06/08/2024 elcorreo.eu.org  11min #254198

Une Utopie Depuis Le Sud Propositions pour l'avenir de la région.

par  Cristina Fernández de Kirchner

À la clôture d'un séminaire au Mexique sur la réalité politique et électorale en Amérique latine, l'ancienne présidente argentine Cristina Fernández de Kirchner a exigé que l'autorité électorale du Venezuela publie le procès-verbal des résultats des élections de dimanche dernier et s'est déclarée en ligne avec la déclaration de la réunion conjointe de la Les présidents du Mexique, Andrés Manuel López Obrador, du Brésil, Lula et de la Colombie, Gustavo Petro. Dans un discours qui a duré un peu moins d'une heure et lors duquel elle était accompagnée des sénateurs Anabel Fernández Sagasti et Oscar Parrilli et des maires Mariel Fernández et Mayra Mendoza, elle a déclaré que si le Conseil national électoral a pu être mesure de communiquer les résultats des élections vendredi, avec des pourcentages et une précision décimale, c'est parce qu'il a accès à un double système informatique des procès-verbaux qui a été piraté, dont on exige la présentation. Elle a demandé sa publication, non seulement pour le peuple vénézuélien et l'opposition, mais aussi pour l'héritage d'Hugo Chávez.

Cristina a également salué le fait que la chef de l'opposition, María Corina Machado, soit sortie de sa cachette pour mener une marche de protestation massive à Caracas, car la clandestinité n'est pas une bonne chose.

Elle a rappelé que le péronisme « a toujours depuis ses débuts reconnu les résultats. Nous sommes la seule force en Argentine qui a été renversée à deux reprises par des coups d'État militaires ». En passant en revue le processus politique vénézuélien, elle a évoqué le Caracazo contre Carlos Andrés Pérez et sa politique d'ajustement, l'élection de Chávez en 1999, le coup d'État de 2002, lorsque les États-Unis ont reconnu l'homme d'affaires de Fedecámaras Pedro Carmona comme président, les 15 élections qui ont eu lieu depuis le retour de Chávez à la présidence et la consécration par l'Assemblée d'un président qui n'avait pas été élu et qui a parcouru le monde pour « récolter des dollars ». Elle a également évoqué les guarimbas de 2017, qui « ont été violentes et ont répondu par la violence. Les militants ont l'obligation d'être objectifs ». Faisant référence au blocus étasunien que subit le Venezuela depuis une décennie et qui empêche même l'entrée de médicaments, elle a déclaré que ni Adam Smith, ni Karl Marx, ni Hayek ni Milton Friedman ne pouvaient imaginer et expliquer qu'un pays interdise la vente ou l'achat de quoi que ce soit dans un pays plus faible. Nous devons étudier les aspects économiques du blocus, a-t-elle déclaré.

Au début de sa master class, elle a rappeler qu'il fallait miser sur la formation des cadres, sur l'information, en cette ère de fausses nouvelles, de culture liquide et instantanée, continuer à parier sur l'histoire et pas seulement sur le moment instantané. EIle a félicité la présidente élue Claudia Sheinbaum pour son identification au mouvement AMLO. Le titre attribué à sa présentation était « Una utopía desde el sur. Propuestas para el futuro de la región.  ». L'ancienne Présidente a déclaré que :



L'Amérique Latine est née de l'utopie de la liberté, alors que nous étions encore une colonie. Que la lutte émancipatrice de San Martín et Bolívar était une lutte d'idées, celles de la Résolution française contre l'Ancien régime. Le concept de Patrie s'est forgé dans les luttes pour l'indépendance. Soyons libres, le reste n'a aucune importance, a déclaré San Martín.

Si l'utopie du XIXe siècle était celle de la liberté, celle du XXe siècle, une fois les États nationaux construits, était celle de l'égalité, avec Eloy Alfaro en Équateur, Yrigoyen et Perón en Argentine, les pays d'Amérique Centrale. Le principe directeur qui a guidé la région était la non-ingérence dans les autres pays et la reconnaissance de la souveraineté politique et culturelle. Nous n'avons pas aussi bien réussi avec l'utopie de l'égalité. Notre continent reste le plus inégalitaire. Il y avait des idées concurrentes : capitalisme contre communisme, dans un combat idéologique total, un autre combat d'idées, qui s'est terminé avec la chute du mur de Berlin.

Mais ce n'était pas la fin de l'histoire. L'achèvement de la modernité, c'est la chute des tours jumelles, et non celle du mur. Les guerres ne concernaient plus les idées, les systèmes opposés, avec le renversement des mouvements nationaux et populaires. Nos forces armées n'occupaient plus le rôle de la terre en armes, elles servaient dans des armées d'occupation, dans un parti militaire. En 1930, l'ère des gouvernements de facto a commencé avec l'accord de la Cour suprême de justice. Le Mexique a accueilli les Argentins fuyant la dictature de 1976. Les coups d'État ont pris fin avec la chute du mur de Berlin, la vague de gouvernements néolibéraux a émergé, avec les privatisations, la réduction des droits du travail, la mise à disposition du patrimoine national. L'attaque des tours marque la fin de l'histoire de la modernité où les idées se discutent et où commencent les guerres de haine, sur la religion, la race.

Mais au début du XXIe siècle, des gouvernements nationaux populaires et démocratiques émergent dans la région. Hugo Chávez est le premier, avec les élections de 1999 après l'échec du pacte PuntoFijo et Caracacazo. Puis Lula, Néstor, Rafael Correa, Evo, Lugo. Ce sont des gouvernements et des modèles différents. Le point commun de ces dirigeants était qu'ils ressemblaient à leur peuple et représentaient leurs intérêts. Les interventions militaires et leurs méthodes de disparition forcée et d'exil, impensables à l'ère de la communication, n'étaient plus possibles contre ces gouvernements. Si elle avait existé à cette époque, la dernière dictature argentine n'aurait pas été possible. Sa défaite intervient à la fin de l'aventure des Malvinas. La démocratie argentine est la fille des disparus, des combattants des Malvinas et des Mères et Grands-mères de la Place de Mai. Une méthode différente apparaît. Le seul coup d'État comme ceux du XXe siècle s'est produit contre Evo, parce qu'il a réformé la justice. Au parti militaire succède le parti judiciaire pour stigmatiser et proscrire ceux qui dirigent et représentent ces mouvements, comme Lula et Rafael (Correa). La souveraineté populaire est déformée, j'en étais la protagoniste. En 2016 commence le procès principal, dont l'instruction a duré pas moins de quatre ans. Ils décident que je dois participer au procès oral pour corruption en 2019, quand il y a eu des élections et que la représentante qui garantissait la victoire c'était qui celle vous parle. Personne ne l'a vu, car le 18 mai, j'ai annoncé que Alberto Fernández serait candidat à la présidence.

Le procès commence pour entendre les arguments d'un procureur le 21 mai 2019, vingt jours avant la clôture de la liste présidentielle, et a duré jusqu'au 24 juin, soit plus d'un mois. Le procureur s'est exprimé sur la chaîne nationale, tandis que les cameras se concentraient sur la porte de ma maison. Cela a commencé le 1er août et s'est terminé le 22. Et sur la scène mondiale, Trump se préparait à être réélu, l'économie s'envolait, jusqu'à ce que la Covid intervienne comme un cygne noir. Ce président avait autorisé un prêt extraordinaire de 57 milliards de dollars au gouvernement argentin qui orchestrait la persécution judiciaire. Notre principal allié, le Brésil, avait fait emprisonner Lula, son leader. Dans ce scénario, je devais prendre les décisions. Nous avons besoin de gens capables qui puissent lire mieux la politique.

L'utopie que nous devons proposer depuis le Sud est la Justice, qui a été récupérée par les facteurs du pouvoir économique, sous la pression des médias hégémoniques. Aucun juge n'est encouragé à faire certaines choses. Je félicite la réforme judiciaire que Morena entreprend, avec l'élection populaire de tous les magistrats. En Argentine, nous avons un pouvoir judiciaire qui enquête uniquement sur les auteurs matériels de l'attaque contre ma personne, que nous avons arrêtés. La vierge et le chapelet m'ont sauvé, car le coup de feu n'est pas parti, ainsi que les militants qui l'ont attrapé. Lors du procès oral, au cours duquel celui qui a tenté de m'assassiner a avoué, ils ont convoqué les militants parce qu'ils veulent faire comme si cela en réalité nous était arrivé parce que nous n'avions pas trop pris soin de nous-mêmes.

Le Pouvoir Judiciaire n'est indépendant que des rois d'Espagne. Ici, ils réduiraient le mandat de 15 à 12 ans, éliminant ainsi un obstacle monarchique. En Argentine, les juges sont à vie. J'ai tenté une réforme moins profonde, lors de mon deuxième mandat, à travers la majorité au Congrès : la démocratisation de la Justice. Que les conseillers du pouvoir judiciaire furent élus au suffrage populaire et que les employés du tribunal ne soient pas des parents et/ou des connaissances des juges en fonction (famille judiciaire), qui ressemble davantage à la famiglia. Comme un éclair venu de Jupiter, la Cour suprême l'a déclaré inconstitutionnel. Le Mexique sera le deuxième pays après la Bolivie à intégrer l'élection populaire des magistrats. Félicitations !

Le cadre global, la deuxième utopie. L'expansion du conflit non résolu au Moyen-Orient, la guerre de l'Ukraine et la Russie impliquant l'OTAN, l'émergence de nouveaux acteurs dans la politique internationale. La fin de l'histoire a été une Pax Romana avec les États-Unis comme primus inter pares et le reste subordonné. Quelque chose s'est mal passé. La Chine est sur le point de devenir la première économie mondiale sans porte-avions et sans un seul tir en seulement 70 ans. Nous étions habitués au fait que les pouvoirs du XXe siècle étaient des systèmes d'idées contre des systèmes d'idées. Pas ici, comme le dit (Juan Gabriel) Tokatlián, professeur de relations internationales.

Le capitalisme n'est plus une idéologie, telle est ma théorie. La Chine est devenue la forme de production de biens et de services la plus efficace. Qui dirige le processus capitaliste ? Michel Albert n'a même pas listé la Chine (un intellectuel n'est pas celui qui lit beaucoup ou parle bien, mais plutôt celui qui sait lire ce qui se passe dans son pays et sur la scène internationale), il a fait la différence entre le capitalisme allemand et celui du casino usaméricain, toujours piloté par le marché. Aujourd'hui, les économies asiatiques, avec la participation de l'État dans la conduite du processus économique, qui doit générer l'inclusion et le respect de l'environnement, ce que le marché ne fait pas. ElonMusk veut du lithium au prix le plus bas, il ne se soucie pas de l'environnement. La Chine a intégré plus de 700 millions de personnes issues de l'économie rurale dans le processus de production capitaliste, c'est sans précédent.

Ce ne sont pas des modèles antithétiques. Il y a deux nords. À l'utopie de la justice, il faut ajouter l'utopie de la paix, selon laquelle aucun conflit ne nous est transféré. Dans ce cadre, nous devons aborder le problème de la démocratie au Venezuela. Première caractérisation au-delà des sympathies et des antipathies : c'est une réserve de pétrole supérieure à la saoudienne. Il n'y a ni démons ni anges au Venezuela. Si l'on considère le processus qui a commencé en 1999, avec le coup d'État de 2002, avec l'emprisonnement de Chávez et l'arrivée au pouvoir de Carmona, de Fedecámaras, reconnue par les États-Unis. Il y a eu environ 15 élections. Un climat de violence s'est créé, avec un président nommé par l'assemblée, qui parcourait le monde pour collecter des dollars.

J'ai reconnu les résultats et géré les relations internationales quels que soient mes goûts. Un journal a publié de fausses nouvelles selon lesquelles l'Argentine aurait voté en 2014 en faveur de la Russie pour l'annexion de la Crimée. Mensonges, l'Argentine a voté pour la motion présentée par les États-Unis. La Crimée faisait partie de la Russie, Nikita Khrushev l'a offerte comme cadeau le jour de mon premier anniversaire. Dans notre région, nous n'avons connu que deux conflits militaires, la crise des missiles de Cuba en 1962, lorsque les États-Unis ont découvert des missiles russes à tête nucléaire visant les États-Unis. JFK ordonne à Nikita Khrouchtchev de les retirer. Beaucoup de tensions, au bord d'une guerre nucléaire, ils les ont retirés. L'année suivante, ils l'ont tué et ce n'étaient pas les Russes. Le deuxième a été la guerre des Malouines, nous avons eu la solidarité de l'Amérique Latine, tandis que les États-Unis jouent avec leur allié de l'OTAN. Le TIAR et l' OEA y sont morts, les obligeant à venir en aide au pays attaqué par une puissance extra-continentale. Et puis la cerise sur le gâteau : l'intervention dans le coup d'Etat bolivien.

Il est impératif de garantir la paix. Sans paix, il n'y a pas de justice ni d'économie, c'est un principe de base. Justice et paix. Nous respectons le principe de l'intégrité territoriale, pour la défense et le rétablissement des îles Malvinas. Lorsque le Venezuela arrive, les champignons démocratiques apparaissent après la pluie. Ils viennent du gouvernement qui m'a persécuté et qui a livré les armes en 2019 pour renverser Evo, dont l'Argentine et le Mexique ont sauvé la vie. Et les démocrates qui visitent les génocidaires de 1976 en prison et mènent un projet pour promouvoir leur libération sont ceux qui parlent de démocratie et disent qu'il y a une dictature au Venezuela. Ils ne sont pas négationnistes et veulent également les exempter des crimes contre l'humanité. Il est important de retrouver une cohérence entre parole et comportement.

Cristina Fernández de Kirchner* depuis le Mexique

 El cohete a la luna. Buenos Aires, le 4 août 2024.

Traduction Non officiel de l'espagnol pour  El Correo de la Diaspora de : Estelle et Carlos Debiasi

El Correo de la Diaspora. Paris, le 5 août 2024.

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