09/11/2023 les-crises.fr  7min #236894

En soutenant la guerre d'Israël, Joe Biden décrédibilise son « ordre mondial fondé sur le droit »

L'une des principales priorités de Joe Biden a été de convaincre un monde sceptique d'adhérer à « l'ordre international fondé sur le droit. » Le soutien qu'il apporte à la guerre de Gaza compromet totalement cet effort.

Source :  Jacobin, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Le président américain Joe Biden après un discours à Tel Aviv, Israël, le 18 octobre 2023, lors de l'assaut en cours sur Gaza. (Brendan Smialowski / AFP via Getty Images)

Depuis que Joe Biden est devenu président, on peut à peine naviguer dans la rhétorique de son administration ou dans la couverture médiatique qui en est faite sans tomber sur l'expression « ordre international fondé sur le droit. » Elle est constamment invoquée dans les discours et les documents importants. Le président s'est explicitement engagé à le reconstruire et à le faire respecter, en persuadant les pays d'adhérer à cet ordre mondial et de s'y conformer. Parallèlement, les États-Unis ont pointé du doigt des adversaires, tels que l'Iran, la Chine et la Russie, qu'ils accusent de menacer ou de saper cet ordre. C'est pourquoi les États-Unis sont si profondément impliqués dans la guerre en Ukraine. C'est pourquoi ils augmentent les tensions avec la Chine au sujet de Taïwan.

Tout cela s'est évaporé avec le soutien quasi inconditionnel de Biden à l'offensive militaire israélienne à Gaza au cours des deux dernières semaines.

Les détracteurs de la politique étrangère américaine ont souvent vu d'un mauvais œil l'utilisation de cette expression par Biden, ses fonctionnaires et ses subalternes. Ils s'interrogent sur la nature réelle de l'ordre « fondé sur le droit » et accusent Washington d'avoir rédigé ces « règles » pour permettre aux États-Unis de faire ce qu'ils veulent. Ils s'interrogent sur le lien éventuel entre ces « règles » et le système de droit international largement établi après la Seconde Guerre mondiale et censé régir le comportement des États, d'autant plus que le gouvernement américain a souvent été le plus grand violeur de ce système. Ils concluent qu'il s'agit d'un concept vague et délibérément insipide qui est constamment invoqué précisément parce qu'il peut signifier, ou ne pas signifier, n'importe quoi.

La décision de l'administration Biden de donner un chèque en blanc au gouvernement d'extrême droite d'Israël pour qu'il déchaîne l'enfer sur Gaza a servi à justifier bon nombre de ces critiques, tout en donnant de nombreuses raisons aux nombreuses personnes qui considèrent le concept avec suspicion ou inquiétude de penser qu'elles avaient raison. Il suffit de considérer ce qu'Israël a fait au cours des deux dernières semaines, avec le soutien politique, militaire et rhétorique du gouvernement américain.

Le gouvernement israélien inflige une punition collective à tous les habitants de Gaza pour les terribles crimes du Hamas, le groupe qui gouverne le territoire. Les responsables israéliens, actuels et anciens, ont ouvertement admis que leur guerre ne visait pas seulement le Hamas, mais les Palestiniens innocents eux-mêmes, et que le siège brutal qu'ils imposent - coupant la nourriture, l'eau et l'électricité à Gaza, de sorte que les hôpitaux sont en panne et que les gens meurent de faim et de déshydratation - visait à rendre la vie intolérable aux civils. Les responsables israéliens, les États occidentaux qui soutiennent leur guerre et les médias occidentaux ont tous justifié cette politique en invoquant la Seconde Guerre mondiale, au cours de laquelle les Alliés ont incontestablement commis des crimes de guerre en bombardant aveuglément des civils, ce qui a en grande partie motivé l'adoption, après la fin de la guerre, des conventions de Genève qui établissent une distinction stricte entre les civils et les combattants.

Au-delà d'un « simple » siège, Israël a mis en place une stratégie de bombardement massif dans la minuscule enclave de Gaza. L'armée israélienne s'est vantée d'avoir largué environ six mille bombes au cours des cinq premiers jours de la guerre. C'est plus que ce que l'armée américaine a largué sur l'Afghanistan pendant la plupart des années de la guerre d'Afghanistan et plus que ce qu'elle a largué en Irak et en Syrie chaque mois pendant la guerre contre l'État islamique. La moyenne quotidienne (1 200) bat le total quotidien le plus élevé de l'invasion irakienne. Les responsables militaires israéliens ont déclaré publiquement qu'ils ne tiraient pas de manière « chirurgicale » et que « l'accent est mis sur les dommages et non sur la précision. »

Étant donné que Gaza ne représente qu'une fraction de la taille de ces pays, il n'est pas surprenant que ces tirs aient déjà causé la mort de près de quatre mille civils palestiniens, dont plus de 1 500 enfants. Human Rights Watch et le Washington Post ont tous deux conclu que les forces israéliennes utilisaient du phosphore blanc dans le cadre de cette campagne, bien que le déploiement de telles munitions soit interdit au niveau international.

L'armée israélienne a également pris pour cible des infrastructures non militaires. Ces derniers jours, elle a bombardé et détruit : une église chrétienne orthodoxe vieille de plusieurs siècles abritant des réfugiés, faisant environ 150 morts ; une école des Nations unies (ONU) où d'autres réfugiés étaient hébergés, faisant six morts, un peu plus d'une semaine après avoir tué onze travailleurs de l'ONU ; des centaines d'immeubles résidentiels et des milliers de maisons ; et un couloir d'évacuation qu'elle avait elle-même désigné comme « route sûre. »

Parallèlement, il y a plusieurs jours, le gouvernement israélien a donné un ordre d'évacuation de vingt-quatre heures aux Palestiniens du nord de Gaza pour qu'ils se déplacent vers le sud en prévision d'une probable invasion terrestre. Des centaines de milliers de Gazaouis ont fui vers le sud, que l'armée israélienne s'est empressée de bombarder à son tour. Il existe un terme pour forcer les gens à fuir leurs maisons en masse sous la menace d'un fusil ou, dans ce cas, d'un avion de chasse : le nettoyage ethnique.

Imaginez un instant que vous êtes un citoyen de n'importe quelle partie du monde que l'administration Biden tente de convaincre d'adhérer à sa rhétorique sur « l'ordre international fondé sur le droit » et sur le besoin désespéré de le défendre. Étant donné que Biden a spécifiquement invoqué cet ordre international pour justifier son soutien à Israël, quelle conclusion pourriez-vous tirer si ce n'est que ces « règles » permettent aux États d'infliger des punitions collectives, d'utiliser la famine comme arme, de bombarder aveuglément les civils et les infrastructures dont ils dépendent, de tuer le personnel de l'ONU et de procéder à un nettoyage ethnique, le tout en toute impunité ?

Cela ne semble pas être un ordre mondial particulièrement bon, ni un ordre que vous voudriez contribuer à restaurer, et encore moins à faire respecter. Tous ces faits, soit dit en passant, sont illégaux au regard du droit international.

En bref, en permettant ce défilé d'atrocités au lieu d'agir de manière responsable et d'encourager un cessez-le-feu (comme l'a fait son prédécesseur démocrate), Biden ne se contente pas de laisser une tache morale sur lui-même, sur sa présidence et sur les États-Unis. Il sape également l'un des principaux objectifs de sa politique étrangère et donne à ses détracteurs de nombreuses munitions, tout en perdant le soutien d'une grande partie du monde à sa stratégie géopolitique.

Pire encore, il est beaucoup plus probable que d'autres États agresseurs bafouent ces lois et ces normes à l'avenir et se livrent à leur tour à d'horribles exactions. Après tout, ils pourront toujours dire qu'ils n'ont fait que suivre le leader de cet « ordre libéral. »

Contributeur

Branko Marcetic est un rédacteur de Jacobin et l'auteur de Yesterday's Man : The Case Against Joe Biden [L'homme du passé : le dossier contre Joe Biden]. Il vit à Chicago, dans l'Illinois.

Source :  Jacobin, Branko Marcetic, 20-10-2023

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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