07/07/2024 euro-synergies.hautetfort.com  8min #252071

La Cinquième République française a échoué, voilà pourquoi

par Enrico Colonna

Source:  ilprimatonazionale.it

Rome, le 6 juillet - Après  la débâcle du centre macronien aux élections européennes du 9 juin dernier, on a déjà parlé de l'échec de l'idéal de la Cinquième République française, c'est-à-dire de ce régime constitutionnel semi-présidentiel né en 1958 (en pleine guerre d'Algérie) dans le pays transalpin, sous l'impulsion du président du gouvernement de transition de l'époque, Charles De Gaulle. Mais ce qui est plus intéressant à noter, c'est que cet échec n'est pas seulement imputable aux récents désastres électoraux du bloc macronien ou à la montée du Rassemblement national de Marine Le Pen et de son dauphin Jordan Bardella : la Cinquième République était déjà morte depuis plus d'une décennie et nous ne nous en étions pas aperçus.

Qu'est-ce que la Cinquième République française ?

Tout d'abord, il est nécessaire de préciser de quoi nous parlons : ce qu'elle est, pourquoi elle est née et comment fonctionne la Cinquième République française. En résumant beaucoup, on peut dire que par Cinquième République, on entend l'ordre constitutionnel en vigueur en France depuis 1958. Les systèmes de ce type peuvent être énumérés en considérant comme Première République celle née de la déposition du roi pendant la Révolution, comme Deuxième celle née des soulèvements de 1948 avec la fin de la Monarchie de Juillet, comme Troisième celle née de la chute de Napoléon III pendant la guerre franco-prussienne de 1870, comme Quatrième celle née au lendemain de la Seconde Guerre mondiale (ne reconnaissant pas la République de Vichy comme légitime) et enfin comme Cinquième, toujours en vigueur, celle née de la réforme constitutionnelle gaulliste de 1958.

La principale raison de cette réforme est l'éclatement de la crise algérienne. En effet, si la France avait déjà abandonné nombre de ses colonies, elle conservait encore fermement son contrôle sur l'Algérie, où une importante population européenne était fermement opposée à toute forme de décolonisation.

Le général Charles De Gaulle profite de cette crise pour mettre en place un nouveau système de gouvernement dans lequel le président de la République dispose de beaucoup plus de pouvoirs qu'auparavant. La première réforme gaulliste a été soumise à un référendum populaire qui a approuvé les changements constitutionnels avec plus de 79 % des voix. Par la suite, une nouvelle modification du mode d'élection du président a été approuvée en 1962.

Avec la nouvelle constitution, la France est passée d'un régime parlementaire à un régime semi-présidentiel, le président étant d'abord élu par un collège électoral, puis, avec l'amendement de 1962, le président étant élu directement par les citoyens au suffrage universel.

Comme on le sait désormais, compte tenu du retentissement médiatique massif de cette intense saison électorale transalpine, la France vote deux fois : pour le président de la République (un personnage doté d'un véritable pouvoir exécutif, et pas seulement d'une figure garante de l'ordre constitutionnel) et pour les 577 représentants de la chambre basse, l'Assemblée nationale. Pour l'élection de ces derniers, le système est similaire au système britannique : vous votez dans des circonscriptions et des districts individuels et le candidat qui obtient la majorité absolue (50 % + 1) l'emporte. Mais c'est assez rare, il suffit de penser qu'au premier tour de ces élections législatives, seuls 78 députés sur 577 ont obtenu la majorité absolue. C'est pourquoi, comme pour les élections présidentielles, il y a très souvent un second tour, auquel participent les candidats qui ont franchi un certain seuil. Ce seuil est fixe en théorie, mais en réalité il est mobile, car il varie en fonction du taux de participation, fixé à 12,5 % des électeurs inscrits (note : PAS des suffrages réellement exprimés). Dans le cas présent, compte tenu du taux de participation élevé, il y a plus de bulletins pour des triangulaires que de bulletins pour des duels (305 et 191 respectivement, plus 5 bulletins où quatre candidats seront en lice).

S'agissant d'un régime semi-présidentiel, le président gouverne avec des pouvoirs exécutifs réels qu'il partage avec le premier ministre exprimé par l'Assemblée nationale. Il s'ensuit que, telle que la Cinquième République a été conçue, il serait bon que le président gouverne avec un premier ministre issu de son propre parti. Sinon, on parle de "cohabitation", avec un président qui ne fait pas partie de la majorité exprimée par le premier ministre. Et cela semble être l'une des possibilités qui attendent le locataire de l'Elysée le 7 juillet. Rien de nouveau cependant, cela s'est déjà produit : par exemple dans les années 1980 avec Mitterrand et Chirac, mais il ne s'agissait pas d'une situation de conflit ouvert entre le président et le premier ministre, comme celle qui se dessine aujourd'hui. Dans le passé, la relation entre les deux était différente. En effet, lorsque Michel Debré, fidèle de De Gaulle, a théorisé la structure de la Ve République, il a raisonné sur la nécessité d'avoir un gouvernement centralisé qui réconcilierait les deux traditions politiques françaises : d'une part, la tradition monarchique puis bonapartiste, avec un président doté d'un véritable pouvoir exécutif, et d'autre part, la tradition jacobine et centraliste basée sur la diffusion de la puissance publique dans toute la nation, concrétisée par l'élection de l'Assemblée nationale.

Tel était l'idéal de la Ve République : un gouvernement stable et centralisé réunissant dans un même corpus juridique l'héritage des deux traditions politiques autour desquelles la France s'est articulée depuis la Révolution.

Pourquoi la Constitution actuelle est morte bien avant Macron

Tant que De Gaulle était là (en fait, il semble que la Cinquième République ait été conçue comme si De Gaulle allait durer éternellement), ce système pouvait également fonctionner, avec un président fort en charge de la direction stratégique du pays et laissant les affaires plus "ordinaires" au gouvernement. Ce système semblait également fonctionner avec les successeurs, par exemple Georges Pompidou (déjà premier ministre sous De Gaulle) et François Mitterrand.

Mais les choses ont rapidement changé avec l'arrivée à l'Élysée de Sarkozy (Républicain) puis de Hollande (Socialiste). Avec eux, l'aura d'inviolabilité du président légitimé deux fois par le peuple, soit par l'élection directe, soit par le premier ministre, exprimé par l'Assemblée nationale élue par les citoyens, a commencé à disparaître. La figure du président en tant que garant de l'unité nationale, indépendamment des diatribes politiques, commence à s'estomper de plus en plus jusqu'à ce qu'aujourd'hui, dans la perception des citoyens, Monsieur le Président ne soit plus qu'un politicien parmi d'autres.

Lorsqu'Emmanuel Macron a gagné pour la première fois contre Marine Le Pen de l'ancien Front national (aujourd'hui Rassemblement national) en 2017, il a en fait gagné de loin, avec un bon résultat dès le premier tour et avec un pourcentage "bulgare" au second tour. À la fois en raison du discours habituel du front commun contre Le Pen, par lequel même l'électeur de gauche vote en "levant le nez" pour le candidat adverse (ou vice versa) afin d'éviter la victoire du Front national, et parce qu'il avait su se présenter (comme beaucoup à l'époque et pas seulement en France, il faut le dire) aux électeurs comme la nouveauté, comme l'alternative à l'ancienne politique. Et en effet, lors de ces élections présidentielles, les deux partis historiques, républicain et socialiste, n'ont obtenu que de très faibles pourcentages. Un succès, cependant, qui est monté à la tête du président nouvellement élu, qui a toujours voulu rester ferme sur ses intentions, même au détriment de ses alliés gouvernementaux, avec pour seul résultat de chercher son camp, tantôt à gauche (sur les droits civiques et l'environnement), tantôt à droite (sur l'immigration et le travail), afin de se maintenir en place. Or, il va de soi que si un gouvernement cherche à survivre politiquement en jonglant entre deux pôles, il ne parvient qu'à se décrédibiliser aux yeux de l'électorat et, surtout, à faire perdre leur sang-froid aux deux camps sur lesquels il s'appuie.

Et la défiance envers l'attitude "nouveau De Gaulle" d'Emmanuel Macron s'était déjà manifestée lors des élections présidentielles de 2022 : si au second tour de 2017, Macron l'avait emporté avec presque deux fois plus de voix que Le Pen (66% contre 34%, grâce à l'idée du "front commun" anti-Le Pen), au second tour de 2022, il n'a dépassé les 50% que de huit points, obtenant un maigre 58% contre plus de 42% pour Le Pen. Cette même Le Pen qui n'avait obtenu qu'un peu plus de 23 % au premier tour : il est donc clair qu'à l'époque déjà, l'idée d'un "front commun" était de plus en plus mince.

La débâcle des dernières élections européennes n'a peut-être été que le coup de grâce pour un Macron qui, à force de vouloir être le président de tout le monde (un nouveau De Gaulle, pour être précis) risque de n'être le président de personne, avec encore trois ans de mandat à faire. Compte tenu de la situation, le choix de ce dernier verbe n'est pas fortuit, mais pour savoir si le bon choix lexical a été fait, il ne reste plus qu'à attendre les résultats du dimanche 7 juillet.

Enrico Colonna

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