Les élections municipales en Turquie ont été l'occasion d'un bouleversement du paysage politique du pays. Le parti d'opposition de centre-gauche est arrivé en tête. C'est un revers pour le président Erdogan.
L'édito international d'Emma Bougerol. Pour découvrir notre revue de presse « Chez les indés - International », inscrivez-vous ici.
« À partir de demain, la Turquie sera une Turquie différente. Vous avez ouvert la porte à l'essor de la démocratie, de l'égalité et de la liberté... Vous avez fait naître l'espoir dans les urnes. » Devant la foule, Ekrem Imamoglu, cité par The Guardian, savoure sa réélection comme maire d'Istanbul.
L'élu de l'opposition fait partie des candidats du Parti républicain du peuple (CHP, centre-gauche) qui sont arrivés (ou été reconduits) à la tête de grandes villes lors des élections municipales du 31 mars. La capitale Ankara est aussi restée aux mains de l'opposition. Les résultats historiques du CHP sont « devenus le symbole du mécontentement à l'égard d'Erdogan », souligne de quotidien britannique.
Avec 37,7 % des voix, contre 30 % en 2019, le CHP est devenu le premier parti du pays, constate Il Manifesto. Le parti de Recep Tayyip Erdogan, Parti de la justice et du développement (AKP, droite réactionnaire), a lui fortement chuté depuis les dernières élections municipales, passant de 44 % à 35 % des votes.
De « graves violations des droits de l'homme »
« La reconduction du maire d'Istanbul, écrit le média italien, est sans aucun doute le résultat politique le plus important de ces élections. » Car elle montre la défiance envers le président, qui « a été au premier plan de la campagne de son parti pour reprendre Istanbul », rappelle de son côté The Guardian.
C'est un revers notable pour Erdogan, à la tête du pays depuis 2003 - où il a d'abord été Premier ministre puis, en 2014, puis président -, réélu en 2023 avec plus de 52 % des voix tout juste un an avant ces élections locales. Le média indépendant américain Democracy Now titrait alors : « Erdogan est réélu pour cinq années supplémentaires en Turquie, alors que son gouvernement devient de plus en plus autoritaire et nationaliste ». Reste à voir si la dérive autoritaire de la présidence Erdogan se durcira encore face à une opposition qui se renforce malgré la répression.
Le soir du 31 mars 2024 a été un jour de fête pour nombre de citoyennes et citoyens turcs. Le 2 avril, la journaliste Sibel Schick, dans le quotidien allemand Die Tageszeitung, nuance l'utilisation du mot « victoire ».
Elle avance que ces résultats ne sont pas tant un succès de l'opposition qu'un vote de défiance contre l'AKP au pouvoir. « Devoir choisir le moindre mal pour pouvoir espérer bénéficier des droits de l'homme les plus fondamentaux ou se payer des besoins de base comme la nourriture, l'eau potable et un toit, ce n'est pas forcément une victoire. » Reste, pour les personnes descendues célébrer dans la rue ce 31 mars, la lueur d'espoir d'un avenir meilleur.
Emma Bougerol
Photo de Une : Les drapeaux des différents partis politiques flottent pendant la saison électorale à Istanbul, en 2015 CC BY-NC-ND 2.0 Deed Leticia Barr, TechSavvyMama.com via Flickr