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 «Un tournant»: Assange obtient le droit de faire appel face de la demande d'extradition américaine

Les derniers jours de Julian Assange

Par  Matt Kennard

Le verdict de la Haute Cour de Londres permettant à Assange de faire appel de l'ordre d'extradition vers les États-Unis ne signifie pas qu'il sera libéré de la prison de haute sécurité de Belmarsh où, selon Nils Melzer, rapporteur de l'ONU sur la torture, il subit une « exécution à petit feu » depuis 5 ans. Sa santé physique et mentale va continuer à se détériorer. Cet article donne un aperçu de ce qui l'attend s'il est extradé (s'il survit jusque-là).

Julian Assange pourrait bientôt être extradé aux États-Unis pour y être jugé du « crime » d'avoir révélé des crimes de guerre. Ce qui l'attend là-bas est terrifiant au plus haut point.

Par Matt Kennard,  Declassified UK, le 14 mars 2024

Babar Ahmad a été extradé de Grande-Bretagne vers les États-Unis en 2012, accusé d'avoir « fourni un soutien matériel au terrorisme ». Son seul crime ? Avoir publié sur son site web deux articles qui exprimaient du soutien pour le gouvernement taliban en Afghanistan.

Il a passé huit ans à lutter contre l'extradition, mais lorsqu'elle a finalement eu lieu, il a traversé l'Atlantique à bord d'un avion d'affaires au départ de Mildenhall, une base aérienne de la Royal Air Force située dans le Suffolk. Il n'avait aucune idée de ce qui l'attendait.

« Je crois qu'il s'agissait d'un avion de douze places », me dit Ahmad. « Trois sections de quatre sièges. Il y a donc deux grands sièges qui se font face. De grands sièges en cuir, carrés et confortables. »

À l'extérieur, il faisait nuit noire.

Ils n'arrêtaient pas de demander : « Avez-vous besoin de quelque chose ? Voulez-vous un verre d'eau ? J'ai répondu : « Est-ce que je peux avoir quelque chose à lire ? ».

Le fonctionnaire américain lui a donné un bulletin d'information destiné aux travailleurs du secteur public. « Je lisais les résultats de baseball du Connecticut, un truc comme ça. »

Assis dans l'avion, il n'y a pas eu de discussion, mais à un moment donné, on lui a demandé s'il avait faim. Ahmad a répondu par l'affirmative.

« Ils sont venus et m'ont donné un paquet de MRE : des repas prêts à être consommés. Un gros paquet. Ils m'ont démenotté la main droite pour que je puisse manger ».

Pendant qu'il mangeait, un fonctionnaire de la sécurité intérieure américaine est arrivé et s'est assis en face de lui. « Son travail consiste à faire la conversation, à essayer de vous soutirer des informations et à vous arracher une sorte d'aveu qu'il pourra ensuite utiliser contre vous », explique Ahmad.

« J'ai fait la conversation sur des sujets indifférents, et chaque fois qu'une question liée à l'affaire était abordée, je disais simplement "Ecoutez, je suis désolé, je ne peux pas parler de ça." ».

Ahmad affirme que le fonctionnaire utilisait la technique du « bon flic ». « Il essayait d'établir un lien, de parler de l'enfance, ce qui n'est qu'une conversation normale, comme deux étrangers qui discutent normalement. Ils font cela pour vous mettre à l'aise. Mais la raison sous-jacente n'est évidemment pas de bavarder, c'est d'établir une connexion pour que vous vous ouvriez et que vous puissiez répondre à leurs questions ».

Le fonctionnaire américain a dit à Ahmad qu'il enquêtait sur lui depuis 11 ans et qu'il avait fait 30 voyages au Royaume-Uni à cette fin.

« Il m'a ensuite dit qu'il était resté cinq jours en Grande-Bretagne pour attendre la fin de mon procès. "J'ai même raté le nouvel épisode de Homeland, a-t-il dit, parce que j'étais dans cette situation. Vous me l'avez fait rater." Mi-blague, mi-sérieux ».

Ahmad raconte qu'à un moment donné, cela l'a fatigué et il a dit qu'il voulait s'allonger.

« Ils m'ont laissé m'allonger sur le sol, mais c'était difficile », dit-il. « Je ne pense pas avoir dormi. C'était vraiment difficile de se mettre à l'aise parce qu'on ne peut pas s'étirer et qu'on est entravé. Quelle que soit la position que j'ai essayé, ce n'était pas possible.

Assurances

Le journaliste australien Julian Assange pourrait bientôt se retrouver à la place d'Ahmad, menotté et dans un avion à destination des États-Unis.

En janvier 2021, la juge Vanessa Baraitser a bloqué l'extradition du Royaume-Uni vers les Etats-Unis en déclarant qu'une telle mesure serait « oppressive » en raison de la santé mentale du fondateur de WikiLeaks.

Les États-Unis ont eu la possibilité de faire appel et la décision de Mme Baraitser a été annulée par le président de la Cour suprême, Ian Burnett, qui a accepté les garanties données par les États-Unis concernant le traitement d'Assange. Ce juge était un «  bon ami » de 40 ans du ministre britannique qui a orchestré la saisie d'Assange en avril 2019.

Jennifer Robinson, l'avocate d'Assange en Grande-Bretagne depuis le début de ses ennuis judiciaires, m'a déclaré que « Les États-Unis n'ont pas contesté les résultats médicaux, de sorte que la conclusion médicale et les preuves restent les mêmes, à savoir que s'il est extradé dans des conditions d'isolement, il sera amené à se suicider. »

Les États-Unis ont toutefois donné l'assurance qu'ils ne le placeraient pas dans ce type de conditions carcérales.

« Il s'agit d'une assurance conditionnelle », précise Mme Robinson, « ce qui signifie qu'à tout moment, une fois qu'il sera incarcéré aux États-Unis, les services de renseignement pourront décider qu'il a fait quelque chose qui justifie l'application de ces conditions d'emprisonnement en isolement complet ».

Cette situation est extrêmement préoccupante, ajoute-t-elle. « Vous avez des agences qui ont essayé de l'enlever et de l'assassiner et qui auraient le pouvoir de le placer dans ce genre de conditions d'isolement sans que nous puissions vraiment le contrôler judiciairement. Et il serait coincé dans ces conditions ».

Les assurances américaines ont été données après la clôture de la procédure, mais le tribunal de Londres les a acceptées et a autorisé l'extradition.

« Il s'agit en fait d'une extradition par voie diplomatique, sans contrôle adéquat des tribunaux », déclare Mme. Robinson.

Aux États-Unis

Ahmad a atterri aux États-Unis tôt dans la matinée du 6 octobre 2012. Il n'avait alors aucune idée de l'endroit où il avait atterri.

« Je suis monté dans une sorte de voiture et nous avons roulé. Au bout d'une vingtaine de minutes, nous nous sommes arrêtés et nous sommes sortis », raconte-t-il.

« J'ai entendu des bruits de ferraille et j'ai réalisé que je me trouvais dans une sorte d'entrepôt ou de prison. À ce moment-là, j'ai réalisé à quel point il était douloureux de marcher avec des chaînes. Cela m'irritait l'arrière du talon d'Achille, alors j'ai vraiment ralenti. Évidemment, plus tard, vous apprenez à marcher ainsi, mais c'était ma première fois et je ne savais pas. J'ai vraiment marché lentement, lentement, lentement ».

Ahmad est ensuite monté dans un ascenseur et est arrivé dans une cellule. Ils lui ont enlevé ses menottes et ses entraves, puis ont retiré le masque de ski et les protège-oreilles qu'ils lui avaient mis à l'atterrissage. Ahmad se trouvait au tribunal fédéral de New Haven. Il était environ trois heures du matin.

« Ils nous ont pris en photo et ont relevé nos empreintes digitales, puis ils nous ont remis dans cette cellule. Ils nous ont dit "Vous avez une audience au tribunal à 8 heures" », raconte-t-il.

Pour la deuxième nuit consécutive, Ahmad n'a pas pu dormir. « Vers 7h30, mes avocats sont venus me voir dans le cadre d'une visite fermée, c'est-à-dire qu'il y a un écran de verre et que mes avocats sont là. J'ai parlé à mes avocats, puis une audience a eu lieu. »

Après cette audience, vers 10 heures du matin, on l'a fait monter dans un 4×4.

« Nous sommes partis dans un convoi d'environ huit 4×4 », raconte-t-il. « Et ces gars-là, vous savez comment sont les Américains, quand ils font quelque chose, c'est toujours en grand. Ils ont des mitraillettes. Ils ressemblent tous à des membres des forces spéciales.

La supermax

Au bout d'une heure, ils sont arrivés à une prison. L'avocat d'Ahmad lui a dit qu'il se rendait à la prison supermax de l'État du Connecticut.

Une fois dans la zone de réception de la prison, il a été emmené pour un examen médical. Les officiers ont dû attendre à l'extérieur.

« Je suis entré dans une pièce où se trouvaient trois infirmières », raconte Ahmad.

« Une conversation normale et amicale, un examen de mes antécédents médicaux, une vérification de mes yeux, de mes oreilles, de ma bouche, etc. Lorsque l'officier est venu me chercher, il a regardé l'infirmière en chef et lui a fait un clin d'œil ou un signe de tête, et elle lui a répondu par un signe de tête. Elle lui a répondu : "Oui, statut" ».

« Je ne savais pas ce que cela signifiait, mais plus tard, j'ai compris qu'elle lui disait de me mettre sous surveillance en cas de suicide, ce qui est en fait une cellule de punition. C'est le service de santé qui doit prendre cette décision. C'était une escroquerie, car je n'avais aucune raison d'y aller, j'étais tout à fait respectueux des règles. Elle a regardé le type et a dit "Statut" ».

Ahmad poursuit : « Ensuite, on m'a emmené dans cette cellule. Dès que j'y suis entré, une personne filmait et huit types criaient des ordres à l'unisson. "Ok, à gauche. Ok, retenue". Ils criaient ces ordres militaires et ils m'ont mis contre ce mur et ils m'ont littéralement déshabillé, complètement. Et tout cela est filmé ».

Ahmad, qui n'avait pas dormi, était en état de choc.

« Au Royaume-Uni, on ne vous déshabille jamais complètement », explique-t-il. « On vous déshabille soit par le bas, soit par le haut, et on ne le fait pas de force, à moins que ce ne soit pour des raisons de sécurité. Je me suis donc demandé ce qu'il se passait. »

Pantoufles en papier

Ils ont ensuite mis à Ahmad des pantoufles en papier et une blouse anti-suicide qui lui couvrait le torse jusqu'aux genoux. « Et c'est tout. C'est tout ce que j'ai, à part les menottes ».

Ils l'ont emmené dans un long couloir, courbé sous l'effet des entraves, de sorte que sa tête se trouvait au-dessous de sa taille.

« Ils m'ont jeté dans cette cellule, et la première chose que j'ai remarquée, c'est l'odeur, une odeur d'excréments, et il faisait un froid de canard », raconte-t-il. Je me souviens que la première chose que j'ai demandée au responsable de l'état des lieux, c'est "Est-ce que je peux avoir quelque chose à manger ?" Il a ri et il a dit "Vous serez nourri." Et c'est tout. Ils ont fermé la porte et c'est tout. Ils étaient partis ».

Il n'y avait rien dans la cellule, à l'exception de deux rouleaux de papier toilette. Ahmad se souvient que l'eau coulait 60 secondes et s'arrêtait cinq minutes.

« Si je regarde à l'extérieur de la petite fenêtre de 7×15 centimètres, sur le mur du fond, je ne vois que du béton. Il n'y a pas de vue, il n'y a rien. Ensuite, il y a une autre fenêtre de 7×15 centimètres sur la porte qui donne sur l'intérieur de l'unité carcérale. Il y a tous ces miroirs et une petite horloge que je peux distinguer.

Ahmad était fatigué maintenant et il y avait un lit avec un matelas en plastique. « Je me suis recroquevillé comme un fœtus parce qu'il gèle vraiment », raconte Ahmad. « J'ai dormi un peu et je me suis levé. À un moment donné, c'était l'heure de la nourriture, et ils sont venus me donner un sac en papier contenant de la nourriture. La nourriture était contenue dans une tasse à café et j'ai demandé au gars s'il pouvait me donner une cuillère. »

L'officier lui a répondu que ce n'était pas autorisé.

« Je devais manger avec ma main comme un animal. Et tout cela à cause du "statut", de la punition. Vous devez manger comme ça. Je ne savais pas ce que c'était. Je l'ai juste mangée. Une partie de moi se demandait si c'était de la viande ou non. Je ne mange pas de viande qui n'est pas halal. Mais je l'ai simplement mangée. Je ne savais même pas s'ils avaient pu cracher dedans ou quoi que ce soit d'autre, mais j'avais trop faim. Et la cellule puait les excréments, j'étais pieds nus et, bien sûr, il n'y avait pas de savon. »

Des inconnues inconnues

À ce stade, Ahmad n'avait aucune idée de la durée de son séjour en cellule. Cela pouvait durer 10 jours. Ou bien 10 ans. « Je n'avais aucune idée de quoi que ce soit », dit-il.

« Je suis dans cette cellule et la première chose dont je me souviens, c'est ce qu'a dit Nelson Mandela : en prison, les années passent comme des minutes, mais les minutes, elles, passent comme des années. Et je me souviens que je n'arrêtais pas d'aller à la porte et de regarder cette horloge numérique. Je me disais que plusieurs heures étaient passées, mais en fait 10 minutes seulement s'étaient écoulées. »

À un moment donné, une infirmière en santé mentale est passée devant sa cellule.

« Elle est restée un moment à lire quelque chose à l'extérieur de ma cellule et m'a regardé avec dégoût », raconte Ahmad. « J'ai réalisé plus tard qu'il y avait une feuille de papier à l'extérieur de ma porte, sur laquelle figuraient toutes les accusations portées contre moi. Je lui ai alors demandé comment je pouvais m'en sortir, étant donné que je n'avais rien dans ma cellule, rien à faire ou à lire, rien à voir et personne à qui parler. "Vous pouvez essayer la visualisation", a-t-elle répondu en riant, avant de poursuivre son chemin. C'est ce qu'ils entendaient par du soutien à la santé mentale ».

Le lendemain matin, un nouveau responsable de la prison est venu dans sa cellule.

« C'était un agent raciste et hostile, me dit Ahmad. Il criait "C'est toi le terroriste", et il criait très fort à l'intention des autres prisonniers "Il a essayé de nous faire sauter, il a essayé de tuer des Américains". Puis il ajoute : "Je vais lui donner une leçon, pourquoi t'as essayé de nous faire exploser" ? »

Ahmad a essayé de lui expliquer qu'il s'agissait d'une autre personne, et non de lui. « L'agent lui a dit "Oui, oui, je m'en fous, parle anglais". Il était ouvertement raciste. Au Royaume-Uni, ils ont tendance à cacher leur racisme, mais en Amérique, on sait à quoi s'en tenir, et je préfère ça.

Un jour après son arrivée à la prison, Ahmad a eu une crise de panique.

« C'est la seule fois de ma vie que j'en ai eu une », dit-il. « C'est la première et la dernière fois que cela m'est arrivé. Je me tenais debout et tout d'un coup, c'est comme si ma poitrine commençait à s'effondrer sur moi. Je suis debout et je commence à hyperventiler, mes muscles se contractent et je me retrouve dans cet état, un peu comme si je me noyais, mais ce n'est pas le cas. »

Il explique que la seule raison pour laquelle il est capable d'en parler aujourd'hui est qu'il a suivi une thérapie de désensibilisation et de retraitement des mouvements oculaires (EMDR) pour résoudre ce problème.

« Je peux vous parler maintenant sans aucune réaction physiologique », explique Ahmad. « Mais c'était terrifiant. Je pense que c'est la prise de conscience qui m'a amené à me dire "Oh, mon Dieu, c'est la fin" ».

Il poursuit : « Toutes ces assurances comme quoi je vais être traité humainement, les prisons américaines sont égales aux prisons britanniques et il sera traité de manière juste et équitable. Tout cela n'était que foutaises. C'était une arnaque, ce n'était que des mensonges. Je me disais "C'est la fin. Je vais rester dans cette cellule pour le reste de ma vie" ».

Ahmad n'avait aucune idée de la façon de gérer sa crise de panique.

« Il n'y avait personne. Je ne pouvais parler à personne. Je ne savais même pas comment gérer la respiration. La respiration peut vous sortir de là. J'ai donc commencé à réciter des versets du Coran que j'avais mémorisés et cela a fini par me sortir de là et me calmer ».

CIA et politique

John Kiriakou a travaillé pour la CIA de 1990 à 2004 avant de la quitter et de dénoncer le programme de torture de l'agence pendant la soi-disant guerre contre le terrorisme. Depuis, Kiriakou est devenu un fervent défenseur de la lutte de Julian Assange pour sa vie face aux persécutions de son ancien employeur.

« L'une des choses que beaucoup de gens ne comprennent pas, c'est que dans le système américain, même si l'accusation veut abandonner l'affaire, elle consulte d'abord la "victime" pour voir si elle est d'accord pour que l'affaire soit abandonnée. Dans le cas présent, la victime serait la CIA », me dit-il.

« Je ne peux m'empêcher de penser que si la publication de Vault 7 n'avait pas eu lieu, et avec [l'ancien directeur de la CIA Mike] Pompeo hors du tableau, je pense que personne ne se serait vraiment soucié de l'abandon des poursuites contre Julian, mais il les a mis dans l'embarras, et il y a un désir de vengeance si profond que c'est comme s'ils ne pouvaient pas se contrôler. »

Vault 7 est une série de documents que WikiLeaks a commencé à publier en mars 2017, détaillant les capacités de la CIA en matière de surveillance électronique et de cyberguerre. Kiriakou affirme que les hauts responsables de la CIA orienteront la politique de l'exécutif en matière de persécution d'Assange à cause de ces révélations.

« Dans un cas comme celui-ci, cette conversation ne peut avoir lieu qu'au plus haut niveau », explique-t-il. « Nous parlons donc du directeur, du directeur adjoint, du directeur adjoint des opérations, du conseiller général, peut-être du directeur adjoint du contre-espionnage. C'est un très petit groupe de personnes qui aurait cette conversation ».

La CIA est incroyablement puissante, ajoute Kiriakou. « Elle est particulièrement puissante au sein de la bureaucratie fédérale. Je ne pense pas que ces décisions soient prises dans le vide au ministère de la justice. Ces décisions sont prises autour d'une table de conférence au Conseil national de sécurité. Et nous ne pouvons pas prétendre que [le procureur général des Etats-Unis] Merrick Garland est indépendant et que le ministère de la justice est à l'abri de toute influence extérieure. Nous savons que ce n'est tout simplement pas vrai ».

Lorsque le président Joe Biden a nommé Bill Burns directeur de la CIA, M. Kiriakou s'était permis d'avoir de l'espoir pour Assange.

« J'étais optimiste à propos de Bill Burns parce que c'est un diplomate de carrière et un artisan de la paix, et qu'à l'exception de la période qu'il a passée en tant que secrétaire d'État adjoint, il n'était pas un consommateur régulier de renseignements, de sorte qu'il n'y avait aucun lien entre Bill Burns et la communauté du renseignement », me dit Kiriakou.

« Je me suis dit que, pour la première fois depuis que l'amiral Stansfield Turner était directeur sous Jimmy Carter, il s'agissait d'un homme indépendant de la CIA, capable de faire ses propres jugements et d'arriver à ses propres conclusions. Vous savez, je crains que, au moins dans l'affaire Assange, cela se soit avéré faux, car si Bill Burns allait voir Merrick Garland et lui disait qu'il n'y avait pas eu de dommages à la sécurité nationale, je pense que Garland n'aurait aucun problème à abandonner l'affaire ».

  1. Kiriakou n'arrive pas à croire que M. Biden veuille s'attaquer à l'institution de la presse.

« Il me semble qu'il y a des gens très puissants, probablement à la fois à la CIA et au ministère de la Justice, qui disent, vous savez, au diable le premier amendement de la Constitution. »

L'acharnement judiciaire

  1. Kiriakou n'est pas non plus optimiste quant aux chances d'Assange dans le système judiciaire américain.

« Dans un premier temps, il sera emmené dans ce qu'on appelle la prison fédérale d'Alexandria, en Virginie », explique-t-il. « Elle est utilisée pour héberger les prisonniers qui attendent d'être jugés par le tribunal fédéral du district est de la Virginie. Il y a des gens qui attendent leur procès pour des crimes aussi mineurs que d'essayer de faire une fellation à un policier en couverture dans un monument national, quelqu'un avec qui j'ai brièvement partagé une cellule avait fait cela, mais cela va jusqu'au baron de la drogue El Chapo et tout le monde entre les deux ».

En attendant son procès, il sera probablement traité comme tout le monde, estime M. Kiriakou.

« Il est important de noter que les procureurs américains ont promis à plusieurs reprises au gouvernement britannique qu'ils ne mettraient pas Julian à l'isolement. C'est une connerie totale, car il n'appartient pas aux procureurs du ministère de la justice de décider qui doit être mis à l'isolement. Cette décision relève exclusivement du Bureau fédéral des prisons. Les procureurs qui promettent de ne pas mettre Julian à l'isolement sont comme vous ou moi qui promettrions de ne pas mettre Julian à l'isolement. C'est dire le poids de ces promesses ».

Selon M. Kiriakou, M. Assange n'obtiendra pas non plus justice aux États-Unis.

« Je ne pense pas qu'il ait une chance d'avoir un procès équitable, et ce pour plusieurs raisons. La première est qu'il s'agit du district est de la Virginie. On l'appelle le tribunal de l'espionnage parce qu'aucune personne accusée d'atteinte à la sécurité nationale n'y a jamais gagné son procès. C'est là que j'ai été inculpé. Jeffrey Sterling [lanceur d'alerte de la CIA] y a été inculpé. Edward Snowden y a été inculpé. Ils inculpent tout le monde dans le district est de la Virginie, presque tout le monde, parce que c'est le district d'origine de la CIA ».

Il poursuit : « Le jury sera composé de personnes qui travaillent pour la CIA, le Pentagone, le ministère de la sécurité intérieure, le FBI et des dizaines de sous-traitants de la communauté du renseignement, ou qui ont des proches qui travaillent pour eux. Il est donc impossible d'obtenir un jury qui ne soit pas partial ».

La deuxième raison est ce que l'on appelle « l'empilement des charges », explique Kiriakou. « Disons que vous avez peut-être commis un crime. Au lieu de vous inculper pour ce crime, ils vous inculperont pour 20 crimes, puis ils reviendront vers vous une fois que vous aurez été suffisamment amadoué et vous diront : « D'accord, nous allons abandonner toutes les charges sauf une ou deux, si vous plaidez coupable ».

Les tours de passe-passe

Babar Ahmad est resté trois jours en cellule de punition après sa crise de panique. Puis un médecin est venu l'examiner. « C'était un médecin afro-américain qui n'arrêtait pas de secouer la tête », raconte Babar Ahmad. Il m'a dit : « Je ne sais pas pourquoi ils t'ont mis ici », et il m'a dit qu'il allait me faire sortir. Il n'arrêtait pas de secouer la tête. Il connaissait les mauvais tours qu'ils jouent ».

Le médecin a effectivement fait sortir Ahmad, qui a été placé dans une autre cellule avec un peu plus de choses, notamment quelques combinaisons et t-shirts, des serviettes et une couverture. Mais c'était toujours l'isolement.

« Mais ce prisonnier, qui était en fait un type bien, m'a tendu la main », raconte Ahmad. « Je ne savais pas à quoi il ressemblait, mais il a crié mon numéro de cellule. Il m'a dit : "Hé, 109, comment ça va, mon frère ? Quel est ton nom, d'où viens-tu ?" »

Il a donné à Ahmad quelques informations sur la routine de la prison et a finalement réussi à lui envoyer de la lecture, ce qui était contraire aux règles.

« Il m'a envoyé quelques livres. Je crois que l'aumônier m'a aussi donné une Bible. J'ai lu la Bible d'un bout à l'autre. J'en ai lu la plus grande partie au cours des premières semaines ».

Ahmad est resté dans cette prison pendant deux ans.

« J'ai été détenu dans le couloir de la mort de la prison du Connecticut », explique-t-il. « Le régime y était très dur. L'isolement total pendant toute la journée et la nuit. Aucune association avec d'autres prisonniers pendant deux ans. Une fouille à nu complète et humiliante, y compris les cavités corporelles, chaque fois que vous quittez votre cellule, même si c'est pour vous rendre à la douche située à deux mètres de là ».

Il a une heure d'exercice trois fois par semaine.

« C'était dans une cage à chien souterraine, qui fait environ quatre pas sur deux pas, et il y a trois cages côte à côte », explique-t-il. « Vous pouvez donc parler aux prisonniers qui sont soit les deux autres prisonniers qui sont là avec vous, vous pouvez leur parler sans restriction. Mais c'est tout. »

Je demande à Ahmad comment il a fait pour ne pas perdre la tête.

« Eh bien, c'est insupportable. Et beaucoup de gens ont perdu la tête, beaucoup de gens ont de graves problèmes de santé mentale, des gens qui se parlent à eux-mêmes, des gens qui crient et tapent toute la journée, toute la nuit. Les gens s'automutilent. Il y a des tentatives de suicide en permanence. Une semaine, j'ai assisté à trois tentatives de suicide en une journée ».

Il poursuit : « Ensuite, il y a des prisonniers qui ont tué leurs compagnons de cellule, qui les ont battus à mort à l'intérieur même de la cellule. Dans mon cas, je pense que j'ai tenu en partie à cause de ma religion, de ma foi. Je ne sais pas, ils ont ces mots à la mode, résilience et tout ça, mais on essaye juste de faire de notre mieux pour survivre, n'est-ce pas ? »

Ahmad a été libéré de la prison américaine en juillet 2015 après avoir été condamné à 12 ans et demi de prison pour avoir fourni un soutien matériel, par le biais de deux articles publiés sur son site web, au gouvernement taliban à l'époque où celui-ci abritait Oussama ben Laden.

Le gouvernement américain avait demandé le double de cette peine, mais la surprenante clémence de la sentence a permis à Ahmad d'être libéré quelques mois plus tard.

Il est peu probable que Julian Assange bénéficie d'une telle clémence de la part du système judiciaire américain, et son expérience carcérale sera probablement encore plus punitive que celle d'Ahmad.

« Je pense que le sort d'Assange sera pire que le mien dans une prison américaine », affirme M. Ahmad. « Les assurances qu'ils donnent sur l'accès aux soins de santé ne sont qu'une escroquerie. Rien de tout cela ne s'applique une fois que vous êtes là-bas. » Il marque une pause. « Bien sûr, le suicide est un risque très réel. »

 Matt Kennard

Traduction et note Alain Marchal

Après les 12 années de confinement qu'il a subies à l'ambassade d'Equateur puis dans les geôles britanniques, Assange est d'ores et déjà broyé physiquement et mentalement, ce qui était le but de la très-vertueuse « démocratie » américaine, à savoir le neutraliser et le crucifier pour l'exemple, afin de dissuader pour longtemps les potentiels lanceurs d'alerte. Les journalistes qui ont publié ses révélations puis l'ont largement abandonné à son sort ne se rendent pas compte qu'ils sont eux aussi dans la ligne de mire. [AM]

Article original en anglais:  Declassified UK,

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