26/07/2024 basta.media  6min #253474

L'été, le tourisme de masse étouffe les villes européennes

En Espagne, à l'approche de la haute saison, des manifestations ont eu lieu dans de nombreuses villes contre le sur-tourisme, qui engendre pollution, nuisances et exclusion des locaux. La presse indépendante fait écho de ces problématiques brûlantes.

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Chaque jour, Barcelone accueille des dizaines de milliers de touristes. L'année dernière, 15 millions de voyageurs ont visité la capitale catalane. « C'est l'une des villes au monde qui a le plus souffert de la surpopulation touristique »,  éclaire El Salto. Et l'augmentation du prix des logements n'est pas la seule conséquence, explique le média.

« L'empreinte écologique de dizaines de milliers de vols chaque année, une demande croissante en eau qui aggrave la sécheresse chronique en Catalogne, la dégradation des espaces naturels ou la baisse de la qualité des emplois sont quelques-unes des conséquences d'un modèle conçu pour les visiteurs fortunés, écrit le journaliste Martín Cúneo. L'expulsion des habitants et des commerces du quartier par des résidents étrangers à fort pouvoir d'achat, des appartements touristiques et des chaînes multinationales - la fameuse gentrification - est un autre des effets dénoncés. »

Ce phénomène ne touche pas que la ville catalane. Partout en Espagne, à l'approche de l'été et donc de la saison touristique, des voix se sont élevées contre le sur-tourisme et ses conséquences. elDiario.es s'est rendu  à Palma, sur l'île de Majorque, où « le mouvement des touristes qui vont et viennent est constant ». Et tous les visiteurs ne dorment pas dans des hébergements légaux : au moins 37,6% des résidences touristiques sont louées « illégalement, sans disposer des permis nécessaires ».

Réponses inégales et manque de moyens

Pour les locaux, la situation est devenue « insupportable ». Un habitant de Palma raconte : « J'ai dû vendre mon appartement, j'habitais au dixième étage et tous les jours, quatre ou cinq touristes montaient simultanément dans l'ascenseur. Lorsqu'il tombait en panne, nous devions donc marcher jusqu'en haut. Sur le toit, quinze ou vingt personnes faisaient la fête, de jour comme de nuit. Nous, les voisins, étions scandalisés, mais d'autres propriétaires préféraient continuer à louer leurs appartements aux touristes. »

Les Baléares disposent de peu de moyens pour lutter contre ces locations lucratives, mais illégales. « Chaque île a ses propres fonctionnaires chargés d'empêcher les touristes de louer des appartements qui devraient revenir à la population résidente : Majorque compte 20 inspecteurs, Eivissa neuf, Minorque sept et Formentera attend d'en obtenir un », raconte le média indépendant  dans un autre article. Cela équivaut à un inspecteur pour 495 000 visiteurs, calcule le site espagnol.

Le 6 juillet, une manifestation a eu lieu à Barcelone, faisant écho aux luttes ailleurs dans le pays - des grandes villes aux îles, en passant par les zones côtières -, pour demander un changement radical de modèle. Les organisations à l'origine de la mobilisation demandent d'augmenter la taxe de séjour, la fin de la publicité pour du tourisme de masse, ou encore la limitation des permis pour les hébergements touristiques.

Un mois plus tôt, la mairie de la ville avait déjà  annoncé un geste en ce sens : « Jusqu'à 10 100 appartements touristiques expireront leurs licences d'ici novembre 2028. La Mairie de Barcelone a décidé de ne renouveler aucune de ces licences étant donné le grave problème d'accès au logement dont souffre la ville », écrivait El Salto.

Mais les réponses varient selon les régions. Alors que « le gouvernement andalou s'attend à 21,5 millions de visites malgré la lassitude sociale »,  titre le média espagnol, et que des villes comme Malaga et Cadix se sont elles aussi largement mobilisées contre la tourisification et pour le droit au logement, la région ne semble pas s'intéresser au problème. Au contraire, « Arturo Bernal, ministre andalou du Tourisme, de la culture et des sports, a déclaré qu'"il est absurde de s'attaquer à la principale activité économique de notre territoire", en référence au mouvement populaire contre la saturation des villes. »

« Le tourisme de masse est devenu un monstre »

Les voix espagnoles résonnent avec celles d'autres pays. En Italie, Il Manifesto parle  des lacs lombards et de leurs flots de touristes qui « perturbe[nt] la vie et l'écosystème délicat des petites communes ». Les voitures envahissent les villages, la pollution, les problèmes de gestion des déchets et l'augmentation des microplastiques dans l'eau des lacs viennent s'ajouter aux hausses de prix et aux nuisances pour les locaux. Les communes perdent des habitants. « Ainsi, entre les files d'attente pour un café et celles pour une glace, les communautés se dépeuplent et le sentiment de vivre ensemble s'évanouit. »

En mars, le correspondant Europe du journal britannique The Guardian se penchait sur  les stratégies des grandes villes européennes contre le sur-tourisme. « Le tourisme de masse détruit notre ville », raconte avoir entendu maintes fois Jon Henley. Le journaliste écrit : « C'est un refrain que l'on entend dans les villes historiques d'Europe, de Prague à Barcelone, d'Athènes à Amsterdam. Le tourisme de masse, encouragé par des conseils municipaux avides d'argent depuis la crise de 2008 et alimenté par des vols bon marché et des locations de chambres en ligne, est devenu un monstre. »

De l'augmentation des taxes de séjours aux prix fixes pour entrer dans les villes, en passant par la limitation des croisières ou les campagnes de dissuasion à destination de catégories de touristes « dérangeants » (comme les groupes de jeunes venus faire la fêtes), observer les méthodes plus ou moins efficaces des voisins pourrait donner des idées aux Espagnols... et à tous les autres.

Emma Bougerol

Photo de une : Une plage à Nice/ CC BY-NC-ND 2.0 Mark Notari via  Flickr.

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