17/05/2024 investigaction.net  6min #248769

Les Brics anticipent la chute du dollar

Saïd Bouamama

Les différentes affirmations de souveraineté nationale à travers le monde ainsi que la politique d'émancipation monétaire des BRICS bousculent l'hégémonie du dollar. L'un des outils de chantage US de moins en moins « performant » pour faire obéir les Etats qui refusent de se conformer aux intérêts impérialistes américains. A l'avenir et plus qu'hier, c'est sur le terrain économique et financier que va se durcir la contradiction entre unilatéralisme occidental et vision multipolaire des pays du Sud (I'A).

Le temps où les Etats-Unis dictaient leur loi à l'ensemble de la planète semble loin dernière nous si l'on prend en compte ce qui relie de nombreux évènements, en apparence sans lien, depuis plusieurs semaines.

Bien sur, Washington et ses alliés disposent encore de nombreux moyens d'action ouverts ou cachés, légaux et illégaux, pour imposer leurs intérêts mais ils se heurtent de plus en plus fréquemment et de plus en plus fortement à des affirmations de souveraineté nationale dans tous les domaines, du militaire à l'économique, du politique au diplomatique.

Sans être exhaustif il n'est pas inutile de rappeler quelques faits, saillants dans ce domaine, de ces dernières semaines.

Regain de souverainetés

Commençons sur le plan militaire où les Etats-Unis disposent officiellement de 800 bases militaires à l'étranger regroupant près de 200 000 soldats, soit près de 10 % du personnel militaire états-unien total. En comparaison, la Russie ne compte qu'une vingtaine de bases militaires à l'étranger situées essentiellement sur les territoires des anciennes républiques soviétiques. La Chine, pour sa part, ne compte qu'une base militaire extérieure située à Djibouti.

En dépit de cette situation, l'annonce en février 2024 de l'ouverture d'une base militaire russe en Centrafrique a donné lieu à une série de déclarations occidentales sur le danger impérialiste russe. Les annonces de projets similaires au Burkina Faso, au Soudan et au Niger ont été commentées massivement selon le même leitmotiv.

Rien de nouveau sous le soleil de la propagande états-uniennes à part le fait que celle-ci se heurte de plus en plus à la sourde oreille d'un nombre grandissant d'Etats.

Tel est le cas au Niger, où le gouvernement a non seulement demandé aux Etats-Unis de rapatrier ses soldats cantonnés dans deux bases en territoire national mais a aussi réagi rapidement aux lenteurs d'exécution de Washington. Devant la lenteur états-unienne à quitter le sol nigérien au prétexte qu'il faut du temps pour pouvoir relocaliser les troupes dans des pays voisins, le gouvernement nigérien a tout simplement autorisé le gouvernement russe à déployer ses soldats dans ces deux bases avant même le départ des troupes états-uniennes. Il s'agit en quelque sorte d'avertir et d'anticiper d'éventuelles velléités de rester de forces sur le territoire national.

Après le retrait des troupes françaises du Mali, du Niger et du Burkina Faso et après la création en mars dernier de l'Alliance des Etats du Sahel qui comporte la création d'une force militaire conjointe, c'est bien une souveraineté de défense nationale qui s'exprime désormais face aux habitudes d'ingérence de la France, des Etats-Unis et de l'OTAN.

Visions politiques opposées

Sur le plan politique, la victoire électorale du candidat de l'opposition, Bassirou Diomaye Faye, renforce le poids des forces souverainistes dans la région. S'il est encore trop tôt pour évaluer l'impact sur la région de cette victoire démocratique, elle est indéniablement perçue comme un signe d'espoir pour tous ceux qui espèrent une rupture avec les politiques néocoloniales.

De nombreux commentateurs de presse se sont efforcés d'opposer l'expérience sénégalaise, d'une part,et celle de l'Alliance des Etats du Sahel, d'autre part. La première est décrite comme démocratique et la seconde comme dictatoriale. Il s'agit, une nouvelle fois, de diviser pour mieux régner, d'opposer pour mieux manœuvrer, de flatter pour mieux manipuler.

Sur une autre question, celle du génocide subit par le peuple palestinien, les Etats-Unis viennent également de recevoir un camouflet mondial suite au vote, par 143 Etats sur 194, d'une résolution de l'Assemblée générale des Nations-Unies appelant à reconnaître comme Etat membre l'Etat de Palestine.

Il s'agit d'un camouflet pour Washington car ce sont les vétos successifs des USA au Conseil de sécurité qui bloquent l'adhésion palestinienne. La Colombie a même décidé de rompre ses relations diplomatiques avec l'Etat sioniste et la Turquie a été contrainte, devant la mobilisation de son opinion publique, de rompre ses relations commerciales avec Tel-Aviv.

Le nerf de la guerre

C'est sur le plan économique, bien entendu, que se situe le terrain d'affrontement principal entre l'unilatéralisme états-unien et le monde multipolaire en émergence. En témoigne la déclaration le 3 mai dernier du représentant russe au Fonds monétaire international, Alexey Mozhin.

Celui-ci estime en effet que « les BRICS doivent se préparer à un effondrement possible du système monétaire international. Il est envisageable d'anticiper cette crise par la création d'une monnaie construite sur un panier de monnaies des pays membres. Une telle proposition est en chantier. En cas d'effondrement du dollar et du système monétaire international, il sera bien sur nécessaire de transformer ladite unité comptable des BRICS en une véritable monnaie ».

Cette annonce prolonge les projets d'accélération de la dédollarisation, annoncée par les BRICS au début de l'année 2024. L'objectif pour cette année est d'atteindre 30 % des échanges libellé dans une autre monnaie que le dollar.

Ainsi, en janvier dernier, le Vice-ministre russe des finances, Ivan Chebeskov, déclarait que «la plupart des pays des BRICS estiment que les paiements en monnaies nationales sont nécessaires. Nous sommes déjà une grande famille avec dix nations. La plupart soutiennent la nécessité de créer de nouveaux mécanismes de paiement et partagent leur expérience en matière de développement de monnaies numériques des banques centrales ».

Monnaie alternative

Autrement dit, les BRICS (Brésil - Russie - Inde - Chine- Afrique du Sud) tentent de se libérer du réseau SWIFT en créant un système de paiement international alternatif.

Rappelons que le réseau international de paiement SWIFT regroupe des milliers d'institutions financières dans l'ensemble des pays du monde. Le pouvoir qu'ont les Etats-Unis de déconnecter un pays du réseau SWIFT a des effets économiques immédiats. En effet, les échanges économiques deviennent beaucoup plus compliqués et ont tendance à chuter rapidement.

La menace de déconnexion est une arme de chantage importante qui a déjà été utilisé à plusieurs reprises, à savoir deux fois contre l'Iran, une fois contre la Corée du Nord et actuellement contre la Russie comme sanction contre ce pays en raison de la guerre en Ukraine. La deuxième banque russe, VTB a ainsi annoncé pour l'année 2022 une perte de 612 milliards de roubles du fait de la déconnexion du réseau SWIFT. Seul le développement des échanges en d'autres monnaies a permis à la Russie de ne pas sombrer économiquement.

En ouvrant les chantiers de la dédollarisation et de la création, à terme, d'un nouveau système de paiement international basé d'abord sur une unité comptable nouvelle commune puis, à terme, sur une nouvelle monnaie internationale, c'est un des moyens essentiels de pression des Etats-Unis qui est attaqué.

Saïd Bouamama

Pour aller plus loin :

Laurent Lagneau, Au Niger, les forces américaines et les « instructeurs » militaires russes cohabitent sur la base de Niamey, Zone militaire du 3 mai 2024, consultable sur le site :  opex360.com

« Lesq BRICS peuvent offrir une alternative si le dollar s'effondre, déclare le directeur russe du FMI », 5 mai 2024, consultable sur le site :  news.dayfr.com

Source :  Investig'Action

 investigaction.net