23/05/2023 infomigrants.net  5 min #228853

« En finir avec les bidonvilles » : à Mayotte, les habitants confrontés à l'opération Wuambushu

L'opération Wuambushu a débuté lundi 22 avril avec la démolition du bidonville de « Talus 2 ». Crédit : Lola Fourmy pour InfoMigrants

La nuit a été courte sur l'île de Mayotte. Dès 6h du matin, lundi 22 mai, les premiers camions de gendarmerie ont débarqué dans le bidonville de « Talus 2 », dans le quartier de Majicavo sur la commune de Koungou (nord-est), selon le journaliste Louis Witter présent sur place.

Vers 7h, les forces de l'ordre, équipées de pieds de biche et de masses, ont ouvert une à une les portes des abris informels pour vérifier que personne ne s'y trouvait. Une demi-heure plus tard, le ballet des pelleteuses a débuté, fracassant les murs des habitations et écrasant la tôle dans un bruit métallique sourd.

7H35, le premières cases en tôles sont détruites
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« À Mayotte, ce matin, le volontarisme politique paye : nous continuons la destruction des bidonvilles, dans lesquels habitaient de nombreuses familles dans des conditions indignes, en proposant des relogements », a tweeté Gérald Darmanin, lundi.

La destruction du quartier de « Talus 2 » est la vitrine de  l'opération Wuambushu, voulue par le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, pour réduire l'habitat insalubre, lutter contre la délinquance et expulser les migrants en situation irrégulière, pour la plupart venus de l'archipel voisin des Comores. Un demi-millier de policiers et gendarmes français ont été mobilisés pour l'occasion.

Cette action était quasiment au point mort depuis son lancement il y a près d'un mois. Prévue initialement le 25 avril,  la démolition de « Talus 2 » avait été suspendue par le tribunal administratif de Mayotte. Mais  deux nouvelles décisions de justice ont finalement donné raison à l'État, la dernière datant de mercredi.

« On trouvera un endroit pour dormir dehors provisoirement »

Le « décasage » de « Talus 2 », qui mobilisait lundi environ 200 personnes, dont 150 gendarmes, « devrait durer toute la semaine », a indiqué à l'AFP Psylvia Dewas, chargée de la résorption de l'habitat illégal à la préfecture de Mayotte.

Les services de l'État ont dénombré « 162 cases à démolir » dans ce bidonville, a précisé le préfet, Thierry Suquet.

Les dernières habitantes quittent leur logement et emportent leurs biens alors que les gendarmes investissent « Talus 2 » en vue de sa destruction, le 22 mai 2023. Crédit : Lola Fourmy pour InfoMigrants

Plusieurs personnes avaient, dès dimanche, détruit elles-mêmes leurs habitations. « Ça, c'est ma maison. J'ai cassé moi-même ma maison parce que le préfet a cassé ma vie », a dit un homme âgé au journaliste Cyril Castelliti, en reportage à Mayotte. L'homme, de nationalité française, a reçu une proposition de relogement.

Abdou est Francais et vit depuis 30 ans à Talus 2. Malgré des procédures encourageantes pour régulariser sa parcelle, son combat judiciaire a échoué. Aujourd’hui, Il préfère détruire lui-même sa maison avant l’arrivée des bulldozers de #Wuambushu

Mais comme beaucoup d'autres, il a refusé en raison notamment de l'éloignement géographique. « On nous donne une maison mais de l'autre côté de l'île », s'est plaint un autre habitant à France 24. « Il vaut mieux qu'on reste ici. Avec les enfants et la famille, on trouvera un endroit pour dormir dehors provisoirement ».

Marteau et pince coupante à la main dimanche pour démonter la tôle de sa case, Ahmed Daoud, 50 ans, avait raconté à l'AFP que les autorités lui avaient proposé un relogement à Chembenyoumba, à l'autre bout de l'île. « Je préfère qu'on reste ici, que les enfants continuent d'aller à l'école. On peut dormir sur la terrasse », soupirait cet homme de 50 ans, en situation régulière à Mayotte.

Les personnes relogées ne semblent pas non plus satisfaites. Un homme montre à un journaliste de l'AFP sa nouvelle habitation. « Je l'ai pris mais ce n'est pas un logement. Il n'y a pas de pièces, regardez ! Comment je vis ici avec ma femme et mes enfants ? Où est-ce qu'on dort ? », s'emporte-t-il devant la porte.

Selon le préfet, « la moitié des familles qui vivaient à dans ce quartier »ont été relogées« .

Des habitants en larmes

Au total, les autorités prévoient de détruire un millier de logements insalubres à Mayotte sur plusieurs mois, dans une quinzaine de zones.

 »L'objectif est d'en finir avec les bidonvilles à Mayotte« , a martelé Thierry Suquet, décrivant »une situation insupportable« pour les personnes qui habitent dans ces quartiers, »dont la vie est en danger« .

Le préfet a défendu la politique »équilibrée« de l'État, qui, selon lui, permettra »aux Français qui vivent dans ces conditions-là et aux étrangers en situation régulière« d'avoir »un hébergement adapté« .

Sur les 350 000 habitants estimés de Mayotte, la moitié n'a pas la nationalité française. Seul un tiers des habitants des quartiers insalubres la possède.

Les pelleteuses rasent le bidonville »Talus 2« , à Majikavo, au nord-est de Mayotte. Environ 400 personnes vivaient dans ce quartier informel. Crédit : Lola Fourmy pour InfoMigrants

Cette opération est un crève-cœur pour les habitants du bidonville, dont beaucoup y vivent depuis des années. Fatima Youssouf, l'une des doyennes du quartier, a attendu le dernier moment pour quitter sa maison en dur, dans laquelle elle a »investi toutes ses économies« .

Son mari, mahorais, qui travaille pour la société de démolition Tetrama, a été mobilisé pour l'opération. Devant la maison de sa mère, il a perdu connaissance avant d'être évacué vers l'hôpital.

Zenabou Souffou, qui habite »Talus 2« depuis 25 ans, a raconté à l'AFP avoir vu grandir ses sept enfants dans ce quartier. Elle était lundi matin en larmes devant les engins de chantier qui détruisaient les structures en bois des »bangas« , les cases locales.

Même état d'esprit pour cette habitante de nationalité française, au micro du journaliste Cyril Castelliti : »Ça fait mal, j'ai pleuré, mon petit frère est en train de pleurer. J'ai grandi là. Depuis que je suis née, je suis là. C'est ça l'avenir de Mayotte ? Après, ils vont dire qu'il y a des délinquants alors que c'est à cause d'eux !« 

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