Par Alan MacLeod
Robert Kraft lors du lancement de la campagne "Face Jewish Hate" de Combined Jewish Philanthropies à Boston le 15 mai 2023. (Bureau du gouverneur Maura Healey, Flickr, Joshua Qualls, CC BY-NC-SA 2.0)
Israël a profité des 123 millions de téléspectateurs - le plus grand nombre depuis l'alunissage de 1969 - pour faire sa propagande pendant le match de football américain de dimanche, écrit Alan MacLeod.
Au beau milieu du feu d'artifice qui a vu les Chiefs de Kansas City remporter leur troisième championnat en cinq ans, les Américains qui ont regardé le Super Bowl ont été confrontés à un flot de propagande inhabituelle.
Entre les publicités habituelles pour des voitures et de la bière se trouvaient deux messages étranges : l'un de la Fondation pour la lutte contre l'antisémitisme (FCAS) et l'autre de l'État d'Israël lui-même. Tous deux étaient intimement liés au massacre en cours à Gaza, et tentaient d'attirer l'attention sur les crimes de guerre israéliens.
La publicité de la FCAS met en scène Clarence B. Jones, l'ancien conseiller de Martin Luther King Jr. qui a rédigé son célèbre discours "I Have a Dream". Le message véhiculé est qu'un raz-de-marée croissant d'intolérance raciste voit le jour en en Amérique, et que nous devons tous nous unir pour nous opposer à l'antisémitisme - la publicité se termine en invitant les gens à visiter le site web StandUpToJewishHate.com.
Les publicités du Super Bowl ne sont pas bon marché, et le prix de 7 millions de dollars pour un temps d'antenne de 30 secondes a été assumé par le propriétaire milliardaire de la franchise des New England Patriots de la N.F.L. [National Football League], Robert Kraft. Kraft ( valeur nette : 11 milliards de dollars) a fait fortune dans le secteur du papier et de l'emballage, et entretient des liens étroits avec l'État d'Israël, notamment en faisant don de centaines de millions de dollars à des groupes pro-israéliens et en finançant des candidats pro-israéliens lors des élections américaines. Il entretient même une relation étroite avec le Premier ministre Benjamin Netanyahu.
https://x.com/StandUp2JewHate/status/1756841375117496469
Kraft a épousé sa femme en Israël en 1962 et aurait effectué plus de 100 visites dans le pays, y menant notamment des dizaines de missions de relations publiques, emmenant avec lui des célébrités et des stars du sport. Il entretient également un réseau d'organisations caritatives en Israël.En décembre, il s'est engagé à verser la somme astronomique de 100 millions de dollars au FCAS. Selon Forbes, il s'agit de "sensibiliser le public à la montée des incidents antisémites et de développer les relations entre les communautés noire et juive". Compte tenu de son contenu et de l'invocation faite au Dr King, il est évident que la publicité du Super Bowl faisait partie du plan de Kraft visant à cibler la communauté noire.
Les Noirs américains sont beaucoup plus progressistes sur la question de la Palestine que le reste de la population. De nombreux dirigeants noirs, ainsi que des mouvements tels que Black Lives Matter, se sont ralliés à la cause palestinienne, voyant des parallèles et des liens entre l'oppression des Palestiniens à l'étranger et le traitement des Noirs américains dans leur propre pays.
Un sondage réalisé en décembre par la Carnegie Endowment for International Peace [organisation non gouvernementale et cercle de réflexion et d'influence global dédiée au développement de la coopération inter-étatique et à la promotion des intérêts des États-Unis sur la scène internationale] a révélé que 28 % de la population noire était favorable à un cessez-le-feu immédiat, contre 20 % des Américains blancs. Seuls 5 % des Afro-Américains souhaitent que le gouvernement américain apporte un "soutien indéfectible" à Israël, contre 23 % de la population blanche.
Financement de l'antisémitisme
Pour Kraft, les opinions de la population noire posent donc problème. Le propriétaire sportif milliardaire a fondé le FCAS en 2019, dans un contexte d'opposition nationale et internationale croissante aux politiques d'apartheid de l'État d'Israël en Palestine. Il a annoncé cette initiative lors d'une somptueuse cérémonie à Jérusalem, où il a reçu le prix Genesis - un prix financé par le gouvernement israélien et décerné aux personnes qui aident le plus l'État juif.
Après la cérémonie, il a déjeuné avec son ami Netanyahu. Kraft avait déjà soutenu Netanyahu en assistant à son discours devant le Congrès en 2015. "Israël n'a pas d'ami plus loyal que Robert Kraft", a déclaré M. Netanyahu.
Kraft a reçu le prix Genesis, doté d'un million de dollars, pour ses efforts en matière de philanthropie et de "lutte contre l'antisémitisme." Pourtant, son point de vue sur ce qui constitue ou non de l'antisémitisme est pour le moins controversé.Au lendemain de la vague historique de manifestations organisées aux États-Unis pour réclamer un cessez-le-feu au Moyen-Orient, il est apparu sur MSNBC pour dénoncer les participants comme des partisans du terrorisme."Je trouve horrible qu'un groupe comme le Hamas puisse être respecté et que des personnes aux États-Unis d'Amérique puissent arborer des drapeaux ou les soutenir", a-t-il déclaré, assimilant clairement le soutien aux droits des Palestiniens au terrorisme. "Le Hamas prêche l'éradication de tout le peuple juif de la Terre", a-t-il ajouté.
Ainsi, alors que le FCAS prétend s'élever contre les mensonges et le racisme, son fondateur continue de répandre sa propre désinformation au service du projet israélien.
Sans surprise, il s'oppose également au mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), une campagne populaire visant à exercer pacifiquement une pression économique sur l'État d'Israël pour qu'il mette fin à l'oppression et à l'occupation de ses voisins. M. Kraft considère le BDS comme une forme de racisme antijuif, qu'il assimile aux attaques contre les synagogues ou à la menace croissante de l'extrême droite.
"Ma vision est de travailler à mettre fin à la violence contre les communautés juives. Pour contrer la normalisation des récits antisémites qui remettent en question le droit à l'existence d'Israël, déguisés en débats légitimes sur les campus et dans les médias", a-t-il déclaré, laissant ainsi entendre que le FCAS tentera de s'insérer dans les campus universitaires à l'échelle nationale, et de faire pression sur les médias pour qu'ils adoptent des positions (encore) plus pro-israéliennes.
Le bailleur de fonds du lobby israélien
Kraft est l'un des principaux bienfaiteurs du lobby israélien, ayant fait don de millions de dollars à divers groupes tout au long de sa vie. En 2022, par exemple, il a versé un million de dollars à la commission des affaires publiques de l'American Israel Public Affairs Committee (AIPAC). L'AIPAC s'efforce de promouvoir des politiques pro-israéliennes aux États-Unis et d'insérer des termes pro-israéliens dans le plus grand nombre possible de textes législatifs.
Il finance également les Friends of the Israeli Defense Forces (Amis des forces de défense israéliennes), un groupe qui collecte des fonds pour aider les soldats israéliens, alors même qu'ils commettent des crimes de guerre en Palestine, en Syrie et ailleurs. Parmi les autres groupes pro-israéliens auxquels il a fait des dons importants, on peut citer:
- American Friends of the Israel Museum (Amis américains du musée d'Israël)
- American Friends of the Yitzhak Rabin Center (Les Amis américains du Centre Yitzhak Rabin)
- The Anti-Defamation League (La Ligue anti-diffamation)
- The Committee for Accuracy in Middle East Reporting and Analysis (Le Comité pour l'exactitude des rapports et des analyses sur le Moyen-Orient)
- The Jewish Agency for Israel (L'Agence juive pour Israël)
- The Jewish National Fund (Le Fonds national juif) StandWithUs The Israel Project (Le Projet Israël)
Par l'intermédiaire de son organisation, Touchdown in Israel, Kraft organise régulièrement des voyages de propagande en Israël pour d'anciens joueurs de la Ligue nationale de Football américain (N.F.L.), espérant sans doute qu'ils deviendront des défenseurs de l'État juif.
Cependant, l'influence la plus importante de Kraft sur la vie publique américaine réside sans doute dans son financement constant des démocrates de droite qui s'opposent aux progressistes et aux défenseurs de la justice en Palestine.
En 2021, par exemple, il a versé 5 800 dollars à la députée Shontel Brown lors de son face-à-face controversé avec la progressiste Nina Turner, et 2 900 dollars supplémentaires pour sa réélection. Mme Brown était une candidate peu connue mais fortement pro-israélienne opposée à une socialiste démocrate, co-présidente nationale de la campagne électorale de Bernie Sanders en 2020, qui critiquait ouvertement la politique d'Israël.
D'importantes sommes d'argent pro-israéliennes ont afflué dans la campagne de Mme Brown, l'aidant à vaincre M. Turner. Dans son discours de remerciement, Mme Brown a fait l'éloge d'Israël et a ensuite remercié la communauté juive de l'avoir "aidée à franchir la ligne d'arrivée".
Kraft a également financé des démocrates pro-israéliens, notamment David Cicilline, Juan Vargas, Ted Deutch, Jake Auchincloss et Ritchie Torres.Ses actions, ses dons et ses déclarations publiques ont suscité la condamnation de certains de ceux qui ont suivi leur évolution. Le journaliste sportif Dave Zirin, par exemple, a récemment écrit :
"Il semble penser que toute critique d'Israël est intrinsèquement antisémite. Pour Kraft, ce sont les juifs comme moi, les rabbins et les survivants de l'Holocauste qui appellent à un cessez-le-feu et à une Palestine libre qui font partie du problème. Et Kraft semble penser que l'opposition à Israël, à Tsahal et à l'agenda de l'AIPAC est de l'antisémitisme".
Israël à la télévision
Les téléspectateurs du Super Bowl ont eu droit à une autre publicité pro-israélienne entre les différentes phases du match, cette fois-ci directement financée par le gouvernement israélien et représentant ce dernier."À tous les papas", dit la voix off, tandis que des images d'activités paternelles saines défilent à l'écran,"Ceux qui sont drôles, ceux qui sont bêtes, ceux qui sont forts, ceux qui sont audacieux. À tous les pères retenus en captivité par le Hamas depuis plus de 120 jours, nous promettons de vous ramener à la maison."
À première vue, le gouvernement israélien envoyait un message aux pères israéliens encore détenus par le Hamas. Ce message montrait qu'il s'efforçait de les ramener à la maison (en dépensant des millions de dollars pour diffuser le message à la télévision américaine pendant le Super Bowl).En réalité, il s'agissait d'une tentative pour amener le public américain à s'identifier à Israël, en suggérant que cela pouvait aussi arriver à n'importe lequel de leurs pères.
https://x.com/TheCradleMedia/status/1757200644543250904
De nombreux téléspectateurs ont estimé que ce qu'ils avaient vu n'était rien d'autre qu'une désinformation coûteuse. Un téléspectateur a écrit sur Twitter:
"Je suis désolé, Israël est-il sérieusement en train de diffuser un spot publicitaire de propagande pendant le Super Bowl tout en bombardant simultanément les réfugiés à Rafah".
Néanmoins, le Super Bowl a été la retransmission américaine la plus regardée de tous les temps, avec plus de 123 millions de téléspectateurs. Certains disent que ce genre de publicité n'a pas de prix, mais apparemment, si, et ce prix se monte à 7 millions de dollars.
C'est peut-être de la propagande, mais en Amérique, c'est l'argent qui parle. Et Robert Kraft et le gouvernement israélien ont de toute évidence beaucoup d'argent à dépenser.
Alan MacLeod
Alan MacLeod est rédacteur principal pour MintPress News. Après avoir obtenu son doctorat en 2017, il a publié deux livres : "Bad News From Venezuela : Twenty Years of Fake News and Misreporting" et "Propaganda in the Information Age : Still Manufacturing Consent", ainsi qu'un certain nombre d'articles universitaires. Il a également contribué à FAIR.org, The Guardian, Salon, The Grayzone, Jacobin Magazine et Common Dreams.
Article original publié le 15 février 2024 dans Consortiumnews.com
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