26/05/2023 dedefensa.org  8 min #229003

Contre-offensiver la contre-offensive

La contre-offensive et la réélection de Biden

Andrew Korybko

Le principal conseiller présidentiel ukrainien, Mikhail Podolyak, a déclaré  à un média italien que la contre-offensive  tant annoncée de son pays avait déjà commencé il y a quelques jours, ce qui est curieux puisque ce délai coïncide avec l'invasion par procuration de la région russe de Belgorod, qui n'était qu'un  simulacre destiné à détourner l'attention de la  perte d'Artyomovsk. Ce coup d'éclat médiatique n'a toutefois pas permis d'obtenir des résultats tangibles, ce qui soulève plus que jamais la question de savoir si la contre-offensive sera couronnée de succès.

En mars, le  Washington Post a attiré l'attention sur la piètre performance des troupes de Kiev dans la guerre par procuration entre l'OTAN et la Russie. Un mois plus tard,  Politico a cité des responsables anonymes de l'administration Biden qui s'inquiétaient des conséquences d'une contre-offensive qui ne répondrait pas aux attentes de l'opinion publique. L'ancien champion d'échecs russe Garry Kasparov a ensuite concocté  une théorie du complot selon laquelle des agents du Kremlin auraient infiltré la Maison Blanche et saboté la contre-offensive avant même qu'elle ne commence.

Cette figure populaire pro-Kiev semble avoir été effrayée par le président de la commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, Michael McCaul, qui a  déclaré à Bloomberg : « Je pense que cette contre-offensive va peser lourd dans la balance. Si l'Ukraine réussit aux yeux du peuple américain et du monde, je pense que cela changera la donne pour la poursuite du soutien. Si elle échoue, cela aura également un impact, mais négatif dans ce cas ». En d'autres termes, son échec pourrait conduire les États-Unis à réduire considérablement leur aide à Kiev.

C'est là que se trouve la véritable raison pour laquelle la contre-offensive se poursuit malgré la probabilité écrasante d'insuccès qui a été détaillée au cours des mois précédents par le Washington Post et Politico. La réélection de Joe Biden dépend du succès de cette campagne, alors que l'OTAN a déjà envoyé à Kiev plus de 165 milliards de dollars d'aide fournie par les contribuables, dont la grande majorité provient des États-Unis. Biden a besoin de tout ce que ses responsables de la communication peuvent faire passer pour une victoire afin de justifier cette décision avant les élections de l'année prochaine.

Il ne s'agit pas seulement d'apaiser les contribuables dans ce conflit de plus en plus partisan, qui voit un nombre croissant de républicains appeler à plus de pragmatisme et de retenue, contrairement à leurs rivaux démocrates qui restent déterminés à aller jusqu'au bout, aussi longtemps qu'il le faudra. Biden a présidé à l'échec militaire la plus humiliant de l'histoire des États-Unis avec l'évacuation chaotique de l'Afghanistan en août 2021, qui s'est soldée par l'abandon d'un grand nombre d'Américains et d'habitants alliés à un sort inconnu.

Lui et son équipe se moquent de savoir combien de dizaines de milliers d'Ukrainiens devront être sacrifiés dans ce conflit, tant qu'ils peuvent obtenir quelque chose que les démocrates pourront déformer en disant que le conflit le plus important sur le plan géostratégique depuis la Seconde Guerre mondiale valait la peine d'être provoqué. La plupart des Américains considèrent qu'un raid raté en Russie et  une tentative d'assassinat infructueuse contre le président Poutine ne valent pas le risque d'une troisième guerre mondiale par erreur de calcul.

Après 15 mois de combats, Kiev n'a réussi à reconquérir qu'une petite partie du territoire [pris par les Russes], ce qui n'est pas très impressionnant si l'on considère qu'elle bénéficie du soutien total de ce que les États-Unis présentent comme étant l'alliance militaire la plus puissante de l'histoire. La « course à la logistique »/« guerre d'usure » que le secrétaire général de l'OTAN a déclaré en février mener contre la Russie a prouvé par inadvertance que le complexe militaro-industriel russe peut rivaliser avec celui de l'Occident tout entier.

Cela a porté un coup involontaire à la réputation de superpuissance militaire de ce nouveau bloc de facto de la guerre froide et a également discrédité leur discours de guerre de l'information selon lequel l'économie russe est en train de s'effondrer. Fin janvier, le New York Times a admis que les sanctions occidentales  avaient échoué, puis, fin février, après la déclaration spectaculaire du chef de l'OTAN, qu'elles n'avaient pas  non plus réussi à isoler la Russie.

Les faits susmentionnés font déjà passer M. Biden  pour un imbécile ayant provoqué ce conflit, qui n'a fait que prouver à quel point l'influence et le pouvoir des Etats-Unis  se sont réduits ces dernières années, mais il apparaît encore plus malheureux si l'on considère la situation dans son ensemble. Le chancelier allemand Olaf Scholz, l'ancien membre du Conseil national de sécurité des États-Unis Fiona Hill et le président des affaires mondiales de Goldman Sachs Jared Cohen ont tous reconnu au début du mois de mai que la multipolarité était désormais une réalité géopolitique à la suite de ce conflit.

Seuls l'administration Biden et les propagandistes alliés à l'étranger continuent de le nier, ce qui accroît encore la pression sur leurs mandataires à Kiev pour qu'ils obtiennent quelque chose de tangible au cours de leur contre-offensive, qu'ils pourront ensuite présenter comme ayant justifié la provocation de ce conflit. Le temps presse également, puisqu'il existe un consensus de plus en plus large à travers le monde sur le fait qu'il s'agit du « dernier baroud d'honneur » de leur camp avant le début probable d'un cessez-le-feu et de pourparlers de paix d'ici la fin de l'année ou au plus tard au début de l'année 2024.

La crise militaro-industrielle de l'Occident limitera inévitablement le rythme, l'ampleur et la portée de l'aide armée à Kiev, sans parler de la saison électorale américaine qui verra ce conflit faire l'objet d'une politisation sans précédent. Au lieu d'admettre sobrement les lacunes de son camp et d'essayer de manière proactive de parvenir à une sorte d'accord de paix qui pourrait ensuite être exploité comme prétexte pour lui permettre de remporter le prix Nobel de la paix et d'améliorer ainsi ses chances de réélection, Joe Biden parie contre les chances de succès de la contre-offensive.

Même le président de l'état-major interarmées, Mark Milley, a prévu fin janvier qu'il serait probablement impossible pour Kiev de déloger la Russie de tout le territoire qu'elle revendique comme sien d'ici cette année, ce qui signifie que Biden et son équipe tentent de prouver que le plus haut responsable militaire des États-Unis a tort. Cela confirme qu'ils donnent la priorité à la politique plutôt qu'aux conseils militaires, accréditant encore plus l'idée que cette contre-offensive a pour seul objectif la réélection de Biden et non le retour de la Russie à ses frontières d'avant 2014.

Si elle n'atteint pas cet objectif maximal, comme le prévoient Milley et les médias américains cités plus haut, les républicains se jetteront à juste titre sur Biden pour l'accuser de préparer le pire conflit depuis la Seconde Guerre mondiale, dans une tentative désespérée de se faire réélire en détournant l'attention de sa perte humiliante en Afghanistan. Dos au mur, on ne peut exclure que son équipe lui conseille une escalade jusqu'à des niveaux impensables, même si les missiles hypersoniques russes l'empêcheront probablement de franchir l'ultime ligne rouge.

Quelle que soit la solution retenue, il n'y a pratiquement aucune chance que la contre-offensive de Kiev réponde aux attentes de l'opinion publique occidentale, sauf en cas de ' black swann', ce qui signifie que Joe Biden se présentera aux élections avec deux défaites à son actif, en Afghanistan et en Ukraine. Il est difficile d'imaginer que les Américains lui donneront, ainsi qu'à son équipe, quatre années supplémentaires de mandat après avoir humilié les États-Unis à ce point, mais des dizaines de milliers de personnes pourraient encore mourir avant que ces bellicistes ne soient écartés du pouvoir.

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