Par Maha Hussaini à GAZA, Palestine occupée
Une famille palestinienne désespérément en quête d'un lieu sûr témoigne pour MEE de ses déplacements constants causés par l'armée israélienne, qui n'a selon elle aucun plan pour protéger les civils
Avec des matelas attachés au toit de leur voiture, Aya Fehmi et sa famille ont regagné la première maison où ils avaient trouvé refuge dans le centre de la bande de Gaza.
Ils avaient dû l'évacuer pour rejoindre un autre refuge dans le sud au cours de la quatrième semaine du violent assaut d' Israël contre Gaza. Néanmoins, après la fin de la trêve vendredi, l'armée israélienne a largué des tracts dans le secteur de ce second refuge, avertissant les habitants qu'il allait devenir une « zone de combat » et leur ordonnant de partir.
« Nous sommes partis de chez nous le sixième jour de l'offensive après avoir reçu des messages [de l'armée israélienne] indiquant que nos quartiers allaient être visés. Nous nous sommes installés chez quelqu'un de la famille à Deir al-Balah et nous y sommes restés pendant trois semaines », raconte à Middle East Eye Aya Fehmi (34 ans), mère de trois garçons.
« Nous avons ensuite décidé d'aller ailleurs, chez une autre personne de la famille à Khan Younès, car nous pensions que le secteur était plus sûr et parce qu'il y avait plus de nourriture sur les marchés qu'à Deir al-Balah. Nous vivions avec une trentaine d'autres personnes dans le garage de l'immeuble, mais nous n'avions pas d'autre choix. Nous n'avons personne d'autre de la famille dans le sud. »
Déplacée à trois reprises en cinquante jours, Aya Fehmi a appris lors de la trêve que son appartement situé dans le quartier de Tal al-Hawa à Gaza avait été détruit.
« Pendant un mois et demi, nous n'avons rien su de notre appartement à Gaza. Nous savions seulement que notre quartier était menacé et que des centaines d'habitations avaient été bombardées. Mais je me suis dit que notre tour serait visée, puisque les Israéliens bombardaient tous les hauts immeubles », explique-t-elle à MEE.
« Lorsque la trêve a commencé [le 24 octobre], on nous a envoyé une photo de notre immeuble. Il avait été complètement ravagé dans les premiers jours de l'offensive. J'ai pleuré pendant deux jours sans arrêt. »
« Nous avions acheté cet appartement lorsque nous nous sommes mariés et j'y avais choisi chaque objet. Mon mari et moi travaillons tous les deux et depuis huit ans, nous économisions pour acheter de nouveaux meubles par intervalles de quelques mois. »
Un nouvel ordre d'évacuation
Jeudi soir, la mère de famille s'est endormie en espérant se réveiller dans une nouvelle journée de trêve qui aboutirait à un cessez-le-feu complet et la perspective de reconstruire leur foyer.
Vendredi matin, son mari l'a réveillée en lui demandant de préparer les enfants à partir après avoir reçu un nouvel ordre d'évacuation.
« J'étais à moitié endormie, j'entendais des bombes et je croyais rêver. Mon mari m'a dit que les Israéliens avaient largué des tracts sur Khan Younès pour demander à ses habitants de se rendre à Rafah. Nous ne connaissons personne là-bas, alors nous avons décidé de retourner à Deir al-Balah », indique-t-elle.
« Nous avons refait nos bagages pour la troisième fois et nous sommes allés en catastrophe à Deir al-Balah. Quelques heures plus tard, nous avons appris que nous pourrions être à nouveau déplacés. »
Vendredi, l'armée israélienne a publié une carte de la bande de Gaza, divisée en 2 300 blocs numérotés, et a demandé aux habitants d'identifier le bloc dans lequel ils se trouvaient.
Selon l'armée, il est question d'ordonner aux habitants de certains blocs de rejoindre d'autres blocs, dans le cadre d'un nouveau plan de déplacement.
Des bombardements intensifs
La carte a été publiée sur le site web et les réseaux sociaux de l'armée israélienne. Cependant, la grande majorité des habitants de la bande de Gaza n'ont pas accès à internet en raison de la pénurie d'électricité et de la coupure des réseaux de télécommunications et internet.
« Mon mari a réussi à se connecter à internet en utilisant une eSIM et quelqu'un de la famille à l'étranger lui a envoyé une capture d'écran de la carte », explique Aya Fehmi à MEE.
« Cependant, nous n'arrivons pas à identifier notre numéro de bloc parce que la carte est pleine de chiffres et que les blocs sont minuscules. Nous ne savons pas si nous nous trouvons actuellement dans une zone sûre ou menacée. »
« Les dirigeants mondiaux ont déclaré qu'ils ne permettraient pas une seconde Nakba [...], mais ce que nous voyons sur le terrain, ce sont de nouvelles phases de ce plan d'expulsion »- Aya Fehmi, habitante de Gaza
Quelques heures après l'évacuation de Khan Younès, les forces israéliennes ont entamé une intense campagne de bombardements dans ses quartiers, rasant des immeubles résidentiels et tuant des dizaines de personnes qui s'y étaient réfugiées en raison d'instructions antérieures de l'armée israélienne.
« L'occupation [Israël] ne semble pas avoir de plan fixe. Tous les deux jours, ils prennent une nouvelle décision », affirme la mère de famille à MEE.
« Qui peut nous garantir que si on nous déplace pour la quatrième fois et que nous nous installons dans un autre secteur, on ne nous déplacera pas une cinquième ou une sixième fois ?
« Qui peut nous garantir que nous ne serons pas expulsés vers le Sinaï [en Égypte] ? »
« Les dirigeants mondiaux ont déclaré qu'ils ne permettraient pas une seconde Nakba [la « catastrophe » de 1948 qui a vu plus de 700 000 Palestiniens déplacés de force lors de la création d'Israël] et que la population de Gaza ne serait pas évacuée vers le Sinaï, mais ce que nous voyons sur le terrain, ce sont de nouvelles phases de ce plan d'expulsion »
« Je n'arrive pas à imaginer que cela puisse se produire au XXIe siècle et que le monde laisse cela se poursuivre. »
Ce lundi, Stéphane Dujarric, porte-parole du secrétaire général de l'ONU António Guterres, a déclaré que les Nations unies considéraient qu'il n'y avait « aucun endroit sûr » pour les Palestiniens à Gaza.
L'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (UNRWA) a pour sa p art publié sur X que les frappes aériennes israéliennes ciblaient même les zones de Gaza où les Palestiniens étaient encouragés à se réfugier, y compris le passage de Rafah.
« Aucun endroit n'est sûr, ni ici ni nulle part à Gaza. Une guerre brutale se poursuit sans relâche », a posté l'agence onusienne sur X.
Environ 80 % de la population de la bande côtière a désormais été déplacée par les bombardements israéliens.
Traduit de l'anglais ( original) par VECTranslation.
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