par Jean Pegouret
L'attentat atroce du 22 mars 2024 à Moscou ne doit pas faire oublier l'événements politique le plus important d'après la fin de la guerre froide qui rend possible la redéfinition des rapports géopolitiques mondiaux.
L'élection présidentielle russe qui s'est tenue entre le 15 et le 17 mars 2024 a mobilisé 77% des électeurs inscrits, décrit comme un record de participation. Ce chiffre lui-même est plus édifiant que les 88% qui ont choisi de reconduire Vladimir Poutine à la tête de la Fédération de Russie.
Les Russes ont rejeté les règles revendiquées comme universelles par l'hégémon de Washington et ses vassaux occidentaux depuis la fin de la guerre froide.
Ils ont aussi massivement manifesté que le moment n'était pas venu, en pleine guerre par procuration de l'OTAN contre la Russie sur le sol de l'Ukraine, de «changer de cheval au milieu du gué».
Les Russes savent aussi que Poutine est le dirigeant qui, en 25 ans, a sorti la Russie du marasme des années 90 suivant la dissolution de l'Union soviétique, a su faire de ce que les Occidentaux qualifiaient avec sarcasme de «station-service déguisée en pays» la première économie européenne en parité de pouvoir d'achat malgré les sanctions occidentales unilatérales et nouer des partenariats géostratégiques solides avec des voisins en Orient et dans le reste du monde.
Le président Poutine a désormais les mains libres pour conduire le programme de développement de la Fédération qu'il a annoncé le 29 février 2024, la guerre contre l'OTAN en Ukraine et faire valoir la place de la Russie dans l'émergence du nouveau monde en assurant la présidence des BRICS en cette année décisive.
Les adversaires de la Russie ne s'y sont pas trompés. Ils ont parfaitement analysé que les Russes venaient d'exprimer une volonté inouïe dans les annales de la démocratie.
Depuis l'annonce des résultats, dans une grande fébrilité et en faisant feu de tout bois, les médias qui leur sont soumis se sont empressés de remettre en cause la régularité d'un scrutin si dérangeant et de dénoncer tous ceux qui auraient pu, d'une manière ou d'une autre, le cautionner.
Des «experts en géopolitique» ou politiques français russophobes se répandent sur les plateaux de télévision en affirmant que cette participation est le fruit d'un bourrage des urnes, s'appuyant sur les seuls témoignages non vérifiés d'opposants.
En complément, dans une sorte d'instinct grégaire, ils qualifient tous ceux qui, en France, confirment les résultats des élections, de «pro-Poutine», d'extrême droite, de traitres ou au minimum d'idiots.
Les observateurs internationaux qui auraient pu se rendre en Russie pour vérifier la régularité des opérations de vote ont été soumis à des pressions pour y renoncer.
Il est tellement plus facile de contester des élections après s'être refusé à y assister !
Les 700 observateurs qui ont passé outre ont été accusés de «cautionner un simulacre de démocratie». Un article de France Inter du 16 mars 2024 qualifie les observateurs français de personnalités, selon leur cas, de second rang, pro-russes, sans légitimité sérieuse, conspirationnistes climatosceptiques, d'extrême-droite, voire d'avoir des liens particuliers et même financiers avec la Russie.
S'il n'a pas été possible de se rendre en Russie, le déroulement des élections à l'étranger a, par contre, été visible par tous les observateurs, notamment en Chine et en France.
Pour France Info, s'appuyant sur le témoignage de deux Russes réfugiés à Istanbul, on lisait que les Russes à l'étranger n'étaient pas motivés pour participer à ces élections, ne manifestant plus d'intérêt pour un pays natal dont ils s'étaient détournés.
En Chine, 5349 citoyens russes, employés d'entreprises russes ou chinoises, enseignants, étudiants et aussi touristes de passage en Chine, ont fait la queue devant les bureaux de vote de l'Ambassade de Chine à Pékin et des Consulats russes de Shanghaï, Harbin, Guangzhou, Shenyang et Hong-Kong pour exprimer leurs suffrages dont 1500 au Consulat de Shanghaï.
L'Ambassade de Russie à Pékin a produit une vidéo montrant les électeurs faire la queue devant le bâtiment, se présenter aux membres de la commission électorale pour vérifier leur identité et leur inscription sur les listes avant de recevoir leur bulletin de vote.
Les opérations se sont déroulées sous le regard des délégués des quatre candidats en lice.
De mon côté, j'ai pu voir la queue, dimanche matin, devant le Consulat de Shanghaï.
À l'issue du scrutin, l'ambassadeur de Russie en Chine, Igor Morgoulov, a déclaré : «Je vois dans cette activité des citoyens russes vivant et passant en Chine, un reflet de la compréhension de l'importance du moment, de l'importance du fait qu'en ce moment important, nous devons tous faire preuve d'unité et de mobilisation dans le choix de l'avenir de notre pays».
Sur l'ensemble de la Chine, Poutine a recueilli 67%, devant 16% pour Davankov, 9% pour Sloutsky et 4% pour Kharitonov.
Cette majorité témoigne que les Russes en Chine, dont de nombreux étudiants, savent que Vladimir Poutine est un ami de la Chine, qu'il a établi des relations privilégiées avec le président chinois Xi Jinping, et que de cette stabilité dépend la poursuite de leurs emplois actuels et futurs dans des entreprises ou des projets sino-russes. De telles perspectives ne seraient pas garanties si ces relations étaient remises en causes ou devaient être réinitialisées avec un nouveau président.
En France, la participation a été de 5990 électeurs dont 3658 à Paris. Il a fallu jusqu'à sept heures de queue pour voter dimanche après-midi devant l'ambassade de Russie à Paris et à 20h celle-ci n'était pas encore résorbée.
France Info n'a pas craint le ridicule en affirmant dans un article du 17 mars : «À Paris, plusieurs centaines de personnes sont rassemblées devant l'ambassade de la Fédération de Russie, boulevard Lannes, dans le 16e arrondissement, a constaté dimanche 17 mars le journaliste de France Info sur place. La file d'attente s'étire sur des centaines de mètres, y compris sur la route pour ce troisième et dernier jour de l'élection présidentielle russe... Ces manifestants répondent à l'appel «Midi contre Poutine» lancé par Ioulia Navalanaïa, la veuve de Alexeï Navalny» !!!
Les commentateurs occidentaux peuvent être sceptiques sur la réalité en Russie. Par contre, ils peuvent difficilement faire croire que le pouvoir russe a forcé entre 5000 et 6000 de ses ressortissants, expatriés en Chine et en France, libres de venir ou pas voter, de venir faire de la figuration pendant plusieurs heures devant les bureaux de vote à l'étranger ou à l'inverse qu'ils ne peuvent y être que pour manifester à l'appel d'un mouvement d'opposition, du reste insignifiant.
Mais à la limite, peu importe la réaction des pays occidentaux en perte de vitesse à l'égard des élections en Russie. Il est plus important de se soucier de celle de la Chine, de ses 1,4 milliard d'habitants, dont le PIB en niveau de pouvoir d'achat a dépassé celui des autres acteurs mondiaux et qui s'affirme comme la puissance en capacité d'arbitrer les règles du monde de demain.
Selon le consulat de Chine à Shanghaï, les autorités de sûreté chinoise ont mis un point d'honneur à ce qu'aucun débordement ni provocation ne perturbe la bonne tenue des élections aux abords des bureaux de vote.
Une Russie forte et continuant à se développer est importante aux yeux de la Chine. Au moment où l'Occident cherche à imposer à la Chine une politique de sanctions unilatérales et un monde selon ses «règles», un voisin à la vaste étendue au nord et un partenaire économique stable est extrêmement important pour Pékin.
Soutenir Moscou dans le contexte géopolitique actuel est un point important de la politique extérieure du gouvernement chinois. L'attention portée à la tenue sans accrocs des élections du 17 mars dans chaque bureau de vote en est un signe supplémentaire.
Dernièrement, Washington a fait pression sur des banques chinoises pour les empêcher d'accepter des paiements d'exportations russes en yuan.
Lors de la session annuelle du parlement chinois, le ministre des Affaires étrangères Wang Yi a fustigé les multiples moyens de pression et la liste des sanctions américaines constamment allongées.
Lors d'une conférence de presse le 7 mars, il a souligné la qualité de la relation Chine Russie : «nous poursuivons sur la voie d'une amitié de bon voisinage permanente et d'un approfondissement de notre coopération stratégique avec Moscou».
Les Chinois sont conscients que la reconduction du président actuel lors des élections du 17 mars était le meilleur choix possible pour garantir la stabilité et la fiabilité du partenariat stratégique entre la Chine et la Russie.
Le président Xi Jinping a félicité Vladimir Poutine dès l'annonce de sa réélection. De son côté c'est à Pékin que le président russe effectuera sa première visite à l'étranger après sa réélection.
Le vote des électeurs russes à l'étranger, dans deux pays aux attitudes diamétralement opposées à la Russie, la Chine et la France, confirme le choix des Russes pour leur avenir et leur attachement à l'avenir de la patrie dans le sens tracé par Vladimir Poutine autour des valeurs traditionnelles russes, du développement du pays et de sa place prépondérante dans le monde de demain.