27/11/2023 infomigrants.net  6min #238117

Niger : la junte au pouvoir abroge la loi criminalisant le trafic de migrants

Des milliers de migrants refoulés par l'Algérie sont régulièrement bloqués à Assamaka, dans le nord du Niger. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants

C'est une décision qui va changer la donne au Niger. Lundi 27 novembre, Niamey a abrogé la loi criminalisant le trafic de migrants dans le pays. Le décret a été signé par le chef de la junte,  le général Abdourahamane Tchiani, dans la matinée, d'après RFI.

Adoptée le 26 mai 2015, la mesure interdisait le "trafic illicite de migrants", soit le fait "d'assurer, afin d'en tirer directement ou indirectement un avantage financier ou un autre avantage matériel, l'entrée illégale - au Niger - d'une personne qui n'est ni un ressortissant ni un résident permanent". Les personnes soupçonnées de participer à ce trafic étaient passibles de peine d'emprisonnement allant de cinq à dix ans, et d'amendes de un à cinq millions de francs CFA (entre 1 500 et 7 600 euros).

Il y a huit ans, la loi 2015-36 avait mis un terme à une organisation bien structurée : les migrants, originaires pour la plupart d'Afrique de l'Ouest, pénétraient au Niger via ses frontières sud pour rallier Agadez, dans le centre du pays. "Jadis, la gare centrale, d'où partaient les convois pour rejoindre Dirkou et la Libye, était [...] le cœur battant de la cité. Chaque lundi, plusieurs dizaines de véhicules, parfois près de 200, s'ébranlaient vers le désert, transportant bétail et passagers, raconte  Le Monde Diplomatique. Escortés par l'armée jusqu'à la frontière libyenne, les convois étaient synonymes, pour ceux qui s'y glissaient, de grandes espérances, et, pour les habitants d'Agadez, de bouffée d'oxygène".

Le Niger est un pays de transit pour des milliers de migrants en partance pour l'Europe. Crédit : Google Maps

La loi de 2015 avait stoppé net ces activités. Les migrants, privés de routes officielles, ont été poussés à prendre d'autres chemins d'exil, plus confidentiels, et plus dangereux.

Une situation amenée à évoluer donc, avec l'abrogation de la mesure.

"De l'émotion à Bruxelles"

Ce lundi 27 novembre, Mohamed Anacko, président du Conseil régional d'Agadez, a salué "l'initiative", selon lui "très bénéfique pour [la] région". "L'abrogation de cette loi aujourd'hui est comme un ouf de soulagement", a abondé le média en ligne  Aïr Info Agadez. "Dans ce territoire du Nord qui est, du fait de sa position géographique, incontournable pour le passage des migrants vers le Maghreb [...] les activités liées à la migration contribuent fortement à l'économie de la région", explique-t-il.

Le Mondafrique, lui, souligne que "cette nouvelle devrait créer l'émotion à Bruxelles, où l'appui au régime nigérien renversé le 26 juillet reposait surtout sur la volonté affichée par les autorités de lutter contre les flux de migrants cherchant à rejoindre l'Europe à partir de la Libye".

La loi 2015-36 s'est en effet construite en collaboration avec l'Union européenne, qui consacre cette année-là sa politique d'externalisation des frontières. Celle-ci sera financée en partie par un fonds spécifique de la Commission européenne, nommé "fonds fiduciaire d'urgence de l'Union européenne pour l'Afrique", créé en novembre 2015 au sommet de la Valette, à Malte.

À l'époque, le président du Niger Mahamadou Issoufou s'engage alors fermement en faveur de cette coopération. La loi criminalisant le trafic de migrants en était l'un de ses outils principaux.

Depuis le putsch, des milliers de migrants bloqués

Depuis plusieurs années, le Niger est une étape clé pour les migrants subsahariens. Ses frontières de plus de 5 500 km partagées avec six États voisins placent le pays au centre de la plupart des routes migratoires de la région, à destination de l'Europe. Le Niger accueille aussi les exilés ayant fui la Libye, ou expulsés d'Algérie.

De janvier à septembre 2023, 52 643 migrants sont entrés au Niger, d'après l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), et 64 520 en sont sortis. Et depuis 2016, plus de quatre millions de migrants ont traversé le pays.

Depuis le 26 juillet dernier, la situation s'est compliquée pour ces milliers d'exilés en transit, bloqués dans le pays à cause de la fermeture des frontières décidée au lendemain du putsch. "Les services auxquels avaient accès auparavant les migrants, demandeurs d'asile et réfugiés, ne fonctionnent plus, ou plus comme avant",  avait reconnu en septembre auprès d'InfoMigrants Emmanuel Gignac, représentant du Haut-commissariat des Nations unies aux réfugiés (HCR) dans le pays. "L'accès à des soins de santé peut par exemple être plus compliqué", avait-il précisé.

Le Point-Zéro marque la frontière entre le Niger et l'Algérie, en plein désert. Crédit : Mehdi Chebil pour InfoMigrants

D'autant plus que les "expulsions régulières et massives" depuis l'Algérie n'ont pas cessé, alertait fin octobre le collectif Alarme Phone Sahara : entre le 26 juillet et le 18 octobre 2023, au moins 5 012 personnes ont été expulsées d'Algérie et emmenées à la frontière avec le Niger, en plein désert. Depuis le 1er janvier, le réseau d'assistance aux migrants en détresse en comptait au total 24 698.

Certains sont déposés directement dans le centre de l'OIM d'Assamaka, à la frontière, par des convois dits "officiels" conduits par les autorités algériennes. Mais d'autres doivent effectuer à pied les 15 km qui séparent cette localité du lieu-dit Le Point Zéro, en plein désert, où chaque année, des milliers de migrants sont abandonnés, par les mêmes autorités, sans eau, ni nourriture ni outils d'orientation.

Selon  une enquête de Border Forensics publiée en mai 2023, les exilés "n'ont aucune chance de survie". Ces dernières années, le Sahara est d'ailleurs devenu "un tombeau à ciel ouvert", d'après l'organisation. "On signale très régulièrement des découvertes macabres dans le désert. On retrouve des corps asséchés, subitement exposés par les mouvements de sable", avait expliqué Rhoumour Ahmet Tchilouta, membre de l'organisation et doctorant en géographie politique à l'université de Grenoble. Certaines dépouilles, cachés par le sable, sont aussi "ensevelies à tout jamais".

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