Le Premier ministre eurosceptique et d'extrême-droite hongrois Viktor Orban assume la présidence tournante du Conseil de l'Union européenne (UE) jusqu'à la fin de l'année. A Bruxelles, le malaise est évident. La Hongrie et l'UE sont dans un bras de fer permanent sur de nombreuses questions, dont celle de la politique migratoire, qui vaut à Budapest des condamnations de la justice européenne.
Au sein de l'UE, Viktor Orban cultive sa réputation de "provocateur en chef", mais la Hongrie assure que son objectif est de faire de ces six mois de présidence une "période normale et fructueuse", comme le note le site d'information Politico.
"Make Europe Great Again", un slogan de "mauvais goût"
Pourtant Viktor Orban collectionne les dossiers qui fâchent à Bruxelles : liberté d'expression menacée en Hongrie, stigmatisation des personnes LGBTQ+, droit d'asile - presque - inexistant, droits de l'Homme bafoués, manque d'indépendance de la justice... De plus, le dirigeant hongrois est un proche de Vladimir Poutine. Orban freine donc des quatre fers lorsque l'UE veut soutenir l'Ukraine ou sanctionner la Russie.
Il est aussi un admirateur de Donald Trump. C'est ainsi que la Hongrie a choisi le slogan "Make Europe Great Again" pour sa présidence, copiant le slogan de campagne de l'ex-président américain, qui pourrait revenir au pouvoir aux Etats-Unis à la faveur de la prochaine élection présidentielle en novembre.
L'eurodéputé allemand Daniel Freund, du parti des Verts, estime que "l'utilisation du slogan de Trump pour cette présidence du Conseil est absolument de mauvais goût [...]. Cette phrase montre où Orban veut mener l'UE : vers des conditions autocratiques. Le fait qu'il soit autorisé, en tant que chef d'Etat autocratique, à occuper ce poste de premier plan au sein de l'UE est inacceptable".
À Bruxelles, les diplomates restent sceptiques et s'inquiètent des répercussions sur les principaux dossiers d'actualité. Par le passé, donc, la Hongrie a retardé les sanctions contre la Russie, bloqué l'aide militaire à l'Ukraine, rejeté le pacte européen sur la migration et enfreint les principes de l'État de droit, amenant l'UE à bloquer le versement de fonds européens à Budapest.
La Hongrie est aussi redoutée sur la dimension politique. Viktor Orban pourrait en profiter pour renforcer ses liens avec Donald Trump mais aussi avec le président chinois Xi Jinping et Vladimir Poutine. Lors d'une visite à Kiev le 2 juillet, sa première depuis le début de l'invasion russe en février 2022, il a appelé l'Ukraine à un cessez-le-feu, bien que le président ukrainien Volodymyr Zelensky et les Etats européens alliés de Kiev soient fermement opposés à cette option, estimant qu'elle profitera à l'armée russe.
Un "cauchemar" pour les bureaucrates de Bruxelles
Lors des dernières élections législatives européennes, le parti Fidesz de Viktor Orban, a certes enregistré sa plus mauvaise performance depuis que la Hongrie a rejoint le bloc il y a 20 ans, mais les bons résultats de l'extrême-droite dans d'autres Etats membres pourraient consolider son influence.
"Les forces nationales conservatrices, souverainistes et chrétiennes sont en hausse dans toute l'Europe. Nous ne représentons pas les idées progressistes, nous représentons le peuple. Nous sommes le pire cauchemar des bureaucrates de Bruxelles", se félicite Viktor Orban sur le réseau social X.
La présidence hongroise ne coïncide toutefois pas avec une importante période de scrutin : sur la politique migratoire, les États membres ont déjà voté le nouveau pacte sur la migration et l'asile au début de l'année.
La migration comme politique centrale
Celui-ci vise à établir des mécanismes de solidarité entre les Etats et à parvenir à une répartition équitable des responsabilités en matière d'asile au sein de l'UE.
La réforme comprend également des mesures afin de renforcer les contrôles sanitaires et de sécurité aux frontières, ainsi que pour accélérer les procédures d'examen des demandes d'asile.
Malgré cette opposition de Budapest et Varsovie, la réforme a été adoptée à la majorité qualifiée et doit être mise en œuvre au cours des deux prochaines années. La Commission européenne a agité le spectre de poursuites judiciaires à l'encontre des pays qui ne respecteraient pas les règles.
Dans une interview à InfoMigrants, l'eurodéputé hongrois Balazs Hidveghi du parti Fidesz explique que le pacte "ne changera rien, car il s'appuie sur des mesures qui ont déjà échoué, telles que les quotas et la redistribution des migrants à travers l'UE". Il accuse également les institutions européennes d'avoir une "idéologie pro-migration", qualifiant la politique migratoire actuelle de l'UE d'"inefficace" et de "contraire aux intérêts des Européens".
En raison de sa situation géographique, la Hongrie est depuis longtemps un pays de transit pour les migrants qui veulent poursuivre leur route vers d'autres États membres de l'UE.
Le gouvernement hongrois prétend que ses politiques restrictives, qui comprennent des barrières physiques et juridiques, protègent les frontières extérieures de l'UE et le bloc dans son ensemble.
"L'immigration doit être stoppée et non gérée"
Selon Balazs Hidveghi, "l'immigration doit être stoppée, et non gérée. Nous ne pouvons pas permettre aux migrants d'abuser de nos systèmes d'asile et d'enfreindre nos lois".
Dans le même temps, le système d'asile hongrois actuel a été complètement externalisé et exige des demandeurs d'asile qu'ils se manifestent auprès des ambassades hongroises de Belgrade ou de Kiev, avant de pouvoir éventuellement se rendre en Hongrie pour déposer leur demande d'asile.
Or, depuis mai 2020, seules 21 personnes ont reçu une autorisation de se rendre en Hongrie en suivant cette procédure.
Balazs Hidveghi affirme que l'approche actuelle de Bruxelles "encourage la migration vers l'Europe" et envoie "le mauvais signal" en donnant l'impression que "l'Europe accueillera tout le monde et attaquera les pays de l'UE qui rejettent cette position pro-migratoire".
La politique de la Hongrie n'a pourtant guère contribué à mettre un terme à l'immigration clandestine, rendant en réalité le voyage plus dangereux pour ceux et celles qui fuient la violence.
Diabolisation des migrants
Pour le gouvernement hongrois actuel, "la rhétorique anti-migrants et anti-réfugiés est vraiment centrale", note Aniko Bakonyi, directrice du programme pour les réfugiés au Comité Helsinki de Hongrie. "Ils ont investi massivement dans cette propagande, avec de nombreuses publicités et des campagnes d'affichage dans tout le pays".
Adel Sarolta Szabo, cheffe de projet à Menedek, une association hongroise de défense des migrants, explique qu'à partir de 2015, le gouvernement a commencé à imposer une connotation négative au terme de "migrant", les accusant notamment de vouloir "venir ici pour prendre nos emplois". Une propagande que "le gouvernement répète depuis près de dix ans".
Et le discours fonctionne. "Il est très difficile pour les migrants de trouver un emploi, de louer un appartement et de s'occuper des questions administratives", explique Adel Sarolta Szabo.
Elle souligne toutefois que "ce n'est pas seulement l'extrême droite qui influence la politique d'immigration de la Hongrie, c'est aussi le populisme et la peur. Il est plus facile de manipuler les gens quand le peuple a peur".
Depuis que la Russie lancé son invasion de l'Ukraine, cette rhétorique anti-migrants semble avoir perdu en efficacité. L'accueil des déplacés ukrainiens a entrainé un changement dans la perception des réfugiés par la population hongroise. "Nous avons constaté une grande solidarité et un accueil chaleureux de la part de la population, ce qui est encore plus remarquable après des années de campagnes de haine contre les réfugiés et les migrants", estime Aniko Bakonyi, du Comité Helsinki. "Il est donc probable que la carte anti-migrant devienne un peu plus difficile à jouer à l'avenir".
Fonds européens gelés
Bien que la présidence de l'UE soit dépourvu de pouvoir réel, certains craignent que Viktor Orban ne profite de cette position pour obtenir le déblocage de 19 milliards d'euros de fonds européens gelés.
Ces dernières années, la Hongrie est devenue un cas à part au sein de l'UE et de l'Otan. Viktor Orban est parvenu à freiner les sanctions européennes contre la Russie et ne soutient pas l'aide de l'Alliance atlantique à l'Ukraine. Au début de l'année, des députés européens ont même demandé que la présidence soit retirée à la Hongrie.
Budapest est aussi dans un bras de fer permanent avec les juridictions européennes. Dernier épisode en date : au début du mois, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) a condamné la Hongrie à une astreinte d'un million d'euros par jour de retard pour ne pas s'être mise en conformité avec le droit de l'UE en matière d'asile et pour avoir expulsé illégalement des migrants.
Viktor Orban a fait part de son indignation, affirmant que l'UE donnait la priorité aux migrants irréguliers plutôt qu'à ses propres citoyens.
Un porte-parole de la Commission européenne a assuré à InfoMigrants avoir recours à "divers outils" pour assurer le respect de la législation européenne par les Etats membres, y compris le dialogue et les procédures d'infraction.