15/04/2024 les-crises.fr  10min #246819

 Julian Assange : La farce des assurances diplomatiques étatsuniennes

Affaire Assange : Washington a 5 bonnes raisons de négocier un accord de libération

Dans un jugement de soixante-six pages, un collège de deux juges a refusé d'accorder à Julian Assange la possibilité d'interjeter appel de l'extradition.

Source :  La Progressive, Bill Blum
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

La Haute Cour de justice britannique de Londres a accordé au fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, un sursis non négligeable dans sa lutte contre son extradition vers les États-Unis pour espionnage. Dans un arrêt de soixante-six pages rendu le 26 mars, un collège de deux juges a refusé d'accorder à Julian Assange le droit inconditionnel de faire appel de l'arrêté d'extradition signé en 2022 par le ministre britannique de l'Intérieur. Toutefois, les juges ont statué que cette autorisation sera accordée, à la condition que les États-Unis puissent garantir que si Assange est envoyé aux États-Unis, il sera « autorisé à invoquer le Premier amendement, qu'il ne sera pas lésé lors du procès (y compris en ce qui concerne la peine infligée) en raison de sa nationalité, qu'il bénéficiera de la même protection qu'un citoyen américain au titre du Premier amendement et que la peine de mort ne lui sera pas infligée. »

Dans le système juridique britannique, de tels appels sont discrétionnaires et nécessitent l'approbation de la Haute Cour pour aboutir. Les juges ont donné aux États-Unis jusqu'au 16 avril pour présenter leurs garanties.

Compte tenu de la jurisprudence de la Cour suprême des États-Unis relative au Premier amendement, il est peu probable que le ministère de la Justice de l'administration Biden soit en mesure de satisfaire ces demandes des juges. Même si le ministère de la Justice ne requiert pas la peine de mort (bien que celle-ci soit techniquement possible en vertu de la loi sur l'espionnage de 1917) et affirme volontiers qu'Assange bénéficiera de toutes les garanties d'un procès en bonne et due forme tel que celui dont bénéficient les citoyens américains, le ministère ne pourra pas satisfaire les exigences des juges relatives au Premier Amendement. Selon la jurisprudence de la Cour suprême, ce dernier n'est pas applicable aux citoyens étrangers hors des États-Unis et de ses territoires. Le ministère de la Justice est tributaire de cette jurisprudence.

Cela veut dire que l'appel d'Assange, dont la procédure est susceptible de prendre un an ou plus, devrait se poursuivre, causant à l'administration Biden un embarras supplémentaire à un moment où son bilan international en matière de droits humains est très contesté en raison de son soutien à l'invasion israélienne de la bande de Gaza.

La meilleure solution, tant pour Biden que pour Assange, serait de négocier un accord de peine [La négociation de peine est, en droit, un principe selon lequel une réduction de peine peut être demandée par un procureur en échange d'un aveu de culpabilité de la part de l'accusé, NdT] acceptable pour les deux parties afin de pouvoir abandonner la demande d'extradition. Fort heureusement, il se pourrait bien qu'une solution soit en passe d'être trouvée.

Selon le Wall Street Journal, le ministère de la Justice envisage de conclure un accord avec Assange. Selon les termes de celui-ci, les États-Unis abandonneraient les dix-huit charges relevant de l'Espionage Act ainsi que les accusations de complot telles qu'énoncées dans le deuxième acte d'accusation déposé contre Assange en juin 2020. En contrepartie, Assange plaiderait coupable du délit de négligence dans l'utilisation de documents classifiés liés aux guerres d'Afghanistan et d'Irak. Assange serait alors autorisé à plaider à distance depuis sa prison de Londres. Une fois le plaidoyer obtenu, le ministère de la Justice retirerait sa demande d'extradition et Assange sortirait libre.

Bien que les avocats d'Assange précisent qu'ils n'ont pas encore été approchés en vue d'un accord, les deux parties impliquées dans cette longue bataille juridique internationale seraient bien avisées de négocier.

Né en Australie et programmateur informatique de formation, Assange a créé le site web WikiLeaks en 2006 pour dénoncer les violations des droits humains commises par des gouvernements du monde entier en publiant des documents officiels obtenus auprès de sources anonymes. Ses initiatives ont fait de lui un héros dans certains cercles de la gauche internationale, mais il s'est également attiré les foudres des États-Unis en publiant, en 2010, des carnets de guerre et d'autres documents concernant les guerres en Afghanistan et en Irak, puis en publiant des courriels en provenance du Comité national démocrate pendant la campagne électorale présidentielle de 2016. Les États-Unis ont lancé une procédure officielle d'extradition à son encontre en 2019. Depuis lors, Assange résiste à l'extradition vers les États-Unis devant les tribunaux britanniques.

Pour Assange, les avantages d'une négociation de peine avec l'administration Biden sont évidents. Après quatorze années d'enfermement, dont sept en tant que bénéficiaire de l'asile politique de l'ambassade d'Équateur à Londres, il pourrait reprendre son travail. Certes, il devrait admettre sa culpabilité, mais il ne perdrait probablement pas son statut politique ou moral auprès de ses partisans. Personne ne pourrait l'accuser raisonnablement de se dérober ou de capituler.

L'administration Biden a également toutes les raison d'abandonner l'affaire Assange pour de bon. En fait, elle a au moins cinq bonnes raisons :

1. Éviter une catastrophe concernant le Premier amendement

Même si le Premier amendement ne s'applique pas à Assange, cette affaire a de profondes implications en, ce qui le concerne. En avril dernier, sept représentants Démocrates progressistes de la Chambre ont envoyé une lettre à Merrick Garland, procureur général, l'exhortant à abandonner les poursuites contre Assange et l'avertissant :

« Les poursuites engagées contre Assange sont une première dans l'histoire des États-Unis : c'est la première fois qu'un diffuseur d'informations exactes est inculpé en vertu de la Loi sur l'espionnage (Espionage Act). Ces poursuites, si elles aboutissent, non seulement créent un précédent juridique qui feraient que des journalistes ou des éditeurs pourraient être poursuivis, mais elles constituent également un précédent politique. À l'avenir, le New York Times ou le Washington Post pourraient être poursuivis lorsqu'ils publient des articles majeurs fondés sur des informations classifiées. Ou, ce qui est tout aussi dangereux pour la démocratie, ils pourraient s'abstenir de publier de tels articles par crainte d'être poursuivis. »

Les médias et les journalistes américains ne seraient pas les seuls à pâtir si les poursuites engagées contre Assange devaient aboutir. Les citoyens américains seraient eux aussi lésés. Comme le reconnaît depuis longtemps la Cour suprême, le Premier amendement ne protège pas seulement le droit de s'exprimer et de publier. Il garantit également le droit de recevoir des informations et des idées et le droit de les lire. Les poursuites engagées contre Assange mettent en péril ces deux aspects de nos libertés garanties par le Premier amendement. Vu sous cet angle, l'affaire Assange préfigure une catastrophe en matière de Premier amendement dont l'administration Biden devrait vouloir se prémunir.

2. Le dossier est creux

D'un point de vue strictement factuel, le dossier contre Assange est faible. Le nouvel acte d'accusation prétend qu'à partir de 2009, Assange a conspiré avec Chelsea Manning pour pirater des ordinateurs militaires afin de lui faciliter l'obtention et la transmission d'informations classifiées. Cependant, comme l'a rapporté Micah Lee de The Intercept, lors du procès en cour martiale de Manning en 2013 et de l'audience d'extradition d'Assange en 2020 les témoignages d'experts ont soulevé de sérieux doutes quant à l'existence d'un quelconque complot.

Selon Micah Lee, Manning « avait un accès autorisé à tous les documents qu'elle était accusée d'avoir divulgués, et avait la capacité de les exfiltrer, sans recevoir d'aide technique de WikiLeaks ». Loin d'être inattaquable, affirme Lee, « le dossier du gouvernement [contre M. Assange] semble entièrement fondé sur quelques remarques désinvoltes dans ce qu'il dit être des discussion entre Manning et Assange sur le craquage de mots de passe - un sujet auquel d'autres soldats de la base opérationnelle avancée Hammer en Irak, où Manning était stationnée, s'intéressaient aussi activement ». Selon Lee, Assange a agi comme un journaliste et éditeur, et non comme un pirate informatique ou auteur d'actes d'espionnage.

Manning a été reconnue coupable de ses actes et condamnée à trente-cinq ans de prison militaire. En janvier 2017, le président Obama a commué sa peine en une peine de sept ans, avec effet rétroactif à partir de son arrestation en 2010. Elle n'en demeure pas moins une délinquante qui a été condamnée. Il serait risqué de s'appuyer sur elle à titre de témoin vedette dans l'affaire Assange. Pour le gouvernement Biden, rien ne serait pire que d'extrader Assange et de déclencher une crise liée au premier amendement : une défaite embarrassante lors d'un procès très médiatisé.

3. Abandonner les charges d'espionnage serait en cohérence avec la politique de l'ère Obama

Assange a été inculpé par le ministère de la Justice de Donald Trump, et ils sont à l'origine de la demande d'extradition.

L'administration Obama a refusé d'inculper Assange en raison de ce qui a été décrit à l'époque comme le « problème du New York Times », à savoir que si Assange était inculpé, le New York Times, le Washington Post et le Guardian, entre autres, devraient également être poursuivis pour avoir publié des documents classifiés.

En tant que vice-président d'Obama, Biden a soutenu cette politique. L'abandonner maintenant serait inexcusable.

4. Le temps passé en prison par Assange doit être pris en compte

Tout accord avec Assange exposera Biden aux critiques de la droite, qui l'accusera de laxisme vis à vis du crime et de laisser l'un des ennemis jurés du pays s'en tirer à bon compte. En réalité, rien n'est plus éloigné de la vérité, et toute allégation de ce type peut être facilement réfutée.

Assange est détenu depuis avril 2019 à la prison de Belmarsh, un établissement de haute sécurité situé dans le sud-est de Londres. Il est confiné dans sa cellule et ne dispose que d'une heure de sortie surveillée par jour.

Assange a été suffisamment puni. Le temps qu'il a passé en prison devrait être reconnu et il devrait être libéré.

5. Un coup de pouce politique

À l'approche des élections, la coalition qui a porté Joe Biden à la Maison-Blanche s'effrite. Les jeunes, les progressistes, les musulmans et les Arabes américains le boudent à cause de son soutien inconditionnel à l'invasion israélienne de Gaza. Nombreux sont ceux qui, lors des primaires, ont voté « blanc » en signe de protestation [Lorsqu'un électeur choisit « non engagé » (unengaged), cela signifie qu'il vote pour ce parti politique, mais qu'il ne s'engage pour aucun des candidats figurant sur le bulletin de vote, NdT]. Négocier un accord avec Assange ne les ramènera pas tous dans le giron de Biden, mais cela pourrait en inciter un nombre suffisant à le soutenir en novembre et peut-être lui donner le coup de pouce décisif. Le règlement de cet affaire améliorerait également l'image ternie de l'administration en matière de droits humains.

Finalement, peu importe que la décision de négocier soit motivée par la politique, la morale ou la loi, un accord pour libérer Assange est la bonne décision. Et c'est maintenant qu'il faut la prendre.

Avec l'aimable autorisation de The Progressive

Les opinions exprimées ici sont uniquement celles de l'auteur et ne reflètent pas les opinions ou les croyances du Los Angeles Progressive.

Par Bill Blum

Bill Blum, ancien juge est avocat spécialisé dans la défense des victimes de la peine de mort. Il est l'auteur de trois thrillers juridiques publiés par Penguin/Putnam - « Prejudicial Error » [Erreur préjudiciable], « The Last Appeal » [Le dernier appel] et « The Face of Justice » [Le visage de la justice] - et collabore au magazine California Lawyer.

Source :  La Progressive, Bill Blum, 29-03-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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