07/06/2024 infomigrants.net  6min #250038

« C'est une chasse à l'homme » : à Mayotte, la détresse des migrants africains s'accentue

Des centaines de personnes dorment dans la rue, à Mayotte, en novembre 2023. Crédit : Daniel Gros / LDH

"La situation est critique. Entre le choléra, le non-accès à l'eau,  les agressions quotidiennes... On ne vit plus". Avec ces quelques mots, Pascal* résume la détresse dans laquelle il vit depuis le  démantèlement du camp du stade de Cavani en février dernier. Même si les conditions de vie y étaient déjà dures, "maintenant, c'est tellement, tellement pire", témoigne-t-il, étirant ses mots pour insister sur ses propos.

Selon nos sources, entre 200 et 400 personnes  vivent à la rue autour du stade de Cavani, livrées à elles-mêmes avec le minimum pour vivre. Cette augmentation des sans-abris suit la récente fermeture de Cavani et  l'évacuation d'environ 540 réfugiés qui y vivaient vers la métropole.


L'île française de Mayotte est située entre les côtes du Mozambique et Madagascar. Crédit : Google maps

Mais pour les autres, principalement des demandeurs d'asile, c'est un retour à la rue. Les organisations plaident donc pour l'installation d'un terrain ou d'un lieu sécurisé avec ombrage, accès à l'eau et un minimum d'hygiène. "Quelque chose qui permette aux personnes d'être en sécurité dans des conditions relativement dignes, à défaut d'un hébergement digne de ce nom", résume le Gilles Foucaud, directeur adjoint de l'association Solidarité Mayotte. "Mais ça aussi politiquement, ça ne passe pas", continue-t-il. Réuni sous la forme de collectifs citoyens, de nombreux habitants de l'île militent contre l'installation de telles infrastructures.

"Nous n'avons plus rien"

C'est d'ailleurs sous la pression de ces collectifs que le démantèlement du camp a eu lieu, laissant à la rue nombre d'occupants. "Nous n'avons plus rien pour nous abriter du soleil ou de la pluie. Les gens vivent à même le sol, seuls quelques-uns ont un matelas", témoigne Pascal, âgé de 37 ans et originaire de RDC. "Ici, les droits de l'Homme sont totalement bafoués", regrette-t-il.

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Et les autorités, accompagnées des gendarmes, effectuent régulièrement des opérations de démantèlement pour éviter la constitution de nouveaux campements, jetant tout ce qui ne peut pas être emporté par les exilés. "C'est simple, vous devez être en mesure de porter votre vie dans vos bras. Quand ils arrivent, tout ce que vous ne pouvez pas porter est jeté, que ce soit une casserole ou un bidon d'eau, tout fini aux poubelles", raconte Pascal.


Des restes d'abris et d'affaires calcinées après l'incendie devant les locaux de Solidarité Mayotte, en avril 2024. Crédits : Archives de Daniel Gros / LDH

Depuis des mois, les migrants venus majoritairement de Somalie et d'Afrique des Grands Lacs - RDC, Rwanda et Burundi notamment - subissent aussi les violences et les intimidations d'une partie de la population du territoire. "Les agressions sont quotidiennes, encore plus récurrentes que lorsque nous étions dans le camp", raconte Desire*, une rwandaise qui a vécu trois mois à Cavani. Elle décrit des prises à partie qui interviennent de jour comme de nuit par des "jeunes délinquants" armés de bâtons, machettes et pierres.

Il y a quelques semaines, les affaires des migrants rassemblées devant les locaux de Solidarité Mayotte, l'organisation en charge des demandes d'asile sur l'île, ont été incendiées. "Les Africains ne dorment que d'un œil. La violence peut arriver à tout moment", ajoute l'exilée.

"On a perdu l'accès à l'eau"

Depuis quelques jours, c'est l'accès à l'eau que ces demandeurs d'asile et réfugiés ont perdu. "Avant, elle était accessible à quelques mètres mais maintenant la rampe de robinets a été saccagée. Dès qu'on essaye de la réparer, on nous en empêche car certains ne veulent pas qu'on soit ici. Les gens doivent aller à une autre fontaine mais on s'y fait attaquer. C'est une chasse à l'homme", raconte Pascal, qui s'est lui-même fait agresser "par un groupe de jeunes" Mahorais une nuit près de son campement.

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Gilles Foucaud de Solidarité Mayotte confirme que l'accès à l'eau est devenu un problème "très inquiétant", étant donné que Mayotte "est en contexte de risque majeur avec le choléra". Deux personnes sont mortes de cette épidémie qui continue de se propager sur le territoire.

Et d'ajouter : "Les tensions communautaires ont explosé ces derniers jours autour des points d'eau". Les migrants d'origine somalienne, de plus en plus nombreux parmi les demandeurs d'asile, sont particulièrement visés. "Il y a un problème avec la barrière de la langue et des codes culturels différents. Il y a aussi beaucoup de fantasmes qui alimentent un climat d'hostilité entre cette population et les habitants du territoire", analyse-t-il.


Le camp de migrants de Cavani, à Mamoudzou, à Mayotte, en février 2024. Crédit : Lola Fourmy / RFI

"Laisser pourrir la situation jusqu'à ce qu'elle explose en violences à l'encontre des migrants pour qu'ils se cachent ailleurs, on ne veut pas que cela ne deviennent la politique pour résoudre la situation", tance-t-il. "Il nous faut plus de places d'hébergement et des moyens", prévient Gilles Foucaud. Actuellement, Mayotte dispose d'environ 600 places, toutes constamment occupées.

Gilles Foucaud regrette le démantèlement de Cavani. Le "camp, c'était mieux que rien. C'est son évacuation qui a empiré la situation", estime-t-il. "C'était un espace pas très visible et ça ne dérangeait pas les structures sportives car c'était sur des terrains vagues".

Selon Daniel Gros, référent de la Ligue des droits de l'Homme à Mayotte, "il n'y a pas de solution" à la crise que traverse actuellement l'île. En cause : les blocages politiques à l'œuvre dans le 101e département français et une "une gestion politique et administrative lamentable". "On ne détruit pas les abris des gens pour les mettre à la rue. C'est tragique et dramatique de voir ça en France", se désole-t-il.

*Les prénoms ont été modifiés

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