20/07/2024 mondialisation.ca  5min #253001

Au-delà de la force: aborder la violence en Haïti par le désarmement et des solutions axées sur la communauté

Par  Boaz Anglade

Au cours des cinq dernières années, les gangs armés ont pris le contrôle de la capitale d'Haïti, Port-au-Prince, ainsi que d'autres régions, s'emparant de nombreux quartiers. Cela a conduit à une récession économique significative, en raison des restrictions de déplacement, et à une migration massive hors du pays. En mars 2024, le Premier ministre Ariel Henry, qui dirigeait un gouvernement intérimaire, a démissionné, ce qui a conduit à l'établissement d'un nouveau gouvernement de transition avec un conseil présidentiel de neuf membres et un nouveau Premier ministre. Peu de temps après, un contingent de 200 policiers kényans est arrivé en Haïti dans le cadre d'une mission de sécurité approuvée par les Nations Unies. Cette mission vise à soutenir la police et l'armée d'Haïti dans le démantèlement des gangs, la sécurisation des infrastructures clés et le retour à la normale, permettant ainsi l'organisation de nouvelles élections.

Dans le discours public, de nombreux Haïtiens espèrent que l'arrivée des forces kényanes apportera la force nécessaire pour éradiquer complètement les gangs à travers des opérations conjointes avec les forces de l'ordre haïtiennes. Cependant, les discussions sur les programmes de désarmement et de réintégration, qui pourraient potentiellement réduire le nombre de victimes et s'attaquer aux causes profondes de la violence, sont moins fréquentes. L'approche consistant à éliminer les membres des gangs comme on traite une infestation est impraticable et semée de problèmes. Tout d'abord, il existe un risque élevé de victimes civiles lors des opérations dans les quartiers abritant des gangs, car les membres des gangs pourraient être indiscernables des civils innocents. De plus, la présence d'enfants soldats dans ces gangs soulève des préoccupations morales significatives qui nécessitent une attention particulière.

Les programmes de désarmement et de réintégration ont connu un certain succès dans plusieurs pays touchés par la violence, et Haïti lui-même fournit une étude de cas pertinente. Il y a vingt ans, en 2004, Haïti faisait face à des problèmes similaires avec une violence généralisée et des gangs contrôlant plusieurs quartiers de Port-au-Prince après le départ de l'ancien président Jean-Bertrand Aristide. Une mission de maintien de la paix de l'ONU dirigée par le Brésil a été envoyée en Haïti avec pour objectif principal de rétablir un environnement sûr et stable. En 2006, le gouvernement haïtien a créé la Commission Nationale de Désarmement, Démantèlement et Réinsertion (CNDDR) pour favoriser la confiance et le dialogue entre tous les secteurs afin d'atteindre un désarmement général (1).

Un aspect crucial de l'approche de la CNDDR était la reconnaissance des dimensions sociales perpétuant la violence en Haïti. Les Haïtiens ne sont pas intrinsèquement plus violents que d'autres ; le chaos en Haïti résulte en grande partie du chômage, de la pauvreté et de l'inégalité. En partenariat avec la CNDDR, la mission de l'ONU a développé un programme de réduction de la violence communautaire, axé sur le soutien institutionnel pour renforcer la nouvelle commission. Ce programme mettait l'accent sur des projets à forte intensité de main-d'œuvre pour fournir des alternatives aux activités criminelles pour ceux des communautés touchées par la violence et des projets de réintégration pour les anciens membres de gangs. Plusieurs autres initiatives ciblaient spécifiquement les femmes qui avaient été à la fois victimes et auteurs de violences armées (2). Bien que le succès de la CNDDR pendant cette période soit sujet à débat, plusieurs résultats positifs étaient évidents à la fin de 2009. La situation sécuritaire s'est améliorée, les forces de l'ordre ont repris les territoires autrefois contrôlés par des gangs armés, et plusieurs membres de gangs ont rendu leurs armes dans le cadre du programme de la CNDDR (3).

Aujourd'hui, des leçons peuvent être tirées des efforts de la CNDDR il y a presque 20 ans. L'idée de mener des opérations policières conjointes avec les troupes kényanes pour nettoyer les quartiers des gangs est impraticable et susceptible de créer des problèmes supplémentaires, surtout dans les zones où l'État est absent depuis de nombreuses années et où les membres de gangs sont souvent devenus des leaders communautaires de facto. Aborder la cause profonde de la violence en Haïti nécessite de reconnaître que le problème est social et que les solutions sociales doivent faire partie de la réponse.

Des plans concrets doivent inclure des initiatives de réduction et de prévention de la violence armée axées sur la communauté, accompagnées de filets de sécurité sociale pour soutenir les communautés affectées par le conflit. Compte tenu de la crise humanitaire actuelle, ces programmes de filet de sécurité peuvent servir à la fois à soutenir le désarmement et à améliorer les indicateurs de développement humain. Par exemple, des programmes comme les transferts monétaires inconditionnels peuvent réduire l'insécurité alimentaire et agir comme un tampon contre les chocs économiques. Les transferts monétaires conditionnels à la scolarisation peuvent améliorer les résultats scolaires des enfants. Les programmes de « cash-for-work » peuvent fournir un soutien temporaire aux revenus tout en améliorant les services d'assainissement.

En somme, aborder la question de la violence communautaire en Haïti nécessite une approche multifacette qui va au-delà de l'utilisation immédiate de la force. En apprenant des efforts passés, Haïti devrait développer des programmes complets de désarmement et de réintégration qui s'attaquent à la fois aux symptômes et aux causes profondes de la violence, menant finalement à une paix durable.

Boaz Anglade

Notes / Sources

(1)  reliefweb.int
(2)  refworld.org
(3) cdn.americanprogress.org

*

Boaz Anglade est un économiste du développement haïtien travaillant comme consultant en développement international. Il détient un doctorat en économie appliquée. Il est membre fondateur du parti politique Jenès Konsyan (Jeunesse Consciente).

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