10/05/2024 infomigrants.net  7 min #248392

« Commandement d'élite » contre les passeurs, annulation du Plan Rwanda : le Labour présente son plan pour freiner les traversées de migrants

Le chef du parti travailliste britannique, Keir Starmer, présente son plan contre l'immigration clandestine, dans le Kent, le 10 mai 2024. Crédit : Reuters

Face aux arrivées illégales de migrants au Royaume-Uni, le Labour promet d'employer les grands moyens. Ce vendredi 10 mai, Keir Starmer, le chef du parti travailliste britannique, s'est rendu près de Douvres, d'où débarquent régulièrement de nombreux exilés dans le pays, pour dévoiler officiellement son plan  contre les réseaux de passeurs derrière les traversées clandestines de la Manche.

Un plan qu'il compte mettre en place si le Labour remporte les prochaines élections législatives au Royaume-Uni, prévues d'ici janvier 2025.

InfoMigrants résume les mesures annoncées et les points phares de son projet.

Stopper le Plan Rwanda

Globalement, celui qui pourrait prochainement faire son entrée à Downing Street a adopté une posture de grande fermeté face  aux arrivées de migrants au Royaume-Uni, qui sont nettement reparties à la hausse depuis le début de l'année. Keir Starmer fustige d'ailleurs la gestion de la question migratoire par le gouvernement de Rishi Sunak, l'actuel Premier ministre conservateur, qui a fait de la lutte contre l'immigration clandestine une de ses priorités.

Mais le dirigeant travailliste se place surtout en rupture totale  avec le Plan Rwanda, défendu par l'exécutif, mais jugé coûteux et inefficace par le Labour.

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Ce plan, adopté dans la nuit du 22 au 23 avril, prévoit d'envoyer sous la contrainte des exilés primo-arrivants sur le sol britannique vers ce pays d'Afrique de l'Est afin d'y faire examiner leur demande d'asile. Les  premières interpellations de demandeurs d'asile en vue de leur expulsion au Rwanda ont d'ailleurs déjà commencé la semaine dernière, avec l'objectif de faire décoller  les premiers vols en juillet.

Très critique de cette loi, Keir Starmer entend totalement l'abandonner si son parti arrive au pouvoir, comme le prédisent les sondages. Le Britannique promet donc de "remplacer les gadgets par un vrai travail" et de gérer la question migratoire en luttant avant tout contre les passeurs.

Mise en place d'un "commandement d'élite chargé de la sécurité des frontières"

Concrètement, Keir Starmer s'engage à réaffecter les fonds du programme rwandais - dont le coût est estimé à 541 millions de livres sterling sur cinq ans, précise  The Guardian - à la création d'un nouveau "commandement d'élite de la sécurité des frontières". Ce dernier pourrait travailler en coordination avec les agences d'autres pays européens. Le chef travailliste a d'ailleurs plaidé pour davantage de coopération internationale et un "nouveau partenariat" avec l'organisme européen Europol.


Des embarcations de migrants dans la Manche, le 4 mai 2024. Crédit : Reuters

Il entend ainsi faire du Royaume-Uni un "territoire hostile" pour les réseaux de trafiquants qui organisent les périlleuses traversées de la Manche sur des embarcations de fortune. "Nous vous trouverons, nous vous arrêterons, nous protègerons vos victimes", a-t-il lancé lors de son discours ce vendredi.

Embauche de centaines d'enquêteurs spécialisés contre les passeurs

Parmi les mesures du Labour figure aussi une augmentation des contrôles à la frontière, autorisés en vertu de la législation antiterroriste. À ce sujet, Keir Starmer est clair : s'il remporte les législatives et devient Premier ministre, son parti emploiera des moyens inspirés de la lutte anti-terroriste afin de s'attaquer aux arrivées clandestines de migrants.

"J'utiliserai le MI5 [le service de renseignement responsable de la sécurité intérieur du pays, NDLR] pour aider à démanteler les réseaux de passeurs, qui ne valent pas mieux que les terroristes", a déclaré le chef du parti travailliste auprès du média britannique  The Sun, le 9 mai.

People have a right to expect security at our borders.

When I was the country’s chief prosecutor, we smashed terrorist gangs abroad.

If I’m privileged enough to become Prime Minister, we will smash the people-smuggling gangs.
I'll use MI5 to help smash boat smugglers - who are no better than terrorists
SUN readers have a right to expect security at our borders. And they have a right to expect their government to protect that security at every turn.Bu
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Cet ancien procureur général souhaite utiliser 75 millions de livres  du fonds pour le Plan Rwanda pour financer l'embauche de centaines d'agents spécialisés dans la lutte contre le trafic d'êtres humains, d'agents de renseignement, et de policiers transfrontaliers supplémentaires.

Plus précisément, il veut étendre les compétences de ces agents et leur attribuer de nouveaux pouvoirs, d'habitude réservés à la bataille contre le terrorisme : la possibilité de mener des enquêtes financières, d'interpeller les passeurs présumés, de les fouiller et de saisir leur téléphone portable.

Cette mesure concerne "toute personne franchissant la frontière et soupçonnée de trafic de migrants", indique Keir Starmer. "Nous utiliserons ces nouveaux pouvoirs pour accéder aux comptes bancaires, surveiller l'utilisation d'internet et suivre les mouvements des criminels au sein des gangs", détaille-t-il encore dans The Sun.


Carte des mouvements de migrants à la frontière maritime franco-britannique.

"La question est désormais de savoir si on peut donner la priorité, à tout moment, à la politique des solutions pratiques et rejeter la politique des symboles performatifs, des gadgets et de la gestuelle", a affirmé Keir Starmer, raillant ainsi la politique migratoire de Rishi Sunak.

"Rebâtir l'intégrité de notre système d'asile"

Le plan du parti travailliste prévoit également de "rebâtir l'intégrité et les règles de notre système d'asile". Ainsi, des centaines de travailleurs sociaux seront recrutés pour une nouvelle unité chargée d'étudier les demandes d'asile. "Nous maintiendrons la tradition dont nous sommes fiers en tant que nation, qui consiste à soutenir ceux qui fuient les persécutions", assure le député.

Selon un récent rapport parlementaire qui dresse un bilan s'arrêtant en juin 2023, 215 500 demandeurs d'asile sont en attente d'une réponse à leur dossier. Un chiffre qui a "plus que doublé" par rapport à 2015, notent les auteurs. Parmi ces dossiers, 138 000 attendaient une première réponse à leur demande de protection.

Toutefois, dans le même temps, Keir Starmer a annoncé dans The Sun qu'il mettra fin à  l'usage d'hôtels pour héberger les demandeurs d'asile, "qui coûte au contribuable près de 8 millions de livres sterling par jour", écrit-il.

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Comme le rappellent les journalistes  du Guardian, cette politique migratoire axée en priorité sur les passeurs est loin de satisfaire certaines ONG britanniques d'aide aux migrants, qui demandent la mise en place de nouvelles routes sûres et légales pour les demandeurs d'asile. La plupart fuient la guerre et la persécution, et se retrouvent sans autre choix que de devoir risquer leurs vies en  prenant de petites embarcations pour traverser la Manche.

Selon le Home Office britannique, près de 9 000 personnes ont traversé la Manche depuis le début de l'année 2024. Sur la même période l'année dernière, elles étaient 6 691. La journée du 1er mai 2024 constitue à elle seule un record :  plus de 700 personnes ont atteint les côtes anglaises ce jour-là.

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