18/04/2024 investigaction.net  9 min #247051

Battage médiatique anti-Chine : les énergies vertes sont en jeu !

Elisabeth Martens


AFP

La Chine est accusée par l'administration états-unienne de « surcapacité » en matière de production d'énergie renouvelable. Début avril 2024, lors d'une entretien virtuel, le président américain Joe Biden a interpellé le président chinois Xi Jinping quant à la nécessité pour la Chine de créer des « conditions de concurrence équitables et égales » pour les travailleurs et les entreprises des États-Unis. L'accusation de déstabiliser l'économie mondiale s'est intensifiée depuis la visite en Chine de la secrétaire d'État américaine au Trésor, Janet Yellen, qui a déclaré que la Chine « inonde les marchés mondiaux de l'énergie avec de l'énergie verte bon marché. »

Après une première rencontre à Pékin en juillet 2023 de la secrétaire d'État américaine au Trésor, Janet Yellen, et du vice-premier ministre chinois, He Lifeng, des groupes de travail économiques et financiers se réunissent régulièrement par vidéo-conférences. Jusqu'à présent, le dialogue s'est largement concentré sur les questions économiques clés auxquelles sont confrontés les deux pays et sur leurs réponses politiques respectives.

Toutefois, Mme Yellen est retournée en Chine du 3 au 9 avril, dès le lendemain de la rencontre virtuelle entre Joe Biden et Xi Jinping. Après avoir rencontré des chefs d'entreprises américains implantés sur place, à Canton, centre industriel du sud du pays, elle s'est rendue à Pékin pour poursuivre son dialogue économique avec Mr He Lifeng, haut responsable des questions économiques au sein du Parti communiste chinois (PCC). Elle a mis l'accent sur la menace mondiale que représente la surcapacité de la Chine en ce qui concerne l'industrie verte. Washington s'inquiète tout particulièrement de la hausse des exportations chinoises à bas prix dans des secteurs tels que les véhicules électriques, les batteries lithium-ion ou encore les panneaux solaires, qui pourraient empêcher l'émergence et/ou le développement d'une industrie américaine en la matière.

Une semaine avant son départ pour la Chine, dans une usine de modules solaires Suniva près d'Atlanta, capitale de l'État de Géorgie, Mme Yellen avait expliqué à des entrepreneurs locaux qu'auparavant, la Chine avait déjà créé des surcapacités dans les secteurs de l'acier et de l'aluminium et qu'à présent, la Chine réitère le même scénario dans le secteur des énergies propres. Le soutien passé de Pékin à des secteurs comme l'acier et l'aluminium avait « conduit à un surinvestissement substantiel et à des surcapacités que les entreprises chinoises ont cherché à exporter à l'étranger à bas prix. Aujourd'hui, nous constatons des surcapacités dans les nouvelles industries comme l'énergie solaire, les véhicules électriques et les batteries lithium-ion », a-t-elle énuméré. « Les surcapacités chinoises faussent les prix mondiaux et les modèles de production, et nuisent aux entreprises et aux travailleurs américains », a-t-elle encore affirmé.(1) « La surcapacité n'est pas un problème nouveau, mais il s'est intensifié avec l'industrie verte.../... Notre inquiétude quant à la surcapacité n'est pas une politique anti-Chine, c'est un effort pour limiter le risque d'une inévitable dislocation de l'économie mondiale si la Chine n'ajuste pas ses politiques » (2), a-t-elle ajouté.

Les économistes américains ont longtemps considéré la crise des années 1970 comme un problème de surcapacité et, à l'époque, ils ont cherché à résoudre le problème en limitant, voire en réduisant, la capacité industrielle des pays rivaux. C'est ce qu'ils ont fait au Japon à partir des années 1990, puis actuellement en Europe en la forçant à se désindustrialiser, et maintenant, les États-Unis tentent de transposer un schéma identique à la Chine. Malheureusement pour eux, la Chine n'est ni le Japon ni l'Europe, mais une économie socialiste dont le gouvernement est orienté vers la promotion d'un développement égalitaire pour sa population.

La secrétaire au Trésor américain Janet Yellen serre la main du vice-Premier ministre chinois He Lifeng lors d'une réunion à Pékin, le 8 juillet 2023 (Photo : AFP/VNA/CVN).

Mme Yellen ne peut que constater que la Chine est prête à coopérer à condition que ce soit aussi dans l'intérêt de sa propre population et de la planète. La Chine ne s'aplatira pas devant les exigences des États-Unis, car celles-ci ne peuvent que nuire à l'économie chinoise, aux ouvriers et travailleurs chinois et à la possibilité de faire face au changement climatique, « tout cela uniquement pour faire avancer les intérêts des entreprises américaines improductives, inefficaces et financiarisées »(3), ajoute Radhika Desai, économiste marxiste.

Il est intéressant de noter ici la réaction de Radhika Desai, éminente économiste et animatrice de l'International Manifesto Group. Elle répond au battage médiatique sur la prétendue « surcapacité » de la Chine en matière de production d'énergie renouvelable en soulignant que, compte tenu du nombre de records climatiques battus en 2023, « on pourrait penser que tout le monde accueillerait favorablement l'abondance et le faible coût des équipements chinois en matière d'énergie propre » (3). En effet, les investissements sans précédent de la Chine dans les énergies solaire et éolienne ont entraîné une chute spectaculaire du coût de ces technologies dans le monde entier, donnant ainsi un coup de fouet aux efforts déployés par l'humanité pour éviter une catastrophe climatique.

« À l'heure où le monde a besoin d'équipements d'énergie propre plus nombreux et moins chers pour faire face au changement climatique, la Chine n'aide-t-elle pas le monde en rendant ces équipements plus largement disponibles à des prix abordables pour une plus grande partie de la planète ? C'est certainement ce dont le monde a besoin en 2024 » (3), argumente-t-elle.

L'année 2023 a battu de nombreux records climatiques, l'été a été le plus chaud de l'hémisphère nord, le mois de juillet 2023 a été le plus chaud jamais enregistré, les incendies de forêt et les inondations ont battu tous les records. Au vu de ces faits, on pouvait penser que tout le monde accueillerait favorablement les équipements énergétiques propres, abondants et bon marché, de la Chine. Manifestement, ce n'est pas le cas puisque les États-Unis accusent la Chine d'inonder le monde de ses exportations d'énergies propres bon marché, de fausser les marchés mondiaux et de nuire aux travailleurs.

A Pékin, Janet Yellen a encore rencontré son homologue Lan Fo'an, ainsi que le Premier ministre Li Qiang et le gouverneur de la banque centrale Pan Gongsheng. Elle a évoqué des « pratiques commerciales déloyales » et a mis en avant « les conséquences de la surproduction chinoise sur l'économie mondiale » en désignant les subventions que la Chine accorde à ses entreprises dans l'énergie solaire et de véhicules électriques (4). Elle a rappelé qu'un tel déséquilibre avait déjà menacé l'économie mondiale lors du soutien de Pékin aux secteurs de l'acier et de l'aluminium et qu'il ne faudrait pas commettre la même erreur avec les énergies vertes, sous peine de représailles.

En effet, les États-Unis s'inquiètent des retombées de ces subventions pour leurs propres industries et n'ont pas exclu d'ériger des barrières commerciales face à la concurrence chinoise. Interrogé sur le fait que les États-Unis eux-mêmes accordaient des subventions à leurs entreprises présentes dans le créneau de l'énergie propre, le responsable du Trésor américain s'est défendu en disant que les initiatives américaines ne risquaient pas d'inonder le marché mondial. L'ampleur des subventions chinoises est « bien plus importante »(1), a-t-il affirmé.

C'est que les États-Unis, en excellents élèves du marché libre, ne cherchent pas tant des avantages pour leur population, mais surtout pour leurs entreprises. Qui plus est, ils cherchent des solutions qui non seulement leur profitent, mais les placent dans une position dominante sur le marché mondial. Or de plus en plus d'entreprises américaines dans le secteur de l'énergie solaire, des véhicules électriques et des batteries lithium-ion ont des difficultés croissantes à rentrer dans leurs frais.

Le ministère américain du commerce fait face à des appels de plus en plus fréquents de la part des législateurs en faveur d'une augmentation des droits de douane sur les véhicules électriques chinois. Quant à l'Union européenne, elle a ouvert une enquête pour déterminer si l'industrie chinoise des véhicules électriques bénéficie de subventions déloyales. Cette enquête pourrait déboucher sur l'imposition de droits de douane destinés à protéger les constructeurs automobiles européens.(5)

Selon l'analyse de l'économiste marxiste Radhika, les subventions chinoises sont parfaitement conformes aux règles de l'OMC. Elle souligne qu'en ce qui concerne la soi-disant « distorsion des marchés » par le biais de subventions, « les États-Unis offrent des milliards de subventions industrielles et parlent de relancer la politique industrielle. De plus, ils nient le simple fait qu'aucun pays ne s'est industrialisé sans se protéger et sans utiliser une myriade de formes d'orientation de l'État, y compris les subventions. C'est d'ailleurs ce qui a défini les conditions d'entrée de la Chine dans l'Organisation mondiale du commerce en 2000. Les États-Unis n'ont accepté ces conditions que parce qu'ils supposaient que la Chine ne réussirait pas mieux que d'autres pays en développement à utiliser ces dispositions pour s'industrialiser et devenir un leader technologique. Ils se sont trompés. » (3)

Radhika poursuit en argumentant que la dégradation de la situation de la classe ouvrière américaine n'est pas due à la surcapacité chinoise, mais bien aux politiques néolibérales américaines favorables aux entreprises et à la financiarisation : « Les travailleurs américains ont été lésés au cours de toutes ces décennies néolibérales non pas par la Chine, mais par les politiques néolibérales américaines pro-entreprises et pro-financiarisation. Ces politiques néolibérales ont désindustrialisé les États-Unis, fait stagner les salaires de la classe ouvrière et, en déplaçant les revenus et les richesses des gens ordinaires vers une petite élite, généré de vastes inégalités. »

Références:

Source :  socialistchina

Traduction:  chine-ecologie.org

 investigaction.net

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