Olivier Mukuna
Visant à médiatiser son refus d'être « complice d'un génocide » et son soutien à une « Palestine libre », l'immolation d'Aaron Bushnell a été traitée par les médias du monde entier. Exceptés la majorité des français et belges francophones ! Fidèles à leur ligne « israélo-embarquée », en contradiction avec leur soif d'images spectaculaires et réflexes à répercuter toute info venant des Etats-Unis, ces médias ont censuré le sujet Bushnell. En empêchant leurs publics de réfléchir à cet acte désespéré et politique, ils ont craché sur le cadavre du soldat américain comme sur ce qu'il leur reste de « déontologie ».
L'info est tombée dimanche 25 février. Cette dernière revêtait 4 caractéristiques sur lesquelles tout média, digne de ce nom, ne pouvait qu'embrayer : insolite, spectaculaire, meurtrière et politique. Le citoyen américain Aaron Bushnell, pilote d'avion, s'est filmé en train de s'immoler par le feu, jusqu'à ce que mort s'en suive, devant l'ambassade d'Israël à Washington...
Quelques minutes avant de commettre son geste fatal, le militaire de 25 ans prononce ces mots :
« Je m'appelle Aaron Bushnell, je suis un membre en service actif de l'armée de l'air des États-Unis et je ne serai plus complice d'un génocide [...] Je suis sur le point de m'engager dans un acte de protestation extrême, mais comparé à ce que les gens ont vécu en Palestine aux mains de leurs colonisateurs, ce n'est pas extrême du tout. C'est ce que notre classe dirigeante a décidé de considérer comme normal ».
Peu avant, Bushnell avait aussi diffusé ce message sur Facebook : « Beaucoup d'entre nous aiment se demander : 'Que ferais-je si j'étais en vie durant l'esclavage ? Ou sous les lois Jim Crow [surnom des anciennes lois de ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis] ? Ou sous l'apartheid ? Que ferais-je si mon pays commettait un génocide ? La réponse est ce que vous en train de faire là. Tout de suite. »
Un acte « dévastateur »
Comme d'autres webmédias sérieux et indépendants, Investig'Action diffusera, dès le 26 février, un article traitant de l'acte définitif de Bushnell, faisant notamment le parallèle historique avec d'autres protestations auto-sacrificielles commises par plusieurs citoyens américains durant la guerre du Vietnam. Sans surprise, il en sera radicalement tout autre pour TF1-LCI, France Télévisions, Arte, RTL-TVI, LN24, Le Monde, Le Figaro, Le Soir, La Libre, Sudinfo, etc.
Récapitulons. Un jeune soldat nord-américain décide de se suicider en public, de l'une des manières les plus horribles et douloureuses qui soit, afin d'attirer l'attention sur les crimes, la torture et le génocide programmés contre les Palestiniens de Gaza (plus de 30.000 tués et 70.000 blessés en 4 mois, famine, maladies, destructions) et... cela n'interroge aucun journaliste des médias belges et français ? En réalité, pour être précis, les dirigeants de ces médias ont visiblement décidé d'interdire à leurs employés de traiter cette information « très dérangeante ».
Pour preuve, à l'heure d'écrire ces lignes, soit 3 jours après la diffusion internationale du sacrifice d'Aaron Bushnell, cette info a été relayée et (mal)traitée par... 4 médias européens d'expression française (RFI, Libération, La Croix et la RTBF).
Une censure grossière et d'autant plus grotesque que la vidéo de Bushnell a été si virale que les mainstream US (CNN, New-York Times ou Newsweek) et britanniques (BBC, The Guardian ou The Independant) ont dû la traiter en temps et en heure. Ensuite, depuis 72h, le net, les réseaux sociaux comme une partie de la société américaine échange et débat tous azimuts sur « le sujet ». Comme le résume la journaliste américaine Caitlin Johnstone : « Un membre de l'armée américaine qui s'enflamme en criant « Palestine libre » est absolument dévastateur pour les intérêts informationnels d'Israël et des États-Unis, car cela réveille les gens comme rien d'autre ne pourrait jamais le faire. »
Médias anglophones plus sournois
Bref, il n'y a pas à chercher très loin les motivations de censure des sergent-chefs « éclairés » des médias traditionnels francophones. Hors de question, pour ces « dirigeants libres », d'ouvrir un cadre médiatique, une réflexion, un éventuel débat portant sur le geste sacrificiel d'Aaron Bushnell ! Trop susceptible de mettre en doute, sinon en péril, leur ligne « israélo-embarquée » ; leur ignoble soumission anti-journalistique envers le tandem étatique et génocidaire USA-Israël...
Si la majorité des mainstream anglophones ont traité l'immolation du jeune pilote, ce n'est pas, selon le journaliste Ben Norton, sans invisibiliser son message politique. « Les médias occidentaux ont montré leur partialité en dissimulant le fond de la protestation meurtrière de l'aviateur américain », estime Norton dans un article diffusé sur ce site. « Des études scientifiques ont montré qu'environ 60% des Américains ne lisent pas au-delà des gros titres... », poursuit-il. Or, « dans leurs titres, la plupart des grands médias américains, notamment le New York Times, le Washington Post et CNN, ont omis de mentionner pourquoi Bushnell s'est immolé devant l'ambassade d'Israël. »
Le journaliste compare ensuite ce traitement douteux avec celui que les mêmes médias avaient réservé au suicide politique d'Irina Slavina à Moscou : « Lorsque la journaliste russe, Irina Slavina, s'est immolée par le feu en 2020, le New York Times a bien médiatisé qu'il s'agissait d'un 'acte de protestation contre le gouvernement de Vladimir Poutine'. »
Idem pour la « prestigieuse » BBC, soucieuse de « dépolitiser la protestation fatale de Bushnell contre le génocide à Gaza parrainé par les États-Unis » après avoir, en 2020, « héroïser le suicide par immolation de Slavina en Russie telle une 'protestation finale' contre Poutine. »
Selon Caitlin Johnstone, l'impact du suicide d'Aaron sur la société nord-américaine s'explique « du fait qu'il s'agit de l'acte de sincérité le plus profond dont nous ayons jamais été témoins. Dans cette civilisation frauduleuse où tout est faux et stupide, nous ne sommes pas habitués à une telle sincérité ».
S'adressant peut-être à celles et ceux à qui il faut encore « expliquer » l'abomination du génocide en cours, la journaliste ajoute : « Sorti de nulle part, un gars de l'armée de l'air arrive et fait quelque chose de vrai. Quelque chose d'aussi authentique et sincère que possible, avec les intentions les plus nobles. Il s'est immolé en direct pour attirer l'attention des gens sur l'horreur des atrocités commises à Gaza avec le soutien des États-Unis. Il savait parfaitement à quel point ce serait douloureux. Sachant parfaitement qu'il mourrait ou survivrait avec d'horribles brûlures [...] Il n'a pas reculé [...] et il l'a quand même fait. Rien dans notre société ne peut nous préparer à une telle sincérité. »
« Immortel dans la mémoire du peuple palestinien »
Autre information dont le public des mainstream n'entendra jamais parler, tant elle dissone avec la doxa falsificatrice dominante, c'est le communiqué du Hamas diffusé suite au décès de Bushnell. Un communiqué qui - à rebours de toutes les agences de presse - a le mérite de rappeler que le pilote n'est pas le premier citoyen américain à mourir pour la Palestine :
« Nous, au sein du Mouvement de la Résistance Islamique (Hamas), exprimons nos sincères condoléances et notre entière solidarité avec la famille et les amis du pilote américain Aaron Bushnell [...] Comme la militante américaine Rachel Corrie, qui a été écrasée par un bulldozer sioniste en 2003 à Rafah, Aaron Bushnell a payé de sa vie pour faire pression sur le gouvernement de son pays afin d'empêcher que les crimes sionistes se poursuivent.
L'administration du président américain Joe Biden porte l'entière responsabilité de la mort du pilote américain en raison de sa politique de soutien à l'entité sioniste dans sa guerre génocidaire contre notre peuple. Aaron Bushnell a donné sa vie pour mettre en lumière les massacres et le nettoyage ethnique sioniste contre notre peuple dans la bande de Gaza. Ce pilote héroïque restera immortel dans la mémoire de notre peuple palestinien et des peuples libres du monde, et il restera un symbole de l'esprit de solidarité mondiale avec notre peuple et sa juste cause. »
En conclusion, souhaitant dépasser le caractère horrible du geste du militaire, Johnstone estime que Bushnell a lancé au monde « une invitation ». « Une invitation à percer le voile de la superficialité et du narcissisme vers une authenticité radicale et une profonde compassion pour nos semblables. À une profonde sincérité qui nous est propre, avec laquelle nous pouvons réveiller le monde à notre manière. »
Et la journaliste de rejeter le sentiment d'impuissance comme la résignation égocentrique auxquels nous appellent, chaque jour, les médias mainstream : « Le 25 février à 13 heures, Aaron Bushnell a allumé plus d'une sorte de feu. Un feu qui nous pousse à agir. Un feu qui éclaire le chemin. Un feu qui nous inspire. Un feu qui nous montre une autre façon d'être. Un feu qui nous montre qu'un monde meilleur est possible. »
Olivier Mukuna