire se fait, soudain dans un déroulement explosif et brutal, nous la regardons se faire et nous nous regardons en train de la regarder se faire. On sait également que ceux qui ont décidé et réalisé cette attaque l'ont fait parce qu'ils savaient qu'existe cet énorme phénomène d'observation des choses en train de se faire, et de nous-mêmes en train d'observer. Le monde est comme une addition de poupées russes, une duplication de la réalité en plusieurs réalités emboîtées les unes sur les autres. » (PhG ‘Chroniques de l'ébranlement', éditions Mols, Bruxelles 2003.)

• D'où l'hypothèse que, si l'on a bien mis en évidence que nous changeons de civilisation, on ne pourra pas pour autant en rester à l'"État-civilisation" tel qu'ici défini géopolitiquement et culturellement... Il nous reste à voir ce qui constitue sans doute l'essentiel, de la mise en place d'un véritable système nouveau, constituant la trame de cette nouvelle civilisation. Nous en revenons, pour ce point, à notre anthième cent fois répétée de la nécessaire fin des USA, et précisément de sa représentation symbolique de l'‘American Dream'. Cette idée est tenace dans notre propos et notre pensée et, le  22 avril 2023, nous reprenions une fois encore ce passage datant du  14 octobre 2009, et qui vaut particulièrement et plus encore pour un "changement de civilisation" :

« L'un des fondements est psychologique, avec le phénomène de fascination – à nouveau ce mot – pour l'attraction exercée sur les esprits par le "modèle américaniste", qui est en fait la représentation à la fois symbolique et onirique de la modernité. C'est cela qui est résumé sous l'expression populaire mais très substantivée de American Dream. Cette représentation donnée comme seule issue possible de notre civilisation (le facteur dit TINA, pour "There Is No Alternative") infecte la plupart des élites en place; elle représente un verrou d'une puissance inouïe, qui complète d'une façon tragique la "fascination de l'américanisme pour sa propre destinée catastrophique" pour former une situation totalement bloquée empêchant de chercher une autre voie tout en dégringolant vers la catastrophe. La fin de l'American Dream, qui interviendrait avec un processus de parcellisation de l'Amérique, constituerait un facteur décisif pour débloquer notre perception, à la fois des conditions de la crise, de la gravité ontologique de la crise et de la nécessité de tenter de chercher une autre voie pour la civilisation – ou, plus radicalement, une autre civilisation. »

 En attendant la réalisation de ce vaste programme, – mais sans doute à la vitesse de l'éclair, comme tout se fait aujourd'hui, – voici le texte du professeur Zhang Weiwei, de l'Université Fudan de Shanghai (en  français, traduit de  l'original). Il s'agit de la communication que cet universitaire a faite lors de la conférence mondiale sur la multipolarité du 29 avril 2023, – où nous notons avec intérêt, mais sans aucunement nous faire la moindre illusion, qu'il a réussi à retenir quelque chose d'intéressant des pirouettes de Macron-en-Chine.

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