28/08/2024 investigaction.net  10min #255620

Génocide à Gaza: les médias occidentaux pourraient devoir rendre des comptes

Craig Mokhiber

Les entreprises médiatiques occidentales se sont intégrées au mécanisme du génocide en Palestine et il existe des précédents historiques qui permettent de les en tenir responsables.

Le caractère impitoyable de la machine génocidaire israélienne en Palestine, ainsi que la complicité directe des États-Unis, du Royaume-Uni et d'autres gouvernements occidentaux sont deux piliers essentiels des horreurs perpétrées contre le peuple palestinien (et des attaques contre les défenseurs des droits humains dans le monde entier).

Mais il existe un troisième pilier essentiel : le rôle des médias occidentaux complices qui diffusent sciemment la désinformation et la propagande israéliennes, justifient les crimes de guerre et les crimes contre l'humanité, déshumanisent les Palestiniens et occultent, en Occident, les informations sur le génocide. Du point de vue du droit international des droits humains, de telles actions pourraient et devraient faire l'objet de sanctions. Il existe d'ailleurs des précédents historiques.

Il y a 76 ans, lorsque les délégués se sont réunis aux Nations unies nouvellement créées pour rédiger la Déclaration universelle des droits de l'homme (DUDH), l'importance de la protection de la liberté d'expression était au premier plan. Ils ont déclaré que « tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit ».

Mais, après un demi-siècle d'atrocités, dues en grande partie à la déshumanisation de millions de personnes sur la base de leur race, de leur appartenance ethnique, de leur religion ou de tout autre statut, ils n'étaient que trop conscients que la parole pouvait également être utilisée comme une arme puissante pour détruire les droits d'autrui, y compris le droit à la vie lui-même. Ainsi, dans le même document, les Nations unies ont précisé que la liberté d'expression n'accorde pas aux entreprises de médias ou à quiconque le droit « de se livrer à une activité ou d'accomplir un acte visant à la destruction de l'un quelqu'autres droits et libertés ».

Au même moment, dans une autre salle de conférence des Nations unies, des délégués se réunissaient pour élaborer une nouvelle convention sur la prévention et la répression du crime de génocide. Là aussi, les rédacteurs étaient conscients du danger que représentent les discours déshumanisants et incitatifs. La convention finale criminalisera non seulement le génocide, mais aussi l'incitation au génocide et la complicité de génocide - des interdictions qui s'appliquent non seulement aux États, mais aussi aux acteurs privés.

Les rédacteurs de ces deux instruments avaient connaissance de la condamnation, deux ans auparavant, de l'éditeur Julius Streicher par le tribunal de Nuremberg pour incitation et « persécution pour des motifs politiques et raciaux ». Le tribunal avait alors estimé que l'organe de presse de Streicher, Der Sturmer, avait continué à publier des articles comportant une « incitation au meurtre et à l'extermination », alors même qu'il était conscient des horreurs perpétrées par l'Allemagne nazie à l'encontre des Juifs d'Europe.

Cinquante ans plus tard, le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) a condamné trois personnalités des médias pour leur rôle dans l'incitation au génocide rwandais. Deux d'entre elles travaillaient pour la chaîne de télévision et de radio Mille Collines et la troisième pour le journal Kangura. Tous trois ont été reconnus coupables d'incitation au génocide (entre autres crimes). Lors du prononcé de la sentence, le juge du TPIR Navi Pillay (aujourd'hui membre de la commission d'enquête internationale des Nations unies sur les crimes d'Israël) avait réprimandé ainsi les auteurs : « Vous étiez pleinement conscients du pouvoir des mots et vous avez utilisé [...] le moyen de communication ayant la plus grande portée publique pour diffuser la haine et la violence [...] Sans arme à feu, machette ou autre arme physique, vous avez causé la mort de milliers de civils innocents. »

Der Sturmer savait ce qu'il faisait. Radio Mille Collines savait ce qu'elle faisait. Et aujourd'hui, CNN, la Fox, la BBC, le New York Times et le Wall Street Journal savent ce qu'ils font. Cela ne veut pas dire que ces médias occidentaux sont, dans tous les sens du terme, les équivalents modernes de Der Sturmer et de Mille Collines (ce n'est pas le cas). Mais, comme ces exemples historiques, ils ont imprudemment franchi les limites de l'éthique journalistique et, dans certains cas, risquent de se retrouver également exposés sur le plan juridique.

Taire la vérité et couvrir Israël

Face au premier génocide de l'histoire retransmis en direct sur les écrans des gens de Boston jusqu'à ceux du Botswana, il n'est tout simplement pas crédible de suggérer que les entreprises de médias occidentales ne sont pas conscientes des réalités sur le terrain et de ce qu'elles sont en train de faire pour les occulter. Ils ont incontestablement fait le choix conscient de cacher le génocide à leur public, de déshumaniser systématiquement les victimes palestiniennes et d'exonérer les auteurs israéliens de toute responsabilité.

Alors que la Cour Internationale de Justice a conclu que les accusations de génocide étaient plausibles, qu'elle a ordonné des mesures provisoires, que le procureur de la Cour Pénale Internationale a requis des mandats d'arrêt et que des mécanismes internationaux indépendants de défense des droits humains ont publié des rapports accablants sur la conduite d'Israël, les médias occidentaux ont supprimé les informations sur ces événements et ont redoublé d'efforts pour couvrir Israël, au lieu d'en rendre compte de manière exhaustive.

Il est tout aussi important de noter que le public cible de ces sociétés de médias ne se limite pas aux spectateurs non impliqués. Il comprend également des responsables gouvernementaux et des décideurs politiques occidentaux directement complices du génocide, par le biais du soutien militaire, économique, diplomatique et en matière de renseignement qu'ils apportent à Israël, ainsi que les électeurs qui permettent ce soutien. Il s'agit également d'un nombre important de personnes ayant la double nationalité israélienne qui font la navette pour participer aux massacres. Le lien entre l'incitation médiatique et les actions nuisibles est plus direct que ces entreprises de médias ne voudraient l'admettre.

En effet, si votre seule source d'information est constituée par les grands médias occidentaux, vous n'avez peut-être aucune idée du fait qu'Israël est jugé pour génocide par la Cour Internationale de Justice ou que les dirigeants israéliens font l'objet de demandes de mandats d'arrêt pour crimes contre l'humanité auprès de la Cour Pénale Internationale. Il est probable que vous n'ayez jamais entendu les nombreuses déclarations d'intention génocidaire du président, du Premier ministre, des ministres et des commandants militaires israéliens.

Il est probable que vous continuiez à croire les histoires de bébés israéliens décapités (dont il est prouvé depuis longtemps qu'elles ont été fabriquées) et que vous ne soyez pas au courant des nombreux bébés palestiniens qui ont réellement été décapités. Il est presque certain que vous ne serez pas au courant de l'assassinat systématique de civils palestiniens, d'enfants, de nourrissons, de femmes, de personnes âgées, de personnes handicapées et d'autres personnes. Vous ne serez pas au courant des camps de torture, du viol systématique des détenus et des tireurs d'élite israéliens qui ciblent les petits enfants à Gaza. Vous ne savez peut-être même pas qu'Israël détient aujourd'hui le record mondial du meurtre de journalistes, de travailleurs humanitaires, de fonctionnaires de l'ONU et de professionnels de la santé.

Au lieu de cela, les médias occidentaux publient régulièrement et sans esprit critique de la désinformation et de la propagande israéliennes manifestement fausses pour justifier les crimes de guerre, déshumaniser les Palestiniens et détourner l'attention du public des atrocités commises quotidiennement dans le cadre de la campagne israélienne d'extermination. Les articles couvrant le génocide sont censurés. Les voix des Palestiniens et des défenseurs des droits de l'homme sont étouffées.

Les journalistes ont pour instruction de ne pas mentionner les « territoires occupés », les « Palestiniens » ou les « camps de réfugiés ». Les victimes civiles palestiniennes qui ne sont pas entièrement effacées sont réduites à des « dommages collatéraux » ou à des « boucliers humains » dans le meilleur des cas, ou à des « terroristes » dans le pire des cas. Massacre après massacre, les Palestiniens qui font la une des journaux ne sont pas tués par Israël, ils « meurent » tout simplement.

Selon les règles des médias occidentaux, il n'y a pas de génocide, seulement une guerre d'autodéfense. Et l'histoire a commencé le 7 octobre. Le contexte de 76 années de nettoyage ethnique, de persécution, d'emprisonnement de masse, de violations flagrantes des droits de l'homme et d'apartheid n'est pas couvert.

Le public de moins en moins dupe

En résumé, les entreprises médiatiques occidentales se sont intégrées au mécanisme du génocide en Palestine. En l'absence d'une réelle responsabilité, ces acteurs influents continueront à abuser de leur pouvoir, piétinant ainsi les droits de tous ceux qui se trouvent du mauvais côté de la ligne qui départage les personnes soutenues par ces entreprises médiatiques et celles qu'elles choisissent de dénigrer et de déshumaniser.

Bien entendu, les défenseurs des droits des Palestiniens en Occident qui s'opposent au génocide et à l'apartheid israéliens savent mieux que quiconque à quel point il est important de préserver le droit à la liberté d'expression. Aucun groupe dans l'histoire moderne n'a été autant confronté au silence officiel et corporatif ou n'a vu son discours autant criminalisé par les gouvernements occidentaux. Les restrictions d'expression ne sont jamais imposées à ceux qui ont le plus de pouvoir, mais visent toujours ceux qui sont les plus méprisés par le pouvoir. Le moment est venu de renforcer les protections de la liberté d'expression, et non de les éroder.

Mais les garanties de la liberté d'expression ne protègent pas l'incitation aux crimes de guerre, aux crimes contre l'humanité et au génocide. Ces actes peuvent et doivent faire l'objet d'une responsabilité pénale. La diffamation et l'incitation peuvent également faire l'objet de poursuites devant les tribunaux civils. Des actions ont déjà été engagées devant les tribunaux internationaux pour les crimes contre l'humanité et le génocide perpétrés par Israël en Palestine, et d'autres suivront certainement. Il n'est pas inconcevable que, comme dans les cas des tribunaux de Nuremberg et du Rwanda, certaines entreprises de médias ou certains individus puissent avoir à répondre de leurs actes devant la justice dans les mois et les années à venir.

Indépendamment de ce qui se passera dans les couloirs de la justice, il est certain que ces médias finiront par être tenus pour responsables devant le tribunal de l'opinion publique. Pour les défenseurs des droits humains et les personnes qui, partout dans le monde, tiennent à ce que le pouvoir rende des comptes, ce processus est urgent. En fait, il a déjà commencé. La vague croissante de critiques du public à l'égard de la partialité flagrante dont ont fait preuve les médias occidentaux pendant ce génocide a contraint certaines entreprises à commencer à ajuster leurs reportages, même légèrement. Cela prouve que le changement est possible si les acteurs du changement se mobilisent. La force réside dans la prise de parole, le soutien aux médias indépendants et le boycott. Dans un premier temps, tous ceux qui se sentent concernés devraient se désabonner de ces médias, qu'il s'agisse de la presse écrite ou audiovisuelle, passer à des sources médiatiques indépendantes et encourager les autres à faire de même.

Pour citer à nouveau le juge Pillay dans la décision sur le Rwanda : « Le pouvoir qu'ont les médias de créer et de détruire les valeurs humaines fondamentales s'accompagne d'une grande responsabilité. Ceux qui contrôlent ces médias sont responsables de leurs conséquences ». La tâche de garantir cette responsabilité incombe, en fin de compte, à chacun d'entre nous.

Source:  Mondoweiss

Traduction: CV pour  Investig'Action

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