Ce n'est pas la première fois que les États-Unis utilisent la désinformation pour justifier le ciblage de civils par un allié politique.
Source : Truthout, Stephen Zunes
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Le président américain Joe Biden tient une conférence de presse avec le Premier ministre australien Anthony Albanese dans la roseraie de la Maison Blanche, le 25 octobre 2023, à Washington. DREW ANGERER / GETTY IMAGES
Alors que les attaques terrestres de l'armée israélienne contre Gaza s'intensifient et que le nombre de victimes civiles s'alourdit sous le couvert du black-out de l'information provoqué par les frappes aériennes qui ont mis hors service internet et les systèmes de communication de Gaza, l'administration Biden est de plus en plus isolée au sein de la communauté internationale pour son soutien obstiné aux actes de punition collective d'Israël à l'encontre de la population de Gaza.
Le 27 octobre, l'Assemblée générale des Nations unies a voté à une écrasante majorité une résolution parrainée par la Jordanie, alliée des États-Unis, appelant à un cessez-le-feu. Les États-Unis ont été l'un des 14 pays de l'Assemblée générale, qui compte 193 membres, à voter contre la résolution.
Même les gouvernements arabes conservateurs pro-occidentaux, qui ont normalisé leurs relations avec Israël, ont exprimé leur colère à l'égard d'Israël pour ses attaques contre Gaza, qui ont déplacé plus d'un million de personnes, et à l'égard des États-Unis pour leur soutien au « nettoyage ethnique » d'Israël. Dans une déclaration commune, les dirigeants de l'Union européenne ont demandé des « couloirs et des pauses » dans les efforts de guerre soutenus par les États-Unis afin de permettre l'acheminement à Gaza de l'aide humanitaire dont la population a cruellement besoin.
L'Église catholique, l'Église orthodoxe, l'Église anglicane et la plupart des grandes confessions protestantes se sont prononcées en faveur d'un cessez-le-feu. L'administration Biden s'est toutefois rangée du côté des évangélistes de droite en soutenant la poursuite de l'assaut israélien.
À la suite de l'horrible massacre perpétré par le Hamas, qui a entraîné la mort de 1 400 civils et soldats israéliens au début du mois d'octobre, Israël s'est lancé dans une campagne de représailles qui se traduit par une pluie de crimes de guerre dans la bande de Gaza assiégée. Amnesty International fait état de crimes de guerre majeurs commis par les forces israéliennes soutenues par les États-Unis à Gaza. « Alors que les forces israéliennes continuent d'intensifier leur assaut cataclysmique sur la bande de Gaza occupée, Amnesty International a recueilli des informations sur des attaques israéliennes illégales, y compris des attaques aveugles, qui ont causé des pertes civiles massives et doivent faire l'objet d'une enquête en tant que crimes de guerre. »
Si Israël et le Hamas ont été condamnés dans le monde entier, les autorités de Washington ont largement exempté Israël de toute critique. Outre les milliers de civils tués dans les bombardements, Israël a coupé l'eau, la nourriture, les fournitures médicales, l'électricité et le carburant, entraînant un effondrement du système de santé qui se traduit également par un grand nombre de morts. Les bombardements incessants ont rendu difficile l'entrée des secours par l'Égypte, à l'exception d'un petit nombre d'entre eux.
Depuis sa création, bien avant que le Hamas ne s'empare de Gaza, le ministère palestinien de la Santé s'est forgé une réputation positive auprès des responsables de la santé publique du monde entier, y compris des agences gouvernementales américaines, pour son indépendance et l'exactitude de ses statistiques. Cependant, Biden, se faisant l'écho du président George W. Bush lorsqu'il a nié le nombre effarant de victimes de l'invasion américaine de l'Irak, déclare qu'il n'a « aucune confiance » dans les chiffres fournis par les sources palestiniennes, tout en reconnaissant que « des innocents ont été tués », mais que « c'est le prix à payer pour mener une guerre. »
Le contraste entre l'indignation de l'administration Biden à l'égard de la Russie pour ses attaques contre des cibles civiles en Ukraine et le soutien de l'administration Biden aux attaques israéliennes contre les civils palestiniens est frappant.
Malgré cela, l'administration Biden a clairement fait savoir aux autres membres du Conseil de sécurité des Nations unies qu'elle opposerait son veto à tout appel à un cessez-le-feu. Le 18 octobre, le Brésil a présenté une résolution de compromis qui, en plus de condamner le terrorisme du Hamas, appelait simplement à des « pauses » dans les combats pour permettre l'acheminement de l'aide humanitaire à Gaza. Les États-Unis ont tout de même opposé leur veto, seul vote négatif de cet organe de 15 membres. Les États-Unis ont également tenté en vain de faire adopter une résolution condamnant le Hamas et soutenant le droit d'Israël à « l'autodéfense. »
Pendant ce temps, l'administration Biden, principal soutien international de la guerre d'Israël contre Gaza, fait de son mieux pour dissimuler les atrocités commises. Biden a mis en doute le nombre élevé de victimes civiles, qui s'élève à ce jour à au moins 7 000 personnes, alors que le département d'État s'appuie sur les mêmes sources. Al-Jazeera, l'agence de presse qatarie mais indépendante sur le plan éditorial, est l'une des rares à avoir encore des reporters sur le terrain dans la bande de Gaza qui fournissent des preuves des atrocités israéliennes, de sorte que le secrétaire d'État Antony Blinken a demandé au gouvernement du Qatar de censurer leur couverture.
Comme pour les conflits précédents, Biden et les dirigeants du Congrès tentent d'exonérer Israël de toute responsabilité en affirmant que les Palestiniens sont les seuls responsables des décès palestiniens parce que le Hamas utilise soi-disant des « boucliers humains. » Cependant, lors de leurs enquêtes approfondies sur les précédentes guerres israéliennes contre Gaza, ni Human Rights Watch, ni Amnesty International, ni le Conseil des droits de l'homme des Nations unies n'ont été en mesure de documenter un seul décès palestinien résultant directement de l'utilisation par le Hamas de civils palestiniens comme boucliers humains. Ils ont reconnu le Hamas coupable d'un certain nombre d'autres crimes de guerre graves, mais pas d'avoir maintenu des civils contre leur gré dans une situation dangereuse. Ils n'ont pas non plus trouvé d'exemples d'utilisation de Palestiniens comme boucliers humains par le Hamas dans les combats actuels.
Le nombre de civils tués au cours des 20 premiers jours de bombardements israéliens à Gaza représente déjà plus de la moitié du nombre de civils tués en Ukraine au cours de 20 mois de bombardements russes. Le contraste entre l'indignation de l'administration Biden à l'égard de la Russie pour ses attaques contre des cibles civiles en Ukraine et le soutien de l'administration Biden aux attaques israéliennes contre les civils palestiniens est frappant.
Les crimes du Hamas contre les civils en Israël ne justifient pas plus les bombardements de centres de population civile à Gaza que les crimes du Bataillon Azov contre les Russes ethniques dans la région du Donbass ne justifient les bombardements russes de centres de population civile en Ukraine. Il n'est pas surprenant que des observateurs du monde entier aient souligné la corrélation entre les différentes réactions de l'administration Biden et la couleur de peau des victimes.
Alors que les sondages montrent que la plupart des Américains soutiennent l'aide militaire américaine à l'Ukraine tout en s'opposant à l'aide militaire américaine à Israël, l'administration Biden insiste pour que les programmes d'aide aux deux pays soient mis dans le même sac, obligeant les démocrates progressistes à risquer d'être étiquetés comme ne soutenant pas le droit de l'Ukraine à l'autodéfense contre l'invasion russe tout en s'opposant à ce que les États-Unis facilitent le massacre en cours dans la bande de Gaza. Biden insiste sur le fait que pour fournir des armes à un pays qui résiste à une invasion et à une occupation étrangère, le Congrès doit approuver l'envoi d'armes à un autre pays qui l'envahit et l'occupe.
Les efforts déployés par l'administration Biden et ses partisans pour justifier les crimes de guerre massifs d'Israël sont remarquablement similaires aux efforts de l'administration Ronald Reagan pour justifier les crimes de guerre commis par le Salvador.
Amnesty International et d'autres observateurs des droits humains utilisent la même méthodologie et les mêmes méthodes pour documenter les violations du droit international humanitaire commises lors des bombardements aériens des zones urbaines pendant les attaques israéliennes sur Gaza, comme ils l'ont fait pour les bombardements russes sur les villes ukrainiennes et les bombardements syriens sur leurs propres villes. Malgré cela, les partisans de la politique de Biden insistent sur le fait que, si Amnesty et d'autres groupes disent la vérité sur les atrocités commises par la Russie et la Syrie, on ne peut pas leur faire confiance en ce qui concerne les rapports sur les atrocités commises par Israël.
Il n'y a pas plus de 30 000 combattants du Hamas à Gaza et seulement quelques milliers d'autres membres d'autres milices armées. Plus de 2 millions de Palestiniens vivent dans la bande de Gaza. Il est clair qu'en soutenant la politique militaire israélienne actuelle, l'administration Biden facilite une punition collective à grande échelle.
Comme si les véritables atrocités commises par le Hamas ne suffisaient pas, Biden en a inventé d'autres pour justifier le soutien des États-Unis à la guerre d'Israël contre Gaza. Par exemple, le 11 octobre, il a affirmé avoir vu et être en possession de « photos confirmées de terroristes décapitant des enfants », avant que la Maison Blanche n'admette par la suite que ce n'était pas le cas.
Cette situation a rappelé les efforts de désinformation des administrations précédentes pour justifier les guerres, comme l'insistance infondée de l'administration Bush, reprise par Joe Biden, alors président des Affaires étrangères du Sénat, sur le fait qu'elle avait la preuve irréfutable que l'Irak possédait des « armes de destruction massive. »
Le président Biden et d'autres responsables ont publiquement mis en garde le gouvernement israélien pour qu'il fasse la distinction entre le Hamas et les civils dans sa guerre contre Gaza, mais ils ont refusé de poser de telles conditions à l'aide militaire supplémentaire de plus de 10 milliards de dollars promise à Israël. Les dirigeants israéliens savent qu'ils peuvent tout simplement ignorer les supplications de l'administration sans grande conséquence, tout comme ils ont ignoré pendant des années les appels de l'administration à Israël pour geler l'expansion des colonies illégales et empêcher les milices de colons d'extrême droite de tuer des Palestiniens en Cisjordanie occupée.
Les efforts déployés par l'administration Biden et ses partisans pour justifier les crimes de guerre massifs d'Israël sont remarquablement similaires aux efforts de l'administration Ronald Reagan pour justifier les crimes de guerre commis par le Salvador.
Dans les deux cas, les présidents américains ont insisté sur le fait que le pays en question était une démocratie qui se défendait contre des terroristes, n'ont pas tenu compte du nombre de victimes communiqué par les ministères de la Santé et ont accusé Amnesty International et d'autres groupes de défense des droits humains de faire preuve de partialité en dénonçant des crimes de guerre et d'autres violations des droits humains. Dans les deux cas, ils ont également insisté sur le fait que les pertes civiles étaient en réalité imputables non pas au gouvernement soutenu par les États-Unis, mais aux « terroristes », ont attaqué les opposants à la politique américaine en les accusant de soutenir des idéologies totalitaires violentes et ont empêché les Nations unies de tenter de mettre un terme au conflit.
La politique américaine soutenant le carnage dans la bande de Gaza s'inscrit dans une longue tradition de politique étrangère américaine consistant à minimiser et à couvrir les crimes de guerre commis par des alliés de droite.
La rhétorique actuelle de l'administration Biden rappelle également l'insistance de Reagan sur le fait que le dictateur génocidaire guatémaltèque, le général Efraín Ríos Montt, était « malmené » et les affirmations de Richard Holbrooke - une figure clé des administrations Carter, Clinton et Obama - selon lesquelles la famine massive au Timor oriental n'était pas due à la campagne de terre brûlée menée par les forces indonésiennes dans les régions agricoles les plus riches de l'île occupée, mais simplement un héritage de la négligence coloniale portugaise.
En bref, la politique américaine de soutien au carnage dans la bande de Gaza n'est pas principalement due à la pression du lobby pro-israélien (dont l'aile la plus libérale pousse en fait l'administration Biden à mettre fin à son opposition à une pause humanitaire dans les combats), mais s'inscrit dans une longue tradition de politique étrangère américaine consistant à minimiser et à couvrir les crimes de guerre commis par des alliés de droite.
Le refus de l'administration Biden de s'opposer au massacre de Gaza n'est certainement pas le seul domaine dans lequel les États-Unis sont en décalage avec la grande majorité de la communauté internationale. Parmi les autres domaines dans lesquels ils ne soutiennent pas les mesures fondamentales en matière de droits humains, on peut citer leur opposition à la Cour pénale internationale et leur refus de ratifier des traités internationaux tels que le protocole de Kyoto sur le changement climatique, la convention sur l'élimination de toutes les formes de discrimination à l'égard des femmes, la convention relative aux droits de l'enfant, la convention internationale pour la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées, le traité d'Ottawa interdisant les mines terrestres, la convention sur les armes à sous-munitions, la convention relative aux droits des personnes handicapées et le protocole facultatif à la convention contre la torture.
Face aux attaques dévastatrices de cibles civiles menées par l'armée israélienne à Gaza, l'administration Biden ne peut même pas invoquer la pression populaire au sein des États-Unis pour justifier sa position intransigeante. En effet, l'opposition des Démocrates à l'idée de donner un blanc-seing à Israël pour commettre des crimes de guerre est si forte que tout porte à croire qu'elle pourrait menacer les chances du Parti démocrate aux élections de 2024.
Les horreurs qui se déroulent dans la bande de Gaza ont mis en évidence le fait que le simple remplacement d'un dirigeant voyou comme Donald Trump par un supposé institutionnaliste comme Joe Biden n'a pas empêché les États-Unis de rester une aberration internationale - même sur un sujet aussi fondamental que les crimes de guerre.
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Stephen Zunes
Stephen Zunes est professeur de politique à l'université de San Francisco. Son dernier ouvrage, coécrit avec Jacob Mundy, s'intitule Western Sahara : War, Nationalism, and Conflict Irresolution (deuxième édition révisée, mise à jour et élargie, Syracuse University Press, 2022).
Source : Truthout, Stephen Zunes, 30-10-2023
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises