27/04/2024 les-crises.fr  10 min #247540

Netanyahou nous a conduit au bord de la guerre avec l'Iran

La terrifiante escalade des attaques entre Israël et l'Iran est le résultat prévisible de la volonté manifeste de Benjamin Netanyahou de déclencher une guerre avec l'Iran - rendue possible, comme tout ce que Netanyahou a fait depuis le 7 octobre, par Joe Biden.

Source :  Jacobin, Branko Marcetic
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

Benjamin Netanyahou prononce un discours sur la base aérienne de Palmachim, près de la ville de Rishon LeZion, le 5 juillet 2023. (Jack Guez / AFP via Getty Images)

Même dans un monde qui fonctionne pratiquement avec des niveaux industriels d'amnésie politique et d'hypocrisie, les événements de ces derniers jours ont été quelque chose. Voici le récit général que les fonctionnaires et les commentateurs des États-Unis, d'Europe et d'Israël se sont employés à vendre au monde depuis la rafale de frappes militaires de l'Iran sur Israël :

L'État iranien, un croisement entre Daech et le Troisième Reich, a imprudemment lancé une attaque non provoquée contre un Israël qui s'occupait de ses affaires, faisant monter les tensions entre les deux pays et amenant à lui seul la région au bord de la guerre. Cet incident, une escalade dangereuse et inexplicable qui n'a été stoppée que grâce à l'intervention opportune des partenaires d'Israël et des États voisins, rappelle le long passé de l'Iran en matière de terrorisme, de mépris du droit international et d'hostilité à la paix. Ceci souligne la nécessité urgente pour le Conseil de sécurité des Nations unies (CSNU) de condamner et même de sanctionner l'Iran, au minimum, si ce n'est de prendre les gants et de l'attaquer directement, voire de procéder à un changement de régime, afin qu'il cesse enfin de menacer inutilement Israël et ses autres voisins.

Il n'est pas nécessaire d'avoir une vision idéalisée du gouvernement répressif, théocratique et militariste de l'Iran pour comprendre que cette version intéressée des événements n'a pas grand-chose à voir avec la réalité

L'attaque de l'Iran, aussi alarmante et potentiellement désastreuse soit-elle, n'était ni inexplicable ni non provoquée. Elle répondait directement au bombardement scandaleux par Israël d'un bâtiment du consulat iranien en Syrie deux semaines auparavant, qui a tué deux généraux iraniens de haut rang et endommagé l'ambassade canadienne située à proximité. Les États-Unis ont tendance à critiquer sévèrement les autres pays qui violent l'inviolabilité des ambassades, allant même jusqu'à reprocher à Cuba le fait que les employés de son ambassade aient été frappés par une maladie probablement psychosomatique qui n'avait rien à voir avec un subterfuge étranger.

Pourtant, cette fois-ci, le gouvernement américain n'a même pas pris la peine de critiquer verbalement le bombardement très réel d'un bâtiment consulaire par Israël, se contentant d'intensifier le flux d'armes dans la foulée. En fait, alors que la plupart des membres du Conseil de sécurité ont condamné ou au moins exprimé leur horreur face à cette violation de normes internationales établies depuis longtemps, les États-Unis, la France et le Royaume-Uni ont refusé de le faire, profitant de l'occasion pour suggérer que c'était l'Iran qui était responsable de l'attaque contre son propre consulat.

Cela vient s'ajouter à une série de provocations au cours des six derniers mois de la part du gouvernement israélien qui, apparemment insatisfait des massacres qu'il a été autorisé à perpétrer à Gaza, a désespérément tenté de déclencher de multiples autres guerres dans ses environs immédiats.

Depuis le début de la guerre, Israël a régulièrement bombardé la Syrie et le Liban, y compris sa capitale Beyrouth, la dernière fois que les craintes d'une guerre régionale ont brièvement augmenté, puis se sont apaisées grâce à la seule volonté de la cible de ne pas mordre à l'hameçon. En ce qui concerne l'Iran uniquement, Israël a assassiné une série de personnalités militaires iraniennes avant ce dernier acte, qui équivaut à une frappe directe sur le sol iranien.

En d'autres termes, qualifier de provocation ce qu'a fait Israël l'autre semaine est un énorme euphémisme : il s'agit d'un acte de guerre pur et simple. Et le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou savait pertinemment qu'il susciterait une réponse destructrice de la part de l'Iran.

Le fait qu'Israël et d'autres pays aient pu abattre la quasi-totalité des centaines de drones et de missiles avant qu'ils ne causent des dégâts témoigne moins de leurs capacités militaires que du fait qu'il s'agissait d'un élément calculé de l'approche de l'Iran. Téhéran, qui tout au long de cette guerre n'a manifesté aucun intérêt pour une guerre directe avec Israël, a averti à l'avance les voisins d'Israël de l'imminence des frappes, ainsi que les États-Unis par voie diplomatique quelques jours avant l'attaque, tout en indiquant clairement qu'il n'était pas intéressé par une nouvelle escalade.

Cela devrait donner à réfléchir aux partisans d'Israël qui ont profité de l'échec de l'attaque pour se livrer à une danse de la victoire sur l'imprenabilité des défenses aériennes israéliennes et, partant, pour justifier la poursuite de l'escalade : dans une véritable guerre, l'Iran n'aura pas la courtoisie de télégraphier ses frappes plusieurs jours à l'avance.

Mais il y a des raisons de croire que même cette riposte iranienne, calibrée mais terriblement risquée, aurait pu être évitée. La mission permanente de l'Iran auprès des Nations unies a déclaré, au lendemain de l'attaque, qu'elle souhaitait une condamnation de l'attentat contre le consulat par le Conseil de sécurité des Nations unies, qui n'a jamais été prononcée. En fait, l'Iran s'est contenté, par le passé, d'accepter une telle condamnation comme alternative à une action militaire, comme lorsque les talibans ont attaqué le consulat iranien en 1998 et tué plusieurs de ses diplomates.

Mais nous ne saurons jamais si cela aurait pu suffire : l'administration Biden et les gouvernements britannique et français l'ont bloquée, l'ambassadeur américain prétendant qu'il n'était pas clair qui était responsable des bombardements, alors même que le Pentagone blâmait ouvertement Israël pour les frappes et que les responsables israéliens ont admis du bout des lèvres.

Pendant ce temps, le gouvernement israélien, une main sur le cœur et l'autre mélodramatiquement sur le front, invoque le droit international et s'adresse aux mêmes Nations unies qu'il a déclarées à plusieurs reprises antisémites et littéralement pro-Hamas.

Ce type d'hypocrisie - ignorer les deux pendant une minute, feindre bruyamment d'être choqué que quelqu'un d'autre le fasse la minute suivante - n'est pas une innovation exclusivement israélienne, comme le montre depuis longtemps le comportement de la Russie et des États-Unis. Mais ce qui est nouveau, c'est le niveau de culot total que les responsables israéliens ont rassemblé pour agir de la sorte, alors qu'ils ont passé les six derniers mois à piétiner le droit international plus que les pires États voyous du dernier demi-siècle. Il faudrait un petit livre pour énumérer toutes les violations commises par Israël au cours des six derniers mois :

  • Bombardements délibérés et aveugles de civils
  • Utilisation de la famine comme arme de guerre
  • Utilisation de phosphore blanc interdit
  • Assassinat d'un nombre record ou quasi record de journalistes, d'enfants, de travailleurs humanitaires et de personnel soignant, ainsi que d'employés et d'installations des Nations unies, qui ont tous été délibérément pris pour cible à différents moments
  • Destruction délibérée d'installations sanitaires, éducatives et religieuses
  • Violation d'une ordonnance de la Cour internationale de justice
  • Ignorance d'une résolution de l'ONU sur le cessez-le-feu
  • Bombardement délibéré d'une ambassade

Israël a été soutenu par ce que les responsables américains appellent affectueusement la « communauté internationale », dont les États partenaires n'ont pas dit grand-chose au sujet du bombardement contre l'ambassade d'Iran, s'alignant maintenant publiquement pour prétendre que l'attaque de l'Iran est venue de nulle part et que c'est celle-ci qui a réellement amené la région au bord de la guerre. Nombre de ces déclarations s'accompagnent d'une insistance sur le fait qu'Israël a le droit de riposter et d'un appel à la retenue de la part de l'Iran.

Si cela vous semble un peu incohérent, utilisez cette simple formule : l'État qui exerce les représailles est-il un allié ou un partenaire des États-Unis ? Si oui, ce qu'il fait est approprié, proportionnel et conforme aux « règles » de l'« ordre fondé sur des règles », et le destinataire doit faire preuve de retenue.

Si ce n'est pas le cas, il s'agit d'une escalade illégale, imprudente et injustifiable, et presque tout est acceptable de la part du destinataire en guise de réponse.

C'est évidemment hypocrite, mais c'est aussi pire : c'est inefficace pour prévenir une guerre plus étendue, puisque la retenue et la désescalade ne fonctionnent pas si une seule partie est pressée de le faire.

La question la plus importante est maintenant de savoir ce qui se passera ensuite. Le gouvernement iranien a déclaré publiquement qu'il considérait l'affaire comme « conclue », c'est-à-dire qu'il estimait en avoir fait assez pour sauver la face après l'attaque israélienne et qu'il était prêt à se retirer. Washington est manifestement désireux de faire de même : Joe Biden aurait appelé Netanyahou pour lui dire qu'Israël n'obtiendrait aucun soutien des États-Unis pour une frappe de représailles ni ne l'exhorterait à « remporter la victoire ». Certains signes indiquent que ces paroles fermes pourraient avoir empêché une contre-attaque immédiate, les responsables israéliens ayant prévenu que l'Iran en paiera le prix à un moment donné dans le futur.

Ce serait le meilleur résultat d'une situation très, très dangereuse : une guerre régionale est évitée, les États-Unis ne sont pas entraînés dans une autre guerre stupide au Moyen-Orient, et aucun civil innocent n'est tué de chaque côté.

Mais il est loin d'être évident que cela sera le cas, même si les choses sont actuellement calmes. Comme l'ont souligné de nombreux analystes, Netanyahou et son entourage ont beaucoup à gagner personnellement à déclencher une guerre à l'échelle de la région qui attire les États-Unis, et ils ont d'ailleurs passé une grande partie de leur processus de destruction de Gaza à essayer de le faire par intermittence, ce que même Biden a reconnu en privé.

Le fait que le président ne veuille pas de cela et se soit engagé à ne pas soutenir les représailles israéliennes (et que Netanyahou aurait répondu qu'il comprenait son avertissement) n'est pas d'un grand réconfort. Biden s'est montré incapable, voire réticent, à défier Netanyahou ou à sanctionner son intransigeance tout au long de la guerre, et si Israël riposte à son tour aux représailles de l'Iran, l'appel téléphonique du président sera sans objet : une fois que Netanyahou aura réussi à piéger son pays dans une guerre ouverte avec l'Iran et ses alliés régionaux, il n'y a pratiquement aucune chance que Biden résiste à la pression écrasante d'insérer les forces américaines dans la mêlée pour défendre Israël du pétrin dans lequel il s'est fourré.

Le seul espoir à ce stade sera que le Congrès - qui, comme l'a souligné Biden à juste titre, est le seul à avoir le pouvoir constitutionnel de déclarer la guerre, du temps où c'était Donald Trump qui menaçait de déclencher une guerre idiote avec l'Iran - refuse de sanctionner quoi que ce soit. Mais le Congrès a depuis longtemps cédé sa responsabilité de faire la guerre au président, et ce Congrès en particulier n'a montré aucune envie de contrôler Biden sur ses guerres, même lorsque, comme avec son soutien inconditionnel au génocide gazaoui, elles ont été désastreuses pour les intérêts américains et ont menacé de détruire sa présidence.

La tragédie ridicule et exaspérante de tout ceci est que cela aurait pu être facilement évité à n'importe quel moment au cours des six derniers mois. Les analystes et même les fonctionnaires de Biden ont craint que la guerre d'Israël ne déclenche une catastrophe régionale dès le début, et grâce à une combinaison de chance, de diplomatie en coulisses et de retenue de la part des ennemis d'Israël, elle a pu être évitée. Mais plus la guerre dure, plus les risques d'une telle catastrophe augmentent. Et malheureusement, le président a décidé de laisser les choses se poursuivre pendant des mois et des mois sanglants, jusqu'à ce que nous en arrivions là.

Biden pourrait encore empêcher ce désastre en faisant ce que tant de présidents américains ont fait dans le passé, en mettant enfin les pieds dans le plat, au-delà des appels téléphoniques sévères et des fâcheries privées, et en coupant réellement le soutien matériel des États-Unis à la guerre qu'Israël ne peut pas mener seul. Pourtant, le président s'y oppose depuis des mois, même si cette décision est de plus en plus logique d'un point de vue politique et stratégique. Il serait agréable de penser qu'il s'agit enfin du point de rupture. Mais nous avons déjà pensé cela à maintes reprises.

Branko Marcetic

Branko Marcetic est un des rédacteurs de Jacobin, il est aussi l'auteur de Yesterday's Man : The Case Against Joe Biden (L'homme du passé, le dossier contre Joe Biden, NdT). Il vit à Chicago, dans l'Illinois.

Source :  Jacobin, Branko Marcetic, 15-04-2024

Traduit par les lecteurs du site Les-Crises

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