11/05/2023 euro-synergies.hautetfort.com  5min #228359

Steuckers et une certaine Russie: sur les traces du phylum russe

 Steuckers et une certaine Russie

Georges FELTIN-TRACOL

Le conflit entre la Russie et l'Ukraine fait rage aux confins de l'Europe. Les belligérants produisent une désinformation massive qui brouille la réalité et corrompt les faits. Esprit libre à la polyglossie avertie d'où des lectures riches, variées et pertinentes, Robert Steuckers étudie depuis des décennies sur une généalogie intellectuelle de la pensée russe.

On trouve une part non négligeable de ce travail permanent dans un recueil passionnant intitulé Pages russes

Contre l'Occident US !

Il est en revanche avéré que Robert Steuckers n'apprécie pas l'OTAN, ce bras armé de l'Occident planétaire américanomorphe, grand pourvoyeuse de drogues. Cette organisation poursuit depuis 1949 - 1950 les tristement célèbres Guerres de l'opium (1839 - 1856) contre l'Empire chinois. ""Internationaliste" dans son essence, elle prend le relais d'un internationalisme inégalitaire, né de l'idéologie interventionniste du One World

Vue de Vladikavkaz.

De retour de son voyage en Chine, le président français Emmanuel Macron qui tente par ailleurs de trouver un terrain d'entente viable entre Russes et Ukrainiens, a récusé toute confrontation entre l'Occident et la Chine. Cette remarque de bon sens a suscité la colère de Donald Trump. L'ancien président étatsunien a accusé le locataire de l'Élysée de " lécher le cul de la Chine ". Sans être aussi grossiers, Polonais et Baltes ont eux aussi condamné la sortie présidentielle, montrant qu'ils adoraient bouffer le derrière de l'Oncle Sam. Quant à la Hongrie, elle a tenu au contraire à saluer les propos du dirigeant français.

L'actuelle agitation autour de la réforme adoptée des retraites et la forte impopularité que connaît Emmanuel Macron ne seraient-elles pas en partie attisées par des officines atlantistes ? Leur influence sur les syndicats de l'Hexagone, en particulier FO, est en effet indéniable...

La littérature russe, reflet d'une sociologie

Robert Steuckers examine avec précision non pas l'" âme russe ", ce cliché pseudo-psychologisant éculé, mais le phylum d'un univers mental moins ordonné qu'on ne l'imagine. Ainsi s'intéresse-t-il à la nouvelle génération littéraire qui émerge à la fin de l'Union Soviétique. Chef de file d'une école qui promeut la paysannerie et l'écologie, Valentin Raspoutine combat le mirage libéral dans une œuvre guère connue en Occident. " Raspoutine et les ruralistes défendent le statut mythique de la nation, revalorisent la pensée archétypique, réhabilitent l'unité substantielle avec les générations passées. " En recensant l'essai prodigieux Le communisme comme réalité

L'auteur revient sur la vie, le parcours et les écrits d'Alexandre Soljénitsyne. Ce dernier prononce, le 25 septembre 1993, un vibrant discours d'hommage à la Vendée martyrisée deux siècles plus tôt. Le dissident souligne que " les racines criminelles du communisme résident in nuce

Sur le plan intérieur, Robert Steuckers analyse l'œuvre exigeante de Dostoïevski, " idéologue génial de la "slavophilie" voire du panslavisme " à travers les idées de Chatov qui offrent au populisme russe (narodnikisme

Diplomatie manquée et impératif confédéral

Joseph Staline agit sur le plan international en dirigeant réaliste. Est-ce la raison qui l'incite à décliner à la fin de l'année 1940 le projet ambitieux de " quadripartite " avec les signataires du Pacte Tripartite (Allemagne, Italie et Japon) ? Cette grande alliance aurait modifié la donne géopolitique avec " une URSS qui aurait pris le relais de l'Angleterre en Perse, en Afghanistan, au Pakistan (voire aux Indes) et une Grande-Allemagne maîtresse du reste de l'Europe [qui]

Robert Steuckers insiste sur l'impossibilité en Europe centrale et orientale de faire coïncider le peuple et l'État. En décembre 1942, le gouvernement polonais en exil à Londres, dans le but de neutraliser les velléités expansionnistes allemandes et soviétiques, " propose la création de deux "unions fédérales" dans l'Est de l'Europe centrale. La première regrouperait la Tchécoslovaquie, la Pologne, la Lituanie, la Hongrie et la Roumanie et la seconde, la Yougoslavie, la Grèce, la Bulgarie et l'Albanie (voire la Turquie) ". Dès l'immédiat après-Seconde Guerre mondiale, le Yougoslave Tito cherchera pour sa part à créer une " fédération balkanique " autour de la Yougoslavie avec l'adhésion de l'Albanie, de la Bulgarie et de la Grèce. La défaite des communistes grecs et la rivalité entre le maréchal yougoslave et l'Albanais Enver Hodja ruineront ce plan qui aurait résolu les irrédentismes croate, bosniaque, albanais, musulman et macédonien...

Robert Steuckers fustige enfin qu'" en Occident, l'ignorance du mode "ethniste" de pratiquer la politique dans l'Est de l'Europe centrale demeure une triste constante. Personne ne se rend compte qu'on y raisonne en termes de "peuples" et non en termes juridiques et individualistes ". Cette méconnaissance crasse ne doit pas stériliser les initiatives. Au contraire, " l'idée d'une confédération

D'une érudition exceptionnelle, Robert Steuckers va volontiers à l'encontre des bouffons du savoir, " les amateurs de terribles simplifications, les spécialistes de l'arasement programmé de tous les souvenirs et de tous les réflexes naturels des peuples ". En Européen convaincu, il prévient surtout que " construire la "maison commune", c'est se mettre à l'écoute de l'histoire et non pas rêver à un quelconque monde sans heurts, à un paradis artificiel de gadgets éphémères ", surtout quand les bases initiales n'existent toujours pas.

[• Robert Steuckers, Pages russes, Éditions du Lore, 2022, 398 p., 30 € (pour toute commande:  ladiffusiondulore.fr]

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