27/03/2024 investigaction.net  6min #245630

 La Haute cour de Londres confirme le droit d'Assange à contester son extradition vers les Etats-Unis

Karen Sharpe: « Les garanties des États-Unis ne valent rien »

Robin Delobel


AFP

Julian  Assange ne sera pas extradé à brève échéance mais la menace plane toujours. La Haute Cour britannique a accordé hier le droit de faire appel mais de façon limitée. Elle permet aux États-Unis de présenter d'ici le 16 avril des « garanties » sur trois points. Comment interpréter cette décision? Nous avons interrogé Karen Sharpe, auteure du livre Julian  Assange parle.

Comment interpréter les décisions prononcées hier par la Haute Cour britannique?

C'est pire que ce que j'attendais ! Les juges ont basé leur décision sur trois points des neuf avancés par les avocats de Julian et d'ailleurs pas les plus significatifs. Ils accorderont ou pas l'appel basé sur les garanties devant être fournies par les américains sur les trois points. Mais les garanties des États-Unis ne valent rien. Ils ont déjà ignoré des garanties qu'ils avaient donné dans d'autres cas. Pendant une audience précédente, ils ont dit qu'il ne pouvaient pas assurer que la peine de mort ne serait pas utilisé contre Julian, alors qu'ils avaient déjà promis le contraire auparavant. Amnesty International l'a souligné, leurs garanties ne valent même pas le papier sur lequel ils ont écrit. Je crains que la Cour accepte leurs "garanties". Et puis cela signifie fin de l'appel et extradition.

Julian a été autorisé à faire appel de son extradition vers les États-Unis pour les trois motifs suivants : droit à la liberté d'expression, préjudice en raison de la nationalité, la peine de mort.

Pour le droit à la liberté d'expression, auparavant ils avaient dit que le 1er amandement ne s'applique pas aux non-américains. Et bien sûr Julian est australien. Ils doivent maintenant donner la garantie que le 1er amendement s'appliquerait a une personne de n'importe quelle nationalité.

Sur la garantie qu'il ne soit pas condamné à mort, ils avaient déjà dit qu'on peut changer les accusations quand il arrive sur le territoire américain et cela même pour une accusation qui mène à la peine de mort.

Si les États-Unis ne fournissent pas les garanties d'ici les trois semaines à venir, Julian aura le droit de faire appel. S'ils le font, les deux parties auront jusqu'au 14 mai pour déclarer leurs arguments et l'audience se poursuivra le 20 mai. A ce point là il faut préciser, si les juges acceptent les garanties des États-Unis l'appel sera refusé, c'est l'extradition. Le seul recours possible est si la Cour Européenne des droits humains intervient dans les 48 heures après la décision pour empêcher l'extradition, mais ce n'est pas certain. Si les juges décident que l'appel peut avoir lieu, il n'y a pas de sortie de prison pour Julian en attendant le procès suivant.

Il faut se rendre comte que des juges précédents avaient accepté des « garanties » des Américains. Est-ce que ces juges décideront différemment ? Les Américains peuvent fournir plus d'information sur les fameuses garanties mais Julian lui ne peut pas fournir plus d'évidence sur son cas. Par exemple, sur le fait que le pays qui demande son extradition avait comploté de le kidnapper et de l'assassiner pendant qu'il était dans l'ambassade équatorienne. Je trouve ça honteux.

Parmi les 6 des 9 points sur les quels les juges ont refusé l'appel :

Les juges n'ont pas accepté un appel sur le point que l'extradition ne peut se faire si c'est pour des raisons politiques, mais les accusations d'espionnage ce n'est pas politique ? Autres points : que le droit a un procès juste doit être respecté, que la personne n'a pas été sujet de menace de mort, torture, traitement inhumain. Ces points font partie de la Convention Européenne des Droits Humains et ont déjà été transgressé par les Américains et les Britanniques envers Julian.

Beaucoup de gens ont mal compris ces conditions en pensant que c'était des bonnes nouvelles pour Julian mais ce n'est pas des bonnes nouvelles pour Julian, pour la presse, pour la liberté d'informer, pour notre droit de savoir. Oui, c'est une bonne nouvelle dans l'immédiat, Julian n'a pas été extradé sur le champ, mais il doit passer encore plus de temps dans une prison de haute sécurité, peut-être encore plusieurs mois avant que la décision finale sur l'extradition (et je crains que cela soit l'ultime décision) soit rendue.

Que peuvent faire actuellement les soutiens ? quelles actions de masse recommandez-vous ?

Tout le monde peut contacter les représentants de son gouvernement pour dire qu'on ne doit pas extrader un journaliste, un éditeur qui n'a fait que révéler des crimes de guerre, des crimes contre l'humanité, de la corruption. Si Julian est extradé c'est un message que veulent envoyer les Américains et les Britanniques de nature à faire peur aux personnes qui se battent pour la justice et l'information ! Cela veut dire « Tu dis quelque chose contre ton gouvernement, tu risques d'être torturé, passer ta vie en prison »...

Aujourd'hui, la chasse aux journalistes est ouverte dans de nombreuses régions du monde, notamment en Palestine, où quelque 120 journalistes - et souvent leurs familles - ont été pris pour cible et assassinés par les forces israéliennes. De plus en plus de soi-disant organismes d'information publient sans sourciller des communiqués de presse gouvernementaux, essentiellement sous forme d'informations, afin de conserver leur accès à ces gouvernements. Les blogueurs qui écrivent sur Twitter, Facebook ou d'autres réseaux sociaux sont souvent censurés.

Est-ce que des intérêts géostratégiques entre les États-Unis et la Grande Bretagne peuvent jouer un rôle dans les décisions ?

Je pensais qu'une extradition serait retardée jusqu'aux élections présidentielles aux Etats-Unis. Qu'un Biden candidat ne voudrait pas qu'un journaliste soit amené aux Etats-Unis en étant accusé d'espionnage pendant son mandat. Actuellement, je ne sais pas si ça va changer les choses.

Aux Etats-Unis, il y a la résolution dans le Congrès 934, exigeant la non extradition. Déposée le 13 décembre 2023 par un représentant Républicain et appuyée par le parrainage de membres des deux partis politiques, elle énonce : « La conviction de la Chambre des représentants : les activités journalistiques en général sont protégées par le Premier amendement et les États-Unis devraient abandonner toutes les poursuites contre Julian Assange et toutes les tentatives d'extradition à son encontre. »

Le rapport de force serait en train de changer ?

Oui beaucoup plus de gens sont au courant de sa situation en Europe et aux EU. Il y a beaucoup de gens qui pensent que l'Australie peut être le pivot pour la libération de Julian.

86 membres du parlement ont voté pour que Julian ne soit pas extradé et soit renvoyé en Australie, même le premier ministre Albanese a voté pour ça, mais est-ce que les Etats-Unis vont l'écouter ? Lorsqu'il a effectué une visite aux Etats-Unis récemment Albanese n'a pas insisté la-dessus.

Plus de 80 % des Australiens veulent que Julian ne soit pas extradé et qu'il soit rapatrié en Australie en liberté

Comment est sa santé ?

Elle se détériore en permanence, j'ai toujours pensé que ce qu'attendent les Américains et Britanniques c'est qu'il meure en prison, il n'y a pas de blâme pour cela. Avec le peu qu'il a à manger (et qui est dégueulasse), le manque de lumière, l'incarcération pendant 23 heures par jour dans une cellule de deux mètres sur trois, il arrive à tenir.

Depuis très longtemps il a des problèmes de santé, déjà dans l'ambassade équatorienne il était affaibli. C'est une force énorme de tenir comme il le fait. Personnellement je ne pourrai jamais résister une semaine dans ces conditions ! Il est passionné par ce qu'il croit, ce qu'il a publié et j'imagine ce qu'il a à dire.

Source:  investig'Action

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