10/05/2024 reseauinternational.net  7min #248353

 La grande aventure de Xi Jinping pour garder l'Europe ouverte et solidaire

Comment Xi Jinping a brisé les rêves de l'Occident ?

par Philippe Rosenthal

Le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, lors de sa visite en France n'a pas réalisé de concessions stratégiques.

Les résultats de la visite de deux jours en France du président chinois, Xi Jinping, ont été commentés sans enthousiasme apparent par les médias occidentaux. «Le président chinois, Xi Jinping, a quitté la France mardi après un voyage de deux jours au cours duquel il n'a proposé aucune concession majeure en matière commerciale ou de politique étrangère, alors même que le président français, Emmanuel Macron, l'a pressé sur l'accès au marché économique chinois et sur la question de l'Ukraine»,  a signalé Reuters.

Le contexte

Xi Jinping a visité des pays européens pour la première fois en cinq ans à l'exception de sa visite en Russie en mars 2023. Le 5 mai, il est arrivé à Paris où il a eu des entretiens avec Emmanuel Macron à l'Élysée. Puis, le président français a voulu donner un signe de confiance en invitant le président chinois au Tourmalet dans les Pyrénées. «Avec de l'agneau et du fromage, Emmanuel Macron a tenté de charmer le Chinois Xi Jinping dans les Pyrénées», a titré Reuters pour signaler l'échec du président français.

Dans la soirée du 7 mai, Xi Jinping est arrivée en Serbie où il a participé avec le président serbe, Alexandar Vučić, à une cérémonie consacrée au 25ème anniversaire du bombardement de l'ambassade de Chine à Belgrade par l'OTAN. Du 8 au 10 mai, le président chinois est à Budapest où il négocie avec le Premier ministre hongrois Viktor Orbán.

Pourquoi la France, la Serbie et la Hongrie ?

Il y a 60 ans, la France est devenue le premier grand État occidental à établir des relations diplomatiques avec la République populaire de Chine au niveau des ambassadeurs, tandis que les franco-chinoises ont longtemps été à l'avant-garde des relations entre la Chine et l'Occident.

La Serbie est le principal partenaire stratégique de la Chine en Europe centrale et orientale, et s'appelle «l'amitié de fer». La Hongrie, à son tour, est également un pays important pour la Chine dans la région, ainsi qu'un partenaire clé dans la promotion de l'initiative mondiale en Chine.

À la veille de la visite de Xi Jinping en France, trois tâches principales ont été listées pour les négociations d'Emmanuel Macron avec le dirigeant chinois. Tout d'abord, les Européens sont préoccupés par le grave déséquilibre commercial avec la RPC. Selon le chef de la diplomatie européenne, Josep Borrel, le déficit commercial de l'année dernière a atteint 291 milliards, soit 1,7% du PIB de l'UE.

La Commission européenne s'inquiète surtout de l'afflux de véhicules électriques en provenance de Chine. L'UE, à la suite des États-Unis, affirme que les fabricants chinois de voitures électriques bénéficient d'avantages concurrentiels déraisonnables en raison des subventions à grande échelle qui leur sont accordées par les autorités chinoises.

Toutefois, Xi Jinping a déclaré que les problèmes de capacité excédentaire en Chine n'existaient pas en termes d'avantages comparatifs ou en termes de demande mondiale. En Europe, cela a été traduit par le fait que les progrès dans les négociations sur ce sujet sont aujourd'hui très douteux.

Pour la deuxième question concernant l'extension de l'accès aux produits européens aux marchés chinois, c'est aussi un échec. Il en va de même pour les tentatives visant à persuader la Chine de cesser de coopérer avec la Russie. Il est clair que la Chine n'est pas prête à abandonner la position jusque-là bien définie, selon laquelle ses relations avec Moscou n'ont pas besoin d'être évaluées par des pays tiers.

Les Chinois ont constamment démontré la bonne volonté des interlocuteurs français, mais ils n'ont pas fait de concessions tangibles sur les questions les plus importantes. «La visite de Xi Jinping en France ne parvient pas à dissiper les nuages qui pèsent sur les relations bilatérales»,  souligne Le Monde. «Lorsqu'ils ont atteint le col du Tourmalet, dans le sud-ouest de la France, un épais blizzard a accueilli les deux chefs d'État : la séance photo espérée n'a pas eu lieu», précise le quotidien français pour traduire l'ambiance entre les deux chefs d'État.

Le dirigeant chinois est devenu le gagnant à la fin de la visite en France, renforçant son image du dirigeant du monde, révélant la faiblesse des dirigeants occidentaux car ils lui demandent de résoudre leurs problèmes.

Les entreprises françaises et chinoises ont conclu un certain nombre d'accords sur l'énergie, le financement et les transports, mais la plupart d'entre eux ne sont rien d'autre que des mémorandums d'accord pour commencer la coopération ou reprendre les projets communs précédemment abandonnés.

Le président de la République populaire de Chine peut avouer un atout. À Pékin, il n'est manifestement pas question de jouer sur les différences entre l'UE et Washington, préparant le terrain pour un rapprochement plus poussé, qui deviendra particulièrement pertinent si, après les élections de novembre, la Maison-Blanche revient à Donald Trump qui ne cache pas son attitude hostile à la fois à l'Europe et à la Chine.

Le choix de Paris comme première escale devant la Serbie et la Hongrie elle-même est devenu  un message, note le chroniqueur de Bloomberg, Lionel Laurent. Alors que les deux derniers pays servent de vitrine des investissements chinois réussis aux frontières de l'Union européenne, la France est devenue un lieu où la Chine espère faire le pas entre l'UE et les États-Unis. «Les discours positifs sur les tarifs douaniers sur les produits de luxe ne peuvent cacher la tristesse alors que les dirigeants français et chinois se disputent», précise Lionel Laurent.

L'Ukraine et les rêves brisés de l'Occident

Dans le même temps, l'Ukraine est un vaste domaine de déception, alors que la Chine se rapproche de la Russie, tout en répétant à Emmanuel Macron qu'elle ne soutiendra pas activement les efforts militaires de Moscou. Cette dernière position aurait pu sembler avoir été une percée pour la France, mais elle est, en fait, perçue comme un simple accueil diplomatique.

Contrairement à la scission sino-soviétique, qui a créé les conditions du rapprochement de l'Occident avec les Chinois dans les années 1960, Pékin et Moscou sont intéressés à être les opposants à l'ordre dirigé par les États-Unis.

En allant vers l'est, Xi Jinping laisse une réalité plus sobre à Paris. Les rêves de l'Occident sont brisés, résume le chroniqueur Bloomberg.

Un regard de Pékin

En Chine, sans aucun doute, les résultats de la visite de Xi Jinping sont perçus comme extrêmement fructueux. Tout d'abord, il s'agit du consensus entre la République populaire de Chine et la France sur la lutte contre l'hégémonie américaine.

Au cours des cinq dernières années, les relations entre la Chine et l'Europe ont connu des hauts et des bas, y compris pendant la pandémie de COVID-19 et le conflit russo-ukrainien.

Pékin estime qu'il est particulièrement important que l'Europe adhère aux principes selon lesquels ses relations avec la Chine ne visent aucun tiers.

Dans cette situation, le dirigeant chinois a lancé un signe destiné à montrer que - de manière indépendante - l'évolution de la situation internationale, la volonté de la Chine d'étendre sa coopération avec l'Europe et de soutenir son autonomie stratégique de l'Europe, tout cela reste inébranlable.

En ce qui concerne les différences de valeurs, de systèmes politiques et de modèles de développement, cela ne constitue pas un obstacle à la coopération mais une base pour l'échange d'expériences et la complémentarité. Pour la Chine, l'Europe est une opportunité, et non un risque, un partenaire, et non un rival.

source :  Observateur Continental

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