Par Mariamne Everett
Mme Hassan, une juriste franco-palestinienne de 32 ans, affirme avoir été menacée de mort et avoir fait l'objet d'enquêtes policières en raison de son soutien à Gaza.
Paris, France - La militante et juriste franco-palestinienne Rima Hassan, candidate de gauche aux prochaines élections européennes, a fait l'objet d'un grand intérêt politique et médiatique en France alors que la guerre d'Israël contre Gaza continue de faire rage.
Née apatride en avril 1992 dans un camp de réfugiés palestiniens en Syrie, Rima Hassan est arrivée en France avec sa famille à l'âge de neuf ans. Elle a obtenu la nationalité française à 18 ans et a suivi une maîtrise en droit international, rédigeant sa thèse sur l'apartheid en Afrique du Sud et en Israël. Des groupes tels qu' Amnesty International et des experts accusent depuis longtemps Israël de pratiquer l' apartheid.
Hassan a fondé l' Observatoire des camps de réfugiés en 2019 et le collectif Action Palestine France après le 7 octobre, lorsque le groupe palestinien du Hamas a mené une incursion dans le sud d'Israël, ce qui a fait franchir un nouveau cran dans un conflit déjà historique.
Après la mort de 1 139 personnes et la capture de plus de 200 autres début octobre, les bombardements israéliens ont massacré plus de 36 400 Palestiniens dans la bande de Gaza, l'enclave palestinienne administrée par le Hamas.
Candidate en 7e position sur la liste du parti de gauche La France insoumise (LFI) aux prochaines élections européennes, Mme Hassan a été critiquée pour la position de son parti sur le conflit à Gaza.
LFI a appelé à un cessez-le-feu et a condamné Israël et le Hamas. Mais après le 7 octobre, Mathilde Panot, présidente du parti de gauche, a qualifié l'assaut du Hamas d'« offensive armée des forces palestiniennes » - un commentaire qui lui a valu d'être convoquée par la police pour incitation présumée au « terrorisme ».
Hassan elle-même a été invitée à expliquer son utilisation d'un slogan palestinien, « Du fleuve à la mer ». En fin de compte, aucune charge n'a été retenue contre elle.
Al Jazeera a interrogé Mme Hassan sur la réaction de la France et de la communauté européenne à la guerre de Gaza, sur son expérience personnelle en tant qu'élue palestinienne en France et sur les prochaines élections européennes.
Al Jazeera : Vous avez récemment suggéré qu'« Israël est pire que la Russie » en termes de respect du droit international et affirmé que si l'Europe était prompte à se ranger du côté de l'Ukraine et à condamner la Russie, il n'en allait pas de même dans le cas de la guerre au Moyen-Orient. Comment voyez-vous la position globale de l'Europe sur le conflit israélo-palestinien ?
Rima Hassan : La réponse de la France et de l'Union européenne à la question palestinienne a été inadéquate, ne respectant pas les valeurs proclamées de l'UE que sont la paix, la liberté, la démocratie, l'État de droit et les droits de l'homme. L'UE n'a pas de politique unifiée sur cette question, ce qui reflète de profondes divisions au sein des institutions européennes, entre les pays et entre les gouvernements et leurs citoyens.
En revanche, l'UE a apporté un soutien unanime à l'Ukraine après l'invasion russe du 24 février 2022, en lui fournissant une aide et un soutien militaire et en appliquant des sanctions contre la Russie.
Bien qu'Israël ait violé plus de résolutions internationales que n'importe quel autre État et commis des actes qualifiés d'apartheid, il continue de jouir de l'impunité. L'occupation et la colonisation des territoires palestiniens par Israël durent depuis plus de 50 ans, et Gaza est soumise à un blocus illégal depuis 2006. Pourtant, l'imposition de sanctions à l'encontre d'Israël reste une lutte constante, en particulier dans les pays occidentaux.
Al Jazeera : Que pensez-vous des récentes initiatives européennes visant à reconnaître le statut d'État palestinien, et quelles actions supplémentaires souhaiteriez-vous voir de la part de la France et de l'Europe ?
Rima Hassan : Il est essentiel pour l'Europe de gagner la bataille narrative afin de réaliser des progrès politiques et diplomatiques sur la question palestinienne. Les Européens doivent être convaincus qu'il s'agit d'une question européenne pour plusieurs raisons. L'accord Sykes-Picot a engagé la Grande-Bretagne et la France dans des mandats coloniaux, divisant la région.
La partition de la Palestine, qui a conduit à la création d'Israël, doit être considérée comme un plan d'annexion puisque les Palestiniens n'ont pas été consultés et qu'elle a été adoptée par une communauté internationale largement occidentale et coloniale, excluant les pays du Sud. Et parce qu'Israël a été créé dans la foulée d'un antisémitisme européen et de l'Holocauste.
Cependant, la création d'Israël a conduit à un nettoyage ethnique palestinien, avec 800 000 Palestiniens expulsés et 532 villages détruits depuis 1948, un processus qui se poursuit.
L'Europe devrait reconnaître la Palestine en tant qu'État pour contrer les plans de colonisation d'Israël, imposer des sanctions économiques en suspendant l'accord d'association UE-Israël, appliquer un embargo sur les exportations d'armes pour violation des droits de l'homme, et mettre en œuvre des sanctions diplomatiques et politiques à l'encontre d'Israël, semblables à celles imposées à l'Afrique du Sud de l'apartheid, jusqu'à ce que le droit international soit respecté.
Ces mesures peuvent être mises en œuvre de façon individuelle par les États et servir de lignes directrices pour la politique étrangère commune de l'UE. Les prochaines élections européennes sont historiques en ce sens.
Al Jazeera : Comment caractérisez-vous la réponse de la France à la guerre de Gaza à ce jour ?
Rima Hassan : Les réponses de l'Europe et de la France ont été précipitées, divisées et complices des crimes israéliens, qui vont au-delà du conflit actuel à Gaza. L'ONU a recensé plus de 120 entreprises, pour la plupart occidentales, impliquées dans les colonies. Aucun pays européen n'a sanctionné Israël pour sa colonisation et son occupation avérées des territoires palestiniens.
Israël est considéré comme un avant-poste occidental à l'Est, avec des liens historiques et mémoriels avec l'UE.
Créé par l'Occident en réponse à l'antisémitisme européen, la colonie israélienne dans la Palestine historique a entraîné le déplacement des Palestiniens, un processus accepté par les Occidentaux bien versés dans le colonialisme.
De nombreux pays occidentaux, dont la France, n'ont pas pleinement fait face à leur passé colonial, comme en témoigne la réticence de la France à aborder son histoire en Algérie.
Al Jazeera : Au cours de la période précédant les élections européennes, vous avez reçu des menaces de mort et fait l'objet d'enquêtes policières. Pourquoi pensez-vous être confrontée à ces problèmes ?
Rima Hassan : En France, ma candidature aux élections européennes fait l'objet d'importantes pressions politiques et juridiques. J'ai été menacée, insultée et victime de racisme anti-palestinien. Mon héritage palestinien est souvent nié et certains de mes discours ont été censurés.
En trois mois de campagne, j'ai déposé huit plaintes et entamé des procédures pour que ma liberté d'expression soit respectée et que je puisse donner mes conférences et faire mes interventions.
Les Palestiniens qui expriment des opinions politiques font l'objet d'un examen très minutieux et d'une réaction brutale en Europe, en particulier en France et en Allemagne. La plainte déposée contre moi pour « apologie du terrorisme », par exemple, a été déposée par l'Organisation juive européenne (OJE).
Il est clair que cette procédure est principalement exploitée pour faire taire ceux et celles qui s'expriment sur les questions palestiniennes et critiquent le régime israélien. Bien que ces défis soient exigeants, ils font pâle figure en comparaison des luttes menées par les Palestiniens sur le terrain, ce qui souligne l'importance de rester vigilant et déterminé.
Al Jazeera : Qu'avez-vous ressenti après avoir assisté à des manifestations d'étudiants pro-palestiniens dans des universités aux États-Unis, au Royaume-Uni et en France ?
Rima Hassan : Les manifestations étudiantes jouent un rôle crucial dans la situation actuelle, car elles témoignent de l'inquiétude généralisée de la société à l'égard de la guerre de Gaza. Ces manifestations, principalement menées par des étudiants d'universités d'élite, soulignent l'importance de la cause palestinienne auprès des futurs décideurs.
Il est essentiel que les citoyens et les personnalités politiques, comme moi, soient solidaires de ces étudiants et soutiennent leur courage face à une répression sévère, y compris des mesures disciplinaires, des gardes à vue et des violences.
Leur bravoure contraste fortement avec la lâcheté perçue de nos sociétés.
Al Jazeera : Si vous êtes élue lors de ces élections européennes, qu'espérez-vous réaliser ?
Rima Hassan : Un engagement politique est toujours une question d'équilibre entre deux choses : le moment et l'opportunité. C'est le bon moment pour moi d'agir sur des questions de longue date. L'urgence de la question palestinienne et les atrocités en cours exigent une action immédiate de notre part à tous.
En outre, la montée de l'extrême droite, qui propage la haine et rejette les personnes déplacées et les immigrants, souligne la nécessité de défendre le droit international des réfugiés, domaine dans lequel je suis spécialisée.
Cette question, étroitement liée aux droits de l'homme et au droit international, nécessite un investissement en Europe afin de promouvoir une Europe progressiste, solidaire et humaniste qui s'engage à assumer ses responsabilités à l'échelle mondiale.
En rejoignant LFI, j'ai pu m'aligner sur un parti dont le programme et les projets collectifs sur la scène européenne correspondent à mes attentes.
Auteur : Mariamne Everett
* Mariamne Everett est une journaliste britannique, française et américaine, élevée en Irlande et vivant actuellement en France. Son travail a été publié dans Counterpunch, RFI (Radio France Internationale), Hyphen et France 24Son compte X/Twitter.
3 juin 2024 - Al-Jazeera - Traduction : Chronique de Palestine - Lotfallah