06/10/2023 infomigrants.net  4min #234958

Le Pakistan veut expulser plus d'un million d'Afghans vivant dans le pays

Les Afghans vivant au Pakistan se terrent de peur d'être arrêtés et renvoyés dans leur pays. Crédit : DR

C'est une mesure qui a de quoi inquiéter des dizaines de milliers d'Afghans ayant fui leur pays pour se réfugier au Pakistan. Ceux vivant illégalement dans le pays ont jusqu'au 1er novembre pour quitter le Pakistan, a annoncé mardi 3 octobre à la presse le ministre pakistanais de l'Intérieur, Sarfraz Bugti. "S'ils ne partent pas (...) alors toutes les agences de maintien de l'ordre au niveau des provinces et du gouvernement fédéral seront utilisées pour les déporter", a-t-il ajouté.

Selon les derniers chiffres de l'ONU, le Pakistan compte aujourd'hui quelque 1,3 million de réfugiés afghans dûment enregistrés, et 880 000 disposant du droit de rester dans le pays. Mais d'après Sarfraz Bugti, environ 1,7 million d'autres Afghans résident de manière illégale au Pakistan.

Selon l'agence de presse officielle APP, citant des sources gouvernementales, le gouvernement aurait même l'intention de contraindre tous les Afghans, y compris ceux en situation régulière, à quitter le Pakistan.

"La plupart des Afghans ne sortent pas de chez eux, ils ont trop peur d'être arrêtés par la police", témoigne à InfoMigrants Zahir Pashtoon, le représentant des réfugiés afghans dans la région pakistanaise du Baloutchistan.

"Harcèlement"

La réaction des autorités afghanes n'a pas tardé. L'ambassade à Islamabad a dénoncé une mesure relevant du "harcèlement". Dans un communiqué publié sur X (ex-Twitter), la représentation diplomatique afghane a indiqué que plus d'un millier de ressortissants afghans avaient été arrêtés ces deux dernières semaines au Pakistan, dont la moitié étaient, selon elle, en situation régulière. Des propos confirmés par Zahir Pashtoon. "L'opération de la police et les arrestations ont commencé contre les sans-papiers", affirme-t-il.

Des Afghans franchissant la frontière pour entrer au Pakistan. Crédit : Picture alliance

Le lendemain, c'est le porte-parole du gouvernement taliban, Zabihullah Mujahid, qui a réagi. Ce dernier a jugé "inacceptable" le "comportement du Pakistan envers les réfugiés afghans". Ils "n'ont rien à voir avec les problèmes sécuritaires du Pakistan", a-t-il asséné.

Le ministre pakistanais de l'Intérieur a justifié sa décision en affirmant que des citoyens afghans étaient responsables de 14 des 24 attaques suicides commises au Pakistan depuis janvier. Le pays fait face ces derniers mois à une recrudescences des attentats sur son territoire, commis principalement par les Taliban pakistanais du Tehreek-e-Taliban Pakistan (TTP). Islamabad accuse les autorités afghanes de fournir une base arrière au TTP. Kaboul dément ces accusations.

Une "décision conforme à la pratique internationale"

Interviewé par la chaîne Phoenix TV de Hong Kong, en marge d'un forum au Tibet, le ministre pakistanais des Affaires étrangères a, lui aussi, défendu jeudi la mesure controversée. "Aucun pays n'autorise les personnes illégales à vivre dans son pays, que ce soit en Europe, en Asie ou dans notre voisinage", a déclaré Jalil Abbas Jilani. "Donc, par conséquent, nous avons pris cette décision conformément à la pratique internationale".

Mais plusieurs ONG dénoncent cette décision. C'est le cas notamment d'Amnesty international. Dans un  communiqué publié mercredi, l'ONG "exhorte le gouvernement du Pakistan à poursuivre son soutien historique aux réfugiés afghans en leur permettant de vivre dans la dignité et sans craindre d'être expulsés vers l'Afghanistan, où ils sont persécutés par les Taliban". Elle demande également une meilleure prise en charge. "Les Afghans au Pakistan ont un besoin urgent d'un plus grand soutien, car les obstacles et les retards auxquels ils sont confrontés pour s'enregistrer en tant que réfugiés ou pour être réinstallés dans un pays tiers les ont laissés dans un vide juridique et les ont rendus encore plus vulnérables au harcèlement et à la stigmatisation".

Des millions d'Afghans ont afflué au Pakistan au cours de décennies de guerre en utilisant leur seule carte d'identité comme document de voyage. Beaucoup d'entre eux se sont retrouvés dans des camps avec un accès limité à l'éducation, aux soins et à l'emploi. Un phénomène qui s'est accentué avec le retour au pouvoir des Taliban en Afghanistan, le 15 août 2021.

Selon des estimations, 600 000 Afghans sont arrivés au Pakistan depuis cette date. Nombre d'entre eux cherchent à obtenir l'asile dans des pays occidentaux, mais attendent toujours la délivrance d'un visa par les ambassades concernées.

Les Taliban ont tenté de convaincre les partants de revenir, malgré la crise économique et humanitaire provoquée par l'assèchement de l'aide internationale et l'imposition de sanctions. Des responsables de l'aide humanitaire s'inquiètent de ce rapatriement forcé de grande ampleur, qui aggraverait les problèmes déjà existant en Afghanistan.

"Si dans notre pays les portes des écoles s'ouvraient à tous les Afghans [garçons et filles NDLR] et s'il y avait des opportunités d'emploi, je pense que personne ne resterait au Pakistan. Nous aimons tous notre pays", insiste Zahir Pashtoon.

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