Plus de trente mesures retoquées par le Conseil constitutionnel. C'est une large censure de la part de neuf Sages chargés d'examiner les 86 textes de la sulfureuse loi Immigration. En effet, 35 articles ont été totalement ou partiellement censurés.
Le Conseil a estimé pour l'essentiel d'entre eux - 32, précisément - qu'ils n'avaient pas leur place dans le périmètre de ce texte de loi. C'est ce qu'on appelle des "cavaliers législatifs", des dispositions qui n'ont pas de rapport, d'un point de vue juridique, avec l'objectif de la loi qui était de "contrôler l'immigration" et d'"améliorer l'intégration" des étrangers en France.
Tour d'horizon des principales mesures censurées.
1/Le durcissement des critères du regroupement familial
La loi votée en décembre compliquait sérieusement le regroupement familial. Elle avait ainsi allongé la durée de résidence pour y prétendre, de 18 à 24 mois. Le demandeur devait aussi justifier de ressources "stables, régulières et suffisantes" et de disposer d'une assurance maladie. Il était exigé, par ailleurs, que les membres de la famille du demandeur connaissent des rudiments en langue française "lui permettant au moins de communiquer de façon élémentaire" avant de pouvoir venir en France.
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D'après les opposants au texte, ces exigences constituaient "une violation du droit à une vie familiale normale", un droit justement garanti par la Constitution.
2/Le délit de "séjour irrégulier"
Le rétablissement du "délit de séjour irrégulier", supprimé en 2012 sous François Hollande, était qualifié d'inutile par le camp présidentiel. Mais la mesure avait été retenue dans la loi.
Concrètement, si une personne en situation irrégulière est contrôlée par la police, elle s'expose au délit de séjour irrégulier et risque une amende de 3 750 euros et de trois ans d'interdiction du territoire.
Ce délit ne sera donc finalement pas réintégré à la législation française.
3/La "caution retour" étudiante
Cette caution - une somme d'argent à déposer par les étrangers demandant un titre de séjour "étudiant", visant à couvrir les coûts d'une éventuelle expulsion - avait été ajouté par la droite, suite aux débats de la Commission paritaire. Les macronistes avaient pourtant combattu cette mesure constituant à leurs yeux "une rupture d'égalité" entre étudiants et risquant de fragiliser les étudiants internationaux.
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Le Conseil constitutionnel a censuré ce "cavalier législatif", dont la forme ne correspondait pas à l'objectif de la loi Immigration.
4/La restriction d'accès à certaines prestations sociales
Très controversée - d'après les ONG, cette mesure consacrait la "préférence nationale", concept cher à l'extrême-droite - la mesure prévoyait d'allonger la durée de résidence des non-Européens en situation régulière pour qu'ils puissent bénéficier de certaines prestations sociales (comme les APL, allocations familiales...). Un étranger devait ainsi justifier d'une durée de résidence minimale en France de cinq ans s'il ne travaillait pas, et de 30 mois pour les autres.
Une disposition très sévère, et qui exposait les exilés à encore plus de précarité. Une étude du Collectif Services publics affirmait d'ailleurs que si la loi était promulguée telle quelle, elle plongerait au moins 110 000 personnes, dont 30 000 enfants, dans la grande pauvreté.
Ce projet a ainsi été totalement censuré.
5/La suppression de l'automaticité de la nationalité française pour les enfants nés en France de parents étrangers
C'était l'un des articles les plus polémiques : la fin de l'automaticité de l'obtention de la nationalité française à la majorité pour les personnes nées en France de parents étrangers. Selon la loi, il fallait désormais que l'étranger en fasse la demande entre ses 16 et 18 ans.
Cette mesure a particulièrement choqué car elle revenait sur un droit qu'on pensait jusqu'ici incontestable : le droit du sol. Elle a donc également été censurée par le Conseil.
Quid de la régularisation des sans-papiers
Maintes fois débattue, la régularisation des travailleurs sans-papiers actée par le vote de décembre n'a pas été retoquée par les Sages. La majorité s'est résignée à une version plus restrictive que celle du projet de loi initial, en donnant aux préfets un pouvoir discrétionnaire de régularisation des travailleurs sans-papiers dans les métiers dits en tension (bâtiment, restauration, aide à la personne...).
Cette régularisation des travailleurs prendra la forme d'un titre de séjour d'un an, délivré au cas par cas, à condition d'avoir résidé en France pendant au moins trois ans, exercé une activité salariée durant au moins 12 mois sur les 24 derniers, et présenter un casier judiciaire vierge. Les emplois étudiants ou saisonniers sont exclus.
Les exilés devront donc prouver avoir travaillé, avant même de demander un permis de travail. Exercer un emploi sans visa est pourtant une source d'angoisse au quotidien pour les migrants, très angoissés à l'idée de se faire arrêter sur le chemin du travail, voire expulsés.
Un travailleur sans-papiers pourra demander ce titre de séjour sans l'aval de son employeur. Cette "expérimentation" ne s'appliquera que jusqu'à fin 2026.
"Sauvegarder le destin de la France"
Du côté des politiques, les réactions sont partagées. Gérald Darmanin, ministre de l'Intérieur s'est félicité que le Conseil constitutionnel "valide l'intégralité du texte initial du Gouvernement : jamais un texte n'a prévu autant de moyens pour expulser les délinquants et autant d'exigence pour l'intégration des étrangers!", a-t-il réagi sur X. Le projet de loi conserve en effet la structure initialement souhaitée par le gouvernement, avec un large volet de simplification des procédures pour expulser les étrangers délinquants, l'un des objectifs du ministre de l'Intérieur.
Jordan Bardella, président du Rassemblement national, a déploré, lui, une "loi immigration mort-née". "La seule solution, c'est le référendum sur l'immigration", a-t-il proposé, quand Eric Ciotti, président des Républicains, suggère lui, "une réforme constitutionnelle [...] pour sauvegarder le destin de la France!".
Pour Manuel Bompard, coordinateur de La France Insoumise, les décisions du Conseil "rappellent que les pires délires racistes de Macron et Le Pen sont contraires à nos principes républicains". Boris Vallaud, chef du groupe PS à l'Assemblée, qualifie cette censure de "claque pour le gouvernement. Emmanuel Macron aura donc eu le déshonneur et la censure. Une mauvaise loi demeure. Retrait!"