05/06/2024 2 articles basta.media  5min #249881

Les palettiseurs, des machines dangereuses presque pas contrôlées

Les palettiseurs, machines qui empilent des produits sur une palette, peuvent causer des accidents du travail très graves, parfois mortels. Pour autant, ils ne sont pas concernés par le règlement européen sur les machines industrielles dangereuses.

Anthony Courtais est mort à 47 ans, en 2017, à cause d'un palettiseur. Son employeur, l'entreprise agroindustrielle Terrena, vient d'être condamnée, le 22 mai dernier, pour cet accident du travail. Anthony n'est pas le seul à avoir perdu la vie dans un palettiseur, cette machine qui permet d'empiler des produits sur des palettes.

Quatre ans plus tôt, le 11 juillet 2013 à l'usine CCPA de Janzé (un regroupement de coopératives auquel appartient le groupe coopératif agroalimentaire Terrena), Fabrice Hersant a lui aussi été écrasé par cette machine, mais de l'autre côté, entre la plaque de l'ascenseur et le haut de l'engin.

Comme Anthony Courtais, il est entré dans la machine pour des raisons qui n'ont pas été élucidées. Mais le nettoyage de l'engin, où était tombé une partie de la marchandise ensachée, fait partie des hypothèses avancées. « L'enquête a révélé que le système de sécurité pour empêcher l'accès accidentel dans le palettiseur n'était pas efficient dans tous les cas de figure », avait conclu un comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) extraordinaire, quelques mois après le drame.

Des accidents terrifiants

Depuis le début des années 1990, selon un recensement non-exhaustif de l'Institut national de recherche et de sécurité (INRS),  au moins neuf personnes sont mortes dans des palettiseurs en France. Beaucoup d'autres ont été estropiées à vie et complètement traumatisées par de terrifiants accidents, lors desquels iels se retrouvent avec la tête coincée, les jambes écrasées ou le torse enfoncé. Les blessures occasionnées, quand elles ne provoquent pas la mort des ouvrier·ère·s, sont très graves : membres sectionnés, fractures au niveau du bassin, du crâne, de la mâchoire ou de la colonne vertébrale...

« La dangerosité de ces machines est élevée, surtout depuis 2006, explique Ignacio Doreste, expert à l'Institut syndical européen. Cette année là, la Commission européenne a décidé de renoncer au contrôle des machines par des organismes tiers. C'était beaucoup moins contraignant pour les industriels, on était sur des contrôles volontaires. Résultat : le nombre d'accidents a beaucoup augmenté [toutes machines confondues, pas uniquement les palettiseurs, ndlr]. »

15 ans plus tard, interpellée par l'augmentation du nombre d'accidents, la Commission européenne a décide finalement de revoir la directive qui encadre l'usage des machines. En juin 2021, elle propose de réinstaurer les contrôles par des organismes indépendant des industriels et décide de remplacer la directive par un règlement, qui entre en vigueur aussitôt qu'il est adopté. « Ce n'est pas le cas des directives, que les États membres ont deux ans pour retranscrire dans leurs lois nationales », précise Ignacio Doreste.

Intervention des lobbies

« La Commission européenne a été très ambitieuse sur ce dossier, retrace Ignacio Doreste. Malheureusement, cela n'a pas été le cas du Parlement européen ni du Conseil européen (constitué des gouvernements des États membres de l'Union européenne, ndlr) qui ont cédé aux pressions des lobbies des industriels. » Les Italiens, qui concentrent un nombre important de fabricants de palettiseurs, dépalettiseurs et banderoleuses ont été particulièrement actifs.

« L'Unione Costruttori Italiani Macchine Automatiche (Ucima, Union des industriels italiens des machines automatisées) indique avoir contacté, par l'intermédiaire du patronat italien (Confindustria), tous les membres transalpins de la commission du marché intérieur et de la protection des consommateurs du Parlement européen pour leur faire part des inquiétudes de ses adhérents », relève  un article du site d'information L'Usine nouvelle en avril 2022.

Résultat : la liste des machines concernées par le nouveau règlement a été largement réduite. On est passé de 23 à 6 ! « Les palettiseurs font partie des machines qui ont été retirées de la liste », déplore Ignacio Doreste. Pour convaincre les parlementaires européens, l'Ucima s'est appuyé sur « l'absence totale » de statistiques, de rapports ou de chiffres sur les blessures démontrant le caractère à haut risque des machines tels que les palettiseurs, rapporte l'Usine nouvelle.

Profit contre sécurité

Le contrôle des machines par un organisme tiers est pratiqué par certains acheteurs de palettiseurs, qui ne se satisfont pas des auto-certifications des fabricants. Mais ce n'est pas obligatoire, et c'est à leur charge. « À chaque fois que l'on a de nouvelles exigences pour les industriels, ils râlent parce que cela va leur coûter de l'argent », soupire un ancien cadre d'entreprise utilisant ces machines.

Cette réticence à piocher dans les bénéfices pour protéger la vie des ouvriers semble totalement assumée par les fabricants de palettiseurs, dépalettiseurs et autres engins d'emballages ; ou tout du moins par une partie d'entre eux. Le président de l'association italienne qui représente ces fabricants, Matteo Gentili, a ainsi salué une victoire « qui évite non seulement de nuire à la réputation des fabricants en raison de la désignation des palettiseurs, dépalettiseurs et banderoleuses de palettes en tant que produits mécaniques à haut risque, mais supprime également les coûts supplémentaires et les démarches administratives fastidieuses qui auraient été associées au lancement de ces machines sur le marché. »

Nolwenn Weiler

photo de une : Manifestation du 1er mai 2024 à Paris /  Paola Breizh  CC BY 2.0 Deed

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