Paolo FERRERO
16 Mai 2024
Ces derniers jours, le parlement géorgien a approuvé par 84 voix contre 30 - en troisième lecture - une loi obligeant les organisations non gouvernementales et les médias qui reçoivent plus de 20 % de leur financement de l'étranger à s'enregistrer en tant qu'organisation promouvant les intérêts d'une puissance étrangère. Une amende est prévue pour ceux qui se soustraient à l'enregistrement.
Cette loi permet de mettre en évidence un phénomène inacceptable pour toute démocratie, à savoir que des associations abondamment financées par l'étranger peuvent se présenter comme l'expression de la société civile tout en œuvrant pour le compte de tiers afin de changer ou de renverser la situation dans le pays. Il ne s'agit donc pas, à mon avis, d'une loi extraordinaire, surtout dans un pays comme la Géorgie, qui compte un peu plus de 3 millions d'habitants et pas moins de 25 000 organisations non gouvernementales (ONG), dont 90 % reçoivent des fonds de l'étranger... Pourtant, l'Union européenne a pris position, par la voix de plusieurs de ses représentants, contre cette loi, qualifiée de "russe".
Ainsi, le Haut représentant de l'UE pour les affaires étrangères, Josep Borrell, dans une déclaration cosignée avec la Commission européenne, a déclaré que la législation était contraire aux ambitions d'adhésion de la Géorgie à l'UE et qu'elle devait être supprimée dans son intégralité. "L'adoption de cette loi a un impact négatif sur le cheminement de la Géorgie vers l'UE. Le choix de la voie à suivre est entre les mains de la Géorgie", peut-on lire dans la note, qui invite les autorités géorgiennes à retirer la loi, à maintenir leur engagement sur la voie de l'adhésion à l'UE et à poursuivre les réformes nécessaires.
Géorgie, adoption de la loi sur les agents étrangers : des milliers de personnes manifestent devant le parlement.
Plusieurs manifestations populaires ont eu lieu contre l'adoption de cette loi, culminant avec la prise de contrôle du parlement géorgien, qui a également été bombardé de cocktails Molotov. Les ministres des Affaires étrangères de l'Estonie, de la Lituanie et de l'Islande se sont joints hier à ces manifestations, ce qui a entraîné une modification de la chorégraphie afin d'inclure l'hymne européen dans les manifestations. En pratique, les ministres des Affaires étrangères de plusieurs États européens participent à des manifestations contre le parlement légitime de la Géorgie parce qu'il veut rendre transparents les financements étrangers qui parviennent aux organisations non gouvernementales du pays...
L'affaire peut paraître surréaliste car il est bien évident que la décision du parlement géorgien de rendre public le financement étranger des nombreuses ONG présentes et opérant en Géorgie est non seulement tout à fait légitime, mais aussi conforme à des lois qui existent dans de nombreux pays, dont une approuvée par les États-Unis d'Amérique dès 1938...
L'affaire paraît moins surréaliste si l'on se souvient de 2014 : en Ukraine, à Kiev, sur la vague d'un mouvement tout à fait similaire à celui de la Géorgie, un coup d'État a eu lieu qui a déposé le président légitimement élu et l'a remplacé par une personne appréciée dans les cercles de l'OTAN et des États-Unis. Nous voyons aujourd'hui le résultat de ce coup d'État dans la guerre du Donbass.
Cependant, deux différences sont significatives par rapport à l'Ukraine d'il y a dix ans. La première est qu'il n'y a pas de parti nazi comme Pravyj Sector en Géorgie, qui a participé à l'assaut armé contre le parlement à Kiev. La seconde est que certaines opérations réussissent une fois mais ont ensuite du mal à se répéter : les gens se réveillent... Dans les années 1960 et 1970, les coups d'État étaient utilisés pour subvertir les démocraties. Puis ils sont devenus impopulaires et ont été remplacés par des coups d'État blancs menés par le pouvoir judiciaire : c'est ainsi que j'ai lu "l'opération lava jato" (opération lavage de voiture) au Brésil, qui est à l'origine de l'éviction de la présidente légitime du Brésil, Dilma Rousseff, et de l'arrestation - avant sa réélection par le visage populaire - du président Lula.
La dernière découverte des potentats occidentaux a été les révolutions colorées - largement financées par l'étranger - dont l'Ukraine a été la plus réussie. En Géorgie, la majorité de la population a compris que ceux qui prennent d'assaut le Parlement pour empêcher l'adoption d'une loi rendant transparent le financement étranger des organisations ont peut-être quelque chose à cacher...
Je parle de cette situation géorgienne parce que l'Union européenne a pris position contre cette loi et a menacé la Géorgie de ne pas continuer sur la voie de l'adhésion à l'UE, mais elle n'a pas pris de position formelle contre cette loi. Pour ce faire, elle aurait dû recueillir le consensus de tous les dirigeants européens, y compris celui de Robert Fico, Premier ministre de Slovaquie, qui a été abattu le 15 mai 2024 par Juraj Chintula, un véritable libéral pro-occidental, son opposant politique. Les dirigeants de l'UE savaient que le consensus de Fico ne serait pas atteint et c'est pourquoi ils font pression - avec des émeutes - sur le parlement géorgien.
Il est assez impressionnant qu'un pays soit menacé de ne pas être accepté dans l'UE parce qu'il exige de savoir si les organisations présentes sur son territoire sont financées par l'étranger. Il est impressionnant qu'un dirigeant d'un pays européen soit abattu parce qu'il ne fait pas la génuflexion devant l'OTAN. Il est tout aussi impressionnant que le chef Rubio, un influenceur italien qui a pris des positions fortes contre le massacre du peuple palestinien et qui a été victime d'une attaque presque fatale de la part de militants pro-israéliens, soit attaqué par une escouade fasciste parce qu'il dénonce le génocide que l'État d'Israël mène depuis des mois contre le peuple palestinien à Gaza.
Un, deux, trois, trop de bizarreries. Un, deux, trois, trop de distance entre l'actualité et la réalité. Une, deux, trois choses qui nous parlent d'une puanteur méphitique de régime, dont font partie non seulement Meloni mais l'ensemble des classes dirigeantes italiennes et européennes. Dont il faut se débarrasser au plus vite.
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Paolo Ferrero a été secrétaire du Parti de la refondation communiste, ministre du gouvernement italien (2006-2008) et vice-président du Parti de la gauche européenne.