16/04/2024 mondialisation.ca  7 min #246922

Pourquoi la France s'implique dans la réconciliation dans la guerre civile au Soudan?

Par  Pierre Duval

L'Union européenne et les États-Unis sont prêts à fournir une aide à grande échelle à ce pays africain. Le conflit au Soudan inquiète l'Occident à cause de sa position stratégique aussi avec le canal de Suez et sa proximité avec Israël, mais aussi avec la bande du Sahel. La France s'engage, pourtant, sur un nouveau terrain alors qu'elle n'arrive à rien sur la guerre en Ukraine et qu'elle a été virée de la bande du Sahel.

Le président français Emmanuel Macron s'essaye encore au rôle d'artisan de la paix en Afrique. Il entend résoudre l'un des conflits les plus sanglants et les plus longs du continent. Lundi 15 avril, une conférence  a débuté à Paris avec la participation de représentants de l'UE, de la France et de l'Allemagne ainsi que de responsables de plusieurs pays africains. Les représentants des parties combattant au Soudan – le gouvernement et les soi-disant Forces de soutien rapide (RSF), les forces spéciales locales qui se sont rebellées, il y a un an – n'y participent pas. Mais, les organisateurs de la conférence envisagent de les amener à la table des négociations d'une manière ou d'une autre.

2 milliards pour le Soudan. La date du début de la conférence n'a pas été choisie par hasard: le 15 avril 2023, le chef des Forces de soutien rapide (RSF), Mohamed Hamdan Daglo, mécontent de voir le commandant des forces armées soudanaises, Abdel Fattah Al-Bourhane, arriver au pouvoir à la suite d'un coup d'État militaire deux ans plus tôt, a retardé la tenue des élections et a lancé des opérations militaires. Certains parlent d'une nouvelle guerre civile. D'autres évoquent la continuation des hostilités, qui, tantôt s'estompant, tantôt s'accentuant, durent au Soudan depuis des décennies, depuis l'indépendance. Quoi qu'il en soit, Emmanuel Macron est déterminé à mettre fin à cette guerre. La diplomatie française a annoncé ce lundi: «Les donateurs internationaux ont annoncé aujourd'hui qu'ils mobiliseront plus de 2 milliards d'euros, dont près de 900 millions d'euros de l'Union européenne et de ses États membres, pour appuyer les populations civiles au Soudan et dans les pays voisins en 2024».

En général, le plan de règlement proposé dans les capitales européennes est simple: outre un accord sur le partage du pouvoir, il prévoit un soutien généreux au pays si les participants à la guerre arrêtent l'effusion de sang. Die Zeit fait savoir que la ministre allemande des Affaires étrangères, Annalena Baerbock,  a annoncé que Berlin allouerait 244 millions d'euros pour fournir une aide humanitaire au Soudan. Le pays recevra de la nourriture, de l'eau, des médicaments, de la nourriture pour bébé et même une aide psychologique. De nombreuses femmes et enfants sont généralement touchés par la violence dans de tels conflits. Reuters  rapporte que les États-Unis pourraient fournir 100 millions de dollars supplémentaires. Die Zeit précise: «La conférence humanitaire internationale a été organisée par la France».

À la conférence de Paris, le commissaire européen chargé de l'aide humanitaire et de la gestion des crises, Janez Lenarčič, et plus de 20 ministres de différents pays, dont ceux voisins du Soudan, sont également présents. «La commission EU a engagé 355 millions d'euros en financement humanitaire et de développement pour le Soudan et ses voisins. Si l'on y ajoute l'engagement de 541 millions d'euros des États membres de l'UE, le soutien total de l'UE promis lors de la conférence sur le Soudan s'élève à 896 millions d'euros», a annoncé sur X Janez Lenarčič. Emmanuel Macron  a rappelé que «la France apportera en 2024 une aide humanitaire de plus de 110 millions d'euros pour le Soudan, portant à plus de 150 millions d'euros la réponse française depuis le début du conflit».

Si la conférence se termine sans résultats – que sur des annonces – au moins le monde aura pris connaissance du problème. Le président français, qui soutient une guerre meurtrière en Ukraine contre la Russie, a agité encore des mots lors de la conférence sur le Soudan: «Notre deuxième engagement est de soutenir un règlement négocié du conflit. La France soutient toutes les initiatives de paix internationales et régionales pour contribuer à la résolution de la crise». Mais, ce que l'UE et la France alloueront n'est toujours pas clair. Cette question sera définitivement résolue après la rencontre d'Emmanuel Macron avec le haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères et la politique de sécurité, Josep Borrell.

L'ONU  estime le montant de l'aide nécessaire au Soudan à 4,1 milliards de dollars. Le montant collecté pour le pays ne représente désormais que 5% de ce montant. Dans le même temps, les travailleurs du Programme alimentaire des Nations Unies, ainsi que d'autres organisations humanitaires, déclarent systématiquement que la nourriture et les médicaments au Soudan n'arrivent pas à leur destinataire. Il y a des réclamations contre les deux camps belligérants. Tous deux n'hésitent pas à commettre des vols.

Dans le pire des cas, le pays glisserait au niveau de son voisin, le Soudan du Sud, l'État le plus pauvre même selon les normes africaines. Une année de combats transforme systématiquement en ruines cette région déjà pauvre. Les participants à la conférence de Paris craignent que le conflit ne conduise à la fragmentation du Soudan en États séparés. Un grand pays, à tous égards, va disparaître.

La guerre civile a conduit à la plus grande crise migratoire au monde qui se reflète largement dans la migration interne, c'est-à-dire les mouvements à l'intérieur du pays depuis les villes touchées par les combats. Il existe cependant des signes d'une crise migratoire imminente à grande échelle qui pourrait à l'avenir également toucher l'Europe. Selon l'ONU, environ 1,8 million de Soudanais  ont fui et que le Tchad a connu le plus grand afflux de réfugiés de son histoire. C'est bien moins que ce qui s'est déplacé à l'intérieur du Soudan: il y a environ 6,7 millions de migrants internes.

Aujourd'hui, dans les zones d'opérations militaires, la situation s'est figée dans un état d'équilibre instable. Le RSF compte dans ses rangs des combattants plus expérimentés que les forces gouvernementales, dont beaucoup ont déjà combattu au Darfour. Le conflit entre la population noire locale et les milices arabes a duré dans cet État soudanais de 2003 à 2020. Soit dit en passant, le RSF contrôle désormais le Darfour, qui souffre depuis longtemps. Cependant, les forces spéciales ne disposent pas d'aviation et ne peuvent, donc, pas obtenir de succès décisif.

Pendant longtemps, l'Occident n'a pas souhaité entretenir de contacts avec le RSF, car nombre de ses combattants sont accusés d'être impliqués dans des crimes de guerre remontant au conflit du Darfour. Mais désormais, la situation semble changer. Le ministère britannique des Affaires étrangères négocie avec le RSF, pour lequel Londres est critiqué par les défenseurs des droits de l'homme. La conférence de Paris apparaît comme la preuve que la France est prête à jouer son rôle pour mettre fin à la guerre.

La question est de savoir ce qu'il se cache derrière cette aide humanitaire annoncée par l'Occident. Sur X, le jour de la conférence sur le Soudan à Paris, Mohamed Hamdan Daglo  a rappelé que «nous sommes un peuple de paix» et stipulé qu'il «reste ferme avec la paix», pour «un régime civil démocratique dirigé par de véritables forces démocratiques de toutes les régions du Soudan». Il a martelé qu'il «vise à revenir sur la voie de la transformation démocratique basée sur le principe d'une seule armée». «L'histoire du Soudan, en particulier à Khartoum, menace l'équilibre de la paix et de la sécurité dans la région africaine et met en danger la paix et la sécurité internationales», a-t-il en particulier averti.

Pierre Duval

La source originale de cet article est  Observateur continental

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