Par Alastair Crooke
Où se situe la limite de Biden : soutenir Israël dans une guerre contre le Hezbollah ? Et si le conflit devait s'étendre, soutenir Israël dans une guerre contre l'Iran également ? Où est la limite ?
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Les États-Unis se rapprochent d'une guerre contre les Forces de mobilisation populaire d'Irak, une agence de sécurité nationale composée de groupes armés, dont certains sont proches de l'Iran, mais dont la plupart sont des nationalistes irakiens. Mercredi, les États-Unis ont effectué une frappe de drone à Bagdad qui a tué trois membres des forces du Hezbollah Kataeb, dont un commandant chevronné. L'un des assassinés, al-Saadi, est la personnalité la plus haut placée à avoir été assassinée en Irak depuis l'attaque de drone de 2020 qui a tué le commandant irakien al-Muhandis et Qassem Soleimani.
La cible est surprenante, car il y a plus d'une semaine, les Kataëb ont suspendu leurs opérations militaires contre les États-Unis (à la demande du gouvernement irakien). Cette décision a fait l'objet de nombreuses publications. Alors pourquoi ce haut gradé a-t-il été assassiné ?
Les soubresauts tectoniques sont souvent déclenchés par une seule action extrême : le dernier grain de sable qui, ajouté aux autres, déclenche le glissement et fait basculer le tas de sable. Les Irakiens sont en colère. Ils estiment que les États-Unis violent sans raison leur souveraineté, faisant preuve de mépris et de dédain à l'égard de l'Irak, une civilisation autrefois grandiose, aujourd'hui ravagée par les guerres menées par les États-Unis. Des représailles rapides et collectives ont été promises.
Il suffit d'un seul acte pour qu'un ouragan se déclenche. Le gouvernement irakien pourrait ne pas pouvoir tenir bon.
Les États-Unis tentent de dissocier et de cloisonner les problèmes : le blocus de la mer Rouge par AnsarAllah est "une chose", les attaques contre les bases américaines en Irak et en Syrie en sont "une autre", sans connexion apparente. Mais tout le monde sait que ce cloisonnement est factice – et le fil "rouge" qui relie tous ces "problèmes", c'est Gaza. La Maison Blanche (et Israël) insiste cependant pour que le fil conducteur soit l'Iran.
La Maison-Blanche a-t-elle bien réfléchi, ou son dernier assassinat en date a-t-il été "sacrificiel" pour apaiser les "dieux de la guerre" du Beltway [Washington], qui réclament à cor et à cri que l'on bombarde l'Iran ?
Quel que soit le motif, le tourbillon évolue. D'autres dynamiques sont en cours, alimentées par l'attentat.
The Cradle souligne un changement crucial :
"En réussissant à empêcher les navires israéliens de traverser le détroit de Bab al-Mandab, le gouvernement de Sanaa, dirigé par Ansarallah, s'est imposé comme un puissant symbole de résistance pour la défense du peuple palestinien, une cause profondément populaire parmi les nombreux peuples du Yémen. La position de Sanaa contraste fortement avec celle du gouvernement d'Aden, soutenu par les Saoudiens et les Émiratis, qui, à la consternation des Yéménites, a accueilli favorablement les attaques des forces américaines et britanniques le 12 janvier."Les frappes aériennes menées par les États-Unis et le Royaume-Uni ont provoqué quelques défections internes de poids … un certain nombre de milices yéménites précédemment alignées sur les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite ont par conséquent fait allégeance à Ansarallah … La désillusion à l'égard de la coalition aura de profondes implications politiques et militaires pour le Yémen, remodelant les alliances et faisant des Émirats arabes unis et de l'Arabie saoudite des adversaires nationaux. La Palestine continue de servir de test décisif à toute l'Asie occidentale – et maintenant au Yémen également – en exposant ceux qui ne revendiquent que rhétoriquement le manteau de la justice et de la solidarité arabe".
Défections militaires au Yémen – En quoi cela est-il important ?
Les Houthis et AnsarAllah sont devenus des héros dans tout le monde islamique. Regardez les réseaux sociaux. Les Houthis sont devenus un mythe : ils défendent les Palestiniens alors que d'autres ne le font pas. Ils sont de plus en plus suivis. La position "héroïque" d'AnsarAllah pourrait conduire à l'éviction des mandataires occidentaux, et leur permettre de dominer le "reste du Yémen" qu'ils ne contrôlent pas actuellement. Elle capte également l'imagination du monde islamique (au grand dam de l'establishment arabe).
Immédiatement après l'assassinat d'al-Saadi, les Irakiens sont descendus dans les rues de Bagdad en scandant : "Dieu est grand, l'Amérique est le grand Satan".
Ne croyez pas que ce "tournant" soit resté lettre morte pour d'autres – pour les Hashd al-Sha'abi irakiens, par exemple, ou pour les (Palestiniens) de Jordanie, ou les nombreux fantassins de l'armée égyptienne, ou encore pour les pays du Golfe. On compte aujourd'hui 5 milliards de smartphones. La classe dirigeante regarde les chaînes arabes et consulte (nerveusement) les réseaux sociaux. Elle craint que la colère contre le non-respect du droit international par l'Occident ne déborde et qu'elle ne soit pas en mesure de la contenir : quel est la valeur de "l'ordre des règles" depuis que la Cour internationale de justice a bouleversé la notion de moralité de la culture occidentale ?
La politique américaine est d'une stupéfiante absurdité – et elle s'est maintenant emparée du principe le plus central de la "stratégie Biden" pour résoudre la crise à Gaza. L'Occident considérait la normalisation saoudienne avec Israël comme le pivot autour duquel Netanyahou serait contraint de renoncer à son mantra de contrôle sécuritaire maximaliste du fleuve à la mer, ou se verrait écarté par un rival pour qui l'"appât de la normalisation"présenterait l'attrait d'une victoire probable lors des prochaines élections israéliennes.
À cet égard, l'intervention du porte-parole de Joe Biden a été explicite :
"Des discussions sont en cours avec Israël et l'Arabie Saoudite pour faire avancer l'accord de normalisation entre Israël et l'Arabie Saoudite. Ces discussions sont d'actualité. Nous avons reçu des réactions positives des deux parties, qui nous ont fait savoir qu'elles étaient disposées à poursuivre ces négociations".
Le gouvernement saoudien – peut-être irrité par le recours des États-Unis à un langage aussi trompeur – a dûment rectifié le tir : il a publié une déclaration écrite confirmant sans équivoque
qu'"il n'y aura pas de relations diplomatiques avec Israël tant qu'un État palestinien indépendant ne sera pas reconnu sur les frontières de 1967, avec Jérusalem-Est pour capitale, tant que l'agression israélienne sur la bande de Gaza n'aura pas cessé, et que l'ensemble des forces d'occupation israéliennes ne se seront pas retirées de la bande de Gaza".
En d'autres termes, le Royaume s'en tient à l'initiative de paix arabe de 2002.
Et bien entendu, aucun Israélien ne pourra faire campagne sur ce programme lors des élections israéliennes !
Rappelons que Tom Friedman a expliqué comment la "doctrine Biden" était censée s'intégrer dans un ensemble interdépendant : premièrement, en adoptant une "position forte et résolue à l'égard de l'Iran", les États-Unis indiqueraient à
"leurs alliés arabes et musulmans qu'ils doivent s'attaquer à l'Iran de manière plus agressive […], que nous ne pouvons plus permettre à l'Iran d'essayer de nous chasser de la région, de faire disparaître Israël et d'intimider nos alliés arabes en agissant par l'intermédiaire de mandataires – le Hamas, le Hezbollah, les Houthis et les milices chiites en Irak – tandis que Téhéran reste sagement à l'écart et ne paie pas les conséquences de ses actes".
Le deuxième volet est la manœuvre saoudienne ouvrant inévitablement la voie au (troisième) élément, à savoir la "création d'une Autorité palestinienne légitime et crédible, en … bon voisin d'Israël …". Cet "engagement audacieux des États-Unis en faveur d'un État palestinien nous donnerait [à l'équipe Biden] toute légitimité d'agir contre l'Iran", prévoyait Friedman.
Soyons clairs : ces trois politiques, au lieu de se fondre en une doctrine unique, tombent comme des dominos. Leur effondrement est dû à un facteur : la décision initiale de soutenir la brutalité écrasante d'Israël sur la société civile de Gaza, soi-disant pour vaincre le Hamas. Cette décision a retourné la région et une grande partie du monde contre les États-Unis, et l'Europe.
Comment cela a-t-il pu se produire ? Parce que rien n'a changé côté politique américaine. Toujours les mêmes vieilles rengaines occidentales d'il y a des décennies : menaces financières, sanctions, bombardements et violence. Et l'insistance du discours obligé "aux côtés d'Israël".
Le reste du monde s'en est lassé, la lassitude se muant en hostilité.
Pour dire les choses crûment : Israël est désormais confronté à l'incohérence (autodestructrice) du sionisme : comment maintenir des droits spéciaux pour les Juifs sur un territoire qui compte un nombre à peu près égal de non-Juifs ? L'ancienne réponse est désormais battue en brèche.
La droite israélienne affirme qu'Israël doit alors faire le grand saut : c'est tout ou rien. Prendre le risque d'une guerre plus étendue (dans laquelle Israël pourrait ou non être "victorieux"), dire aux Arabes d'aller s'installer ailleurs, ou abandonner le sionisme, et repartir de l'avant.
L'administration Biden, plutôt qu'aider Israël à regarder la vérité en face, a abdiqué la mission consistant à contraindre Israël à faire face aux contradictions du sionisme en faveur du rétablissement du statu quo ante brisé. Quelque 75 ans après la fondation de l'État d'Israël, comme l'a noté l'ancien négociateur israélien Daniel Levy :
"Nous sommes revenus au ‘débat classique' entre États-Unis et Israël sur la question de savoir si la carte palestinienne actuelle doit être réorganisée, et acceptée en tant qu'‘État'".
La situation aurait-elle pu être différente ? Probablement pas. La réaction vient du plus profond du tempérament de M. Biden.
Les trois échecs des États-Unis ont paradoxalement facilité le glissement d'Israël à droite (comme le montrent tous les sondages récents). Et – en l'absence d'un accord sur les otages, d'un "arrangement" crédible avec l'Arabie saoudite ou d'une piste convaincante vers un État palestinien – ils ont précisément pavé la voie au gouvernement Netanyahou pour poursuivre sa stratégie maximaliste de sortie de la guerre de dissuasion en assurant une "grande victoire" sur la résistance palestinienne, le Hezbollah et même – il l'espère – l'Iran.
Aucun de ces objectifs ne peut être atteint sans l'aide des États-Unis. Mais où se situe la limite de M. Biden : le soutien à Israël dans une guerre contre le Hezbollah ? Et si ce soutien devait s'étendre, un soutien à Israël dans une guerre contre l'Iran également ? Où est la limite ?
Cette incongruité, qui survient à un moment où le projet ukrainien de l'Occident est en train d'imploser, suggère que M. Biden pourrait penser avoir besoin d'une "grande victoire", tout comme M. Netanyahou.
Alastair Crooke
Article original en anglais : The World's Gyre, Strategic Culture, le 12 février 2024
Traduction Spirit of Free Speech
La source originale de cet article est Strategic Culture
Copyright © Alastair Crooke, Strategic Culture, 2024