par Scott Ritter
Pour la Russie, botte française ou américaine, c'est du pareil au même, ce sont des bottes de l'OTAN. Si la France entre en Ukraine, l'OTAN suivra, puis les Américains. Jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Au cours de l'été 1997, au plus fort d'une nouvelle crise entourant la saga apparemment sans fin des équipes d'inspection des armes de l'ONU, dirigées par votre serviteur, qui tentaient d'accéder à des sites considérés par l'Irak comme sensibles pour sa Sécurité nationale, j'avais investi le quartier général des services de renseignement irakiens (les Moukhabarat) et insistais pour qu'on m'accorde l'accès à des lieux spécifiques au sein du quartier général, jugés pertinents pour le mandat du Conseil de sécurité régissant le désarmement des programmes d'armes de destruction massive de l'Irak. Mon principal interlocuteur était le général Amer al-Sa'adi, ancien chef de l'industrie militaire irakienne et, à l'époque, conseiller spécial du président irakien Saddam Hussein.
J'ai informé le général Sa'adi de mon intention d'accéder à deux sites spécifiques, l'un au sein de la direction M-4 (opérations) et l'autre au sein de la direction M-5 (contre-espionnage). Le général Sa'adi m'a informé qu'il s'agissait des aspects les plus sensibles du travail des Moukhabarat et qu'il lui serait impossible de m'en autoriser l'accès. J'ai cependant insisté et, à l'époque, j'avais le soutien du Conseil de sécurité, qui avait clairement fait savoir dans une résolution récente qu'un refus du droit d'accès à mon équipe constituerait une violation grave des obligations de désarmement de l'Irak, pouvant déboucher sur une attaque des États-Unis. Il ne s'agissait pas d'une menace en l'air : dans le golfe Persique, les États-Unis avaient déployé un porte-avions, des navires et des sous-marins porte-missiles, soutenus par des chasseurs-bombardiers de l'armée de l'air américaine opérant à partir de bases situées dans les pays voisins.
Après avoir refusé l'accès à mon équipe pendant plusieurs heures, le général Sa'adi a finalement cédé, et j'ai emmené mon équipe dans les bureaux que nous avions identifiés comme présentant un intérêt, où nous avons trouvé des documents qui nous ont permis de mieux comprendre comment l'Irak avait procédé à des achats secrets d'armes interdites au cours des premières années de notre mission de désarmement en Irak. Une fois l'inspection terminée, je me suis adressé au général Sa'adi pour lui adresser des reproches : «Nous aurions pu en finir depuis des heures, sans en faire un drame», lui ai-je dit.
Plus tôt dans la journée, alors que mon équipe était stationnée aux différentes entrées du complexe des Mukhabarat, empêchant toute sortie de personnel, de véhicules et/ou de documents, les forces de sécurité irakiennes chargées de notre protection ont intercepté un citoyen irakien furieux qui, armé d'un fusil automatique AK-47, prévoyait de nous attaquer, moi et mon équipe, à partir de sa voiture. Il a été arrêté à moins de 50 mètres de l'endroit où mon équipe de commandement et moi-même nous trouvions.
«M. Scott», a répondu le général Sa'adi, «nous n'aimons pas que vous mettiez votre nez là où il ne faut pas».
«Vous avez constaté par vous-même que les informations que nous avons trouvées étaient pertinentes pour notre mandat», ai-je répondu. «Nous ne faisons que notre travail».
«Oui», a répondu Sa'adi. «C'était pertinent. Mais nous n'avons pas les armes que vous recherchez. Nous avons tout déclaré. Et maintenant, vous vous livrez à un travail purement théorique qui met en péril notre Sécurité nationale».
J'ai mal pris ses commentaires. «Nous vous avions interrogé sur les relations entre les Mukhabarat et l'achat d'armes dans le passé. Vous avez nié l'existence de ces liens. Nous disposions d'informations indiquant qu'il y en avait. En tant que tel, nous avions le devoir de supposer que vos dénégations constituaient une preuve de facto que ces activités d'approvisionnement se poursuivaient».
J'ai pointé du doigt le bâtiment principal du quartier général, où nous avions effectué les perquisitions.
«Et les documents que nous avons découverts ont prouvé que nous avions raison : il y avait un lien entre les Mukhabarat et l'achat d'armes secrètes».
«Oui», m'a répondu le général Sa'adi, «vous avez raison. Mais nous aussi. Les documents ont également prouvé que cette activité d'approvisionnement a été interrompue il y a des années. Comme nous l'avons déclaré».
«Alors pourquoi ne pas laisser entrer mon équipe et clore le sujet ? Pourquoi nous retarder et entraver notre travail ?»
Le général Sa'adi s'est tourné vers moi et a souri.
«Quand le chameau met une seule fois son nez dans la tente, vous pouvez être sûrs que son corps suivra. Ceci», a dit Sa'adi en montrant d'un geste les locaux des Mukhabarat, «est notre tente. Nous ne pouvons pas vous permettre de mettre votre nez sous la tente. Si nous vous laissons faire, vous ne vous arrêterez pas tant que vous ne serez pas à l'intérieur. Et une fois à l'intérieur, vous ne repartirez jamais».
«Mais je suis pourtant entré», ai-je dit.
«Oui, mais nous avons fait en sorte que ce soit aussi gênant que possible pour vous. Et maintenant, vous repartez. Et si vous revenez, nous vous gênerons encore davantage».
Il s'est arrêté, me regardant fixement.
«Nous ne voulons pas du chameau de l'UNSCOM* dans la tente irakienne. Parce qu'avec l'UNSCOM, c'est l'Amérique qui débarque. Et avec l'Amérique, la mort et la destruction».
* UNSCOM : régime d'inspection créé par les Nations unies pour assurer le respect par l'Irak des politiques concernant la production et l'utilisation irakiennes d'armes de destruction massive après la guerre du Golfe.
J'ai souvent repensé aux propos tenus ce jour-là par le général Sa'adi, et à leur prescience - l'UNSCOM a fini par mettre son nez sous la tente irakienne.
Et avec lui, l'Amérique.
Et la mort s'est abattue sur eux.
*
J'ai intégré l'expression «ne pas laisser le nez du chameau pénétrer sous la tente» à mon lexique personnel, à rappeler chaque fois que j'ai senti qu'une présence indésirable cherchait à se frayer un chemin dans mon univers.
La semaine dernière, le président français Emmanuel Macron a déclaré ne pas avoir à respecter de «lignes rouges» quant à la perspective d'un déploiement de troupes françaises en Ukraine. Les premiers rapports ont indiqué que l'armée française se préparait à accélérer le renforcement d'une force opérationnelle de la taille d'un bataillon (environ 700 hommes) actuellement déployée en Roumanie, pour en constituer une brigade (environ 2000 hommes). La France s'était préparée à prendre cette mesure en 2025, mais l'effondrement vertigineux de l'armée ukrainienne sur les lignes de front du conflit qui l'oppose à la Russie a contraint Macron à accélérer l'opération en prévision de l'envoi de cette brigade en Ukraine.
Dans le contexte actuel, un contingent militaire français de 2000 hommes ne modifiera pas, en soi, l'équilibre stratégique des forces sur le terrain en Ukraine. Au mieux, le groupement tactique français serait en mesure de soulager une unité ukrainienne de taille similaire chargée d'assurer la sécurité, de sorte que les Ukrainiens pourraient être redéployés sur le front, où l'on peut s'attendre à ce qu'ils soient réduits en miettes en quelques jours.
Les Français ont tenté de brouiller davantage les pistes en déclarant qu'un contingent français, s'il était déployé en Ukraine, le serait en tant que troupes «neutres».
La question est de savoir dans quelle mesure la Russie autoriserait un tel déploiement de forces étrangères sur le sol ukrainien, même si ces troupes n'étaient pas directement engagées dans des combats.
Les troupes françaises déployées en Roumanie
La réponse est simple.
La Russie n'autoriserait pas un tel déploiement. Tout d'abord, il est risible de penser que la France adopte une position «neutre» dans un conflit où elle a déjà désigné les Russes comme étant ses «adversaires». Les adversaires, par définition, ne peuvent être neutres.
Mais la principale raison pour laquelle la Russie n'autorisera pas un déploiement militaire français, même limité, en Ukraine est la suivante : «Si le chameau met une fois son nez dans la tente, son corps suivra».
Ces 2000 soldats ne sont que le museau du chameau de l'OTAN. La France a déjà déclaré qu'elle était prête à déployer jusqu'à 20 000 soldats en Ukraine, en avant-garde d'une coalition de forces issues des pays de l'OTAN qui pourrait compter jusqu'à 60 000 hommes.
Une fois ces 60 000 hommes déployés en Ukraine, l'OTAN invoquera inévitablement l'article 4 de la Charte de l'OTAN définissant des circonstances graves pour la sécurité du collectif de l'OTAN, et convertira ces 60 000 hommes en une force de l'OTAN appuyée par la pleine puissance de l'Alliance.
Et le chameau sera pleinement installé dans la tente ukrainienne.
Et pour que la Russie puisse éliminer le chameau, il faudrait qu'elle entre en guerre contre l'OTAN.
Non pas une guerre par procuration, comme celle qui se déroule actuellement avec l'Ukraine comme outil de l'Occident collectif, mais plutôt un conflit à grande échelle qui conduira inévitablement à l'utilisation d'armes nucléaires, d'abord sur le sol européen, puis plus tard dans le cadre d'un conflit nucléaire général entre la Russie et l'Occident collectif.
Bref, la fin du monde tel que nous le concevons.
Le degré d'implication des États-Unis dans les plans de la France et de ses partenaires européens n'est pas parfaitement clair. L'administration Biden s'est toujours opposée à toute escalade susceptible d'entraîner l'envoi de troupes américaines sur le terrain, de peur que la situation ne devienne incontrôlable et ne débouche sur une troisième guerre mondiale qui dégénérerait rapidement en guerre nucléaire.
La Russie, cependant, ne fait pas de différence entre la botte française et la botte américaine - il s'agit dans tous les cas de bottes de l'OTAN.
Si la Russie laisse le nez français du chameau pénétrer dans la tente ukrainienne, le cou de l'OTAN suivra, et le corps américain.
Jusqu'à ce que mort s'ensuive.
Essai nucléaire soviétique, octobre 1961
source : Scott Ritter via Spirit of Free Speech