par Brigitte Fau
Repartons de la première cellule d'un organisme animal. Prenons le vitellus à l'origine de l'embryon du poussin - le jaune d'œuf est l'équivalent de l'ovocyte chez la femme - et remontons à son observation particulièrement attentive par le Pr Antoine Béchamp (1816 - 1908).
Je ne vois plus l'œuf de la même façon depuis que je l'observe avec un regard neuf, celui que portait Antoine Béchamp au XIXe siècle.
La description qu'il en fait est poétique mais le scientifique observe et s'interroge :
«Ah ! certainement l'œuf est organisé, savamment organisé. Et que de précautions pour que rien ne vienne troubler naturellement l'ordre admirable qui y règne. Que de précautions sont prises pour l'isoler des accidents du dehors. La coquille, la membrane qui la tapisse et qui par ses replis forme vers le bout la chambre à air. Le jaune ou vitellus y est comme suspendu par les chalazes dans le blanc, formé lui-même de 2 couches concentriques d'inégale fluidité. Dans le jaune il y a une partie réservée, le cumulus proligère, la cicatricule, cette tâche blanche où se développera l'embryon. Le vitellus lui-même, pendant son séjour dans le vésicule de Graaf, comme il est protégé avant d'arriver dans l'oviducte, où il est aussitôt enveloppé par l'albumine qui est sécrété par des glandes spéciales. (...)
Les embryologistes ont admirablement décrit toutes ces parties. (...)
Mais après avoir noté ces arrangements merveilleux, ont-ils cherché, ce qui est doué d'activité transformatrice dans l'œuf, ce qui est vraiment vivant, ce qui tisse les cellules, les tissus de l'être qui en proviendra ? Et s'ils l'ont cherché, l'ont-ils reconnu ?» (1) p.380-381
En effet, vous-même, si vous êtes scientifique particulièrement, vous êtes-vous déjà posé cette question ? Qu'y a-t-il de vivant dans le vitellus ?
Antoine Béchamp montre par des expériences simples, quantité d'enseignements à tirer qui permettraient aux scientifiques un peu perdus par toutes les avancées technologiques, de revenir à la base, en toute simplicité.
Voici quelques expériences sur l'œuf, parmi tellement d'autres qu'effectuait Antoine Béchamp, dont on devrait tirer tant d'enseignements et de réflexions.
Observant des œufs moisis, il constate : «Jamais nous n'avons trouvé le mycélium pénétrant dans le jaune» (1) p.183. L'observation du vitellus nettoyé puis ouvert, montre un jaune intact que rien n'a pénétré malgré la finesse de la membrane vitelline.
Voici un autre exemple que décrit Antoine Béchamp et qui confirme cette impénétrabilité du vivant au travers de cette membrane (2) p.213 :
«Un jaune d'œuf est une immense cellule dont la membrane vitelline constitue l'enveloppe. Soit un jaune d'œuf isolé et plongé dans l'eau ordinaire, au contact illimité de l'air. Bientôt le liquide ambiant, devenu trouble, fourmille de vibrioniens et finit par être fétide. Le jaune se gonfle, parce que le liquide ambiant y pénètre par endosmose ; mais la membrane vitelline distendue, et par conséquent amincie, ne se rompt pas. Les choses étant dans cet état, le jaune est lavé par un courant d'eau pure jusqu'à ce que tous les vibrioniens soient enlevés. Si alors on rompt la membrane pour examiner le contenu, on constate aisément qu'il n'y a aucune trace de bactéries ou de vibrions et que les microzymas propres du jaune sont restés inaltérés dans leur forme et dans leurs propriétés. Cependant ici tout se réunissait pour l'entrée des vibrioniens extérieurs ; la minceur de l'enveloppe protectrice et le courant d'endosmose qui avait introduit du liquide extérieur dans la cavité de la cellule. Telle est mon expérience vraiment directe».
Ces expériences basiques me semblent une véritable leçon, en montrant comment une membrane aussi fine, aussi «fragile», en apparence seulement, peut retenir toute introduction de micro-organisme et démontre la capacité protectrice insoupçonnée due à «l'organisation» extraordinaire des êtres vivants.
On s'interroge inévitablement sur la capacité des membranes d'un organisme vivant à empêcher toute introduction de micro-organismes étrangers. Pourquoi nos poumons ne seraient-ils pas aussi bien protégés par la plèvre ? Le microbiote intestinal, lui-même, est normalement contenu dans l'intestin et n'envahit pas les parties internes de l'organisme dans l'état sain.
Mais dans ce cas, les micro-organismes trouvés dans les parties prétendument «stériles», s'ils n'ont pas pénétré, pourraient-ils être internes, propres à l'organisme ? Pourquoi ne pas l'envisager ? J'avais soulevé cette absence de «stérilité» des organismes vivants dans un article publié par l'AIMSIB en 2019. Plus aucun scientifique ne pourrait nier désormais la présence d'un microbiome interne, au minimum, dans les parties pourtant considérées longtemps stériles, parties purement internes n'incluant pas le tube digestif dont la flore était déjà connue au XIXe siècle.
Qu'en est-il de l'œuf ? N'est-il que matière inerte ?
«Qu'est-ce qui est doué d'activité transformatrice dans l'œuf, qui est vraiment vivant ?».
En effet pour Antoine Béchamp, «aucune réaction chimique ne se produit sans cause provocatrice». C'est cette exigence de retrouver la cause de toute transformation qui lui a permis de comprendre que toutes les réactions chimiques profondes sont inévitablement réalisées par des petits ferments vivants qu'il a recherchés et retrouvés de manière systématique.
Béchamp avait déjà découvert de très petits ferments dans l'air à l'origine de moisissures. Il les a ensuite découverts dans la craie, a réussi à les faire se multiplier et les a alors appelés «microzymas» (= très petits ferments).
Par la suite, Béchamp a retrouvé ces petits ferments dans tous les organismes vivants, pouvant facilement se transformer en bactéries s'il les prélevait du foie par exemple. Des analyses fonctionnelles lui montraient alors qu'ils avaient les spécificités de leur origine (foie, pancréas...) qu'ils conservaient sous leur forme évoluée en bactéries.
«Non seulement les microzymas sont personnellement des ferments, mais ils sont aptes à devenir bactéries ; et cette aptitude, la même pour tous, ne se manifeste pas également pour tous dans les mêmes conditions ; ce qui revient à dire que, dans chaque groupe naturel d'êtres et pour un même organisme dans chaque centre d'activité, les microzymas ont quelque chose de spécifique... Et ce qu'il y a de remarquable, c'est que la bactérie dérivée du microzyma est un ferment du même ordre que lui...» (4) p.48
Et bien Antoine Béchamp a pu les observer dans le vitellus. Ceux-là n'évoluent pas facilement en bactéries mais pour autant ils peuvent se multiplier et fermenter du sucre, produire de l'alcool, comme n'importe quel ferment.
Il a suivi la formation de l'œuf dans l'ovaire de la poule (1) p.492, observé leur présence en alternance avec le développement de globules vitellins dans lesquels il a supposé et confirmé qu'ils s'y multipliaient :
«Mais à l'aide des expériences que j'ai instituées, j'ai noté d'autres particularités qui prouvent que les globules en question, même quand ils sont homogènes, c'est-à-dire paraissent d'une texture uniforme, sans granulations intérieures, ces granulations n'en existent pas moins, mais douées du même pouvoir réfringent que le milieu dans lequel elles sont plongées, on ne les aperçoit pas.
L'un des moyens d'études des globules vitellins consiste dans l'emploi du «liquide de Muller» (solution de bichromate de potassium et de sulfate de soude dans l'eau). C'est ainsi que les globules vitellins homogènes des dessins -(1) pl V p.1010 - concernant les ovules encore contenus dans le calice, deviennent beaucoup plus gros, ils doublent quelquefois de volume, se rompent, et on voit les granulations s'en échapper comme un nuage». (1) p.497
Globules vitellins d'œuf de pigeon après l'action du liquide de Muller,
faisant apparaître les nombreuses granulations.
Comment prouver que ces petits ferments sont bien présents dans le vitellus et ne proviennent pas de l'air ? Une expérience a été proposée par un certain M. Donné.
Le but est d'arriver à désorganiser un œuf sans casser sa coquille. Mais essayez avec un œuf de poule, l'organisation est telle qu'il est impossible de mélanger le blanc et le jaune sans casser la coquille. M. Donné eût l'idée de prendre un œuf d'autruche dont la paroi doit être cassée au marteau tellement elle est costaude.
L'œuf secoué subit une putréfaction par ses microzymas contenus originellement dans le jaune. Ceux-ci sont retrouvés en fin toujours vivants, le sucre a disparu.
«... Demandons-nous ce qui arrive quand on brouille tout dans l'œuf par de vives secousses ?
Il arrive que ce qui, dans le plan divin, constituait un arrangement prémédité, quelque chose de structuré, de bâti en vue d'un but déterminé, a été détruit ; de façon que les choses qui dans l'édifice, étaient destinées à rester séparées, ont été confondues ;... ; par la suite le résultat voulu n'est plus atteint*, bien que la matière nécessaire soit encore présente** ! Qu'y a-t-il donc de changé ? Les conditions : peu de chose en apparence, mais l'indispensable en réalité, ce sans quoi la matière restera stérile !*
Pourtant, ce qui, tout à l'heure, était capable de produire un poulet, avec son devenir, est-il absolument détruit par le fait d'avoir secoué l'œuf ? Sans doute c'est un cadavre d'œuf, pour parler comme M. Donné ; mais au sens chimique est-ce un cadavre ? Non, puisqu'une activité se manifeste».
Il y a tant d'enseignements dans cette expérience :
- Le vitellus contient bien des petits ferments auxquels les scientifiques ne se sont jamais intéressés en tant que petits organismes vivants et notons que ces éléments vivants sont plus petits que la cellule et sont hérités des ascendants, de la mère lors de la formation de l'œuf, mais aussi du père dont les spermatozoïdes sont formés par l'accumulation de granulations. (1) p.558
- Sans l'organisation indispensable pour créer un nouveau petit être, on constate que la matière inerte, elle, est toujours présente, cependant elle ne permet plus de développer un embryon. Les scientifiques en ne s'intéressant qu'à cette matière ne passent-ils pas à côté de l'essentiel ? Le vivant et l'organisation. À noter que la théorie d'Antoine Béchamp s'appelle «théorie de l'organisation et de la vie».
- Une fois l'organisation perdue, ces petits ferments vivent leur vie de manière autonome et se nourrissent du sucre en particulier fournissant de l'alcool entre autres.
- Ces petits ferments sont toujours vivants à la fin de la putréfaction et ce d'une manière générale, c'est vrai dans toutes les expériences qu'il a pu faire. Il montre par diverses expériences que «tout organisme est réductible au microzyma» (1) p.658 - à commencer par la cellule. Il en a ainsi déduit que les «germes» de l'air sont les restes des organismes vivants (animaux et végétaux). Il confirme cette assertion par l'expérience du «petit chat» (1) p.624 pouvant expliquer les microzymas conservés en nombre dans la craie, encore capables de fermenter, de se multiplier placés dans un milieu favorable (1) p.189, malgré leur ancienneté.
Et pour Antoine Béchamp, il devint évident que la cellule ne peut pas être l'élément vital.
La cellule n'est vivante que par les petits ferments vitaux, hérités des parents. Le microzyma est l'élément vital «per se» dit-il, il est doué des capacités transformatrices de l'œuf dont l'organisation est indispensable pour permettre aux microzymas du nouvel individu de contribuer de manière coordonnée à son développement.
Par d'autres expériences et observations sur la formation de l'embryon, il constate qu'à certains moments au commencement, les seuls éléments présents sont les microzymas,
«... Lorsque l'ovule n'a pas encore atteint 2 cm de diamètre, il est possible de découvrir des états de cet ovule où il n'y a que des granulations moléculaires ; ce sont là les extrêmes. Lorsque les microzymas diminuent, les globules vitellins augmentent et réciproquement : c'est l'état moyen». (1) p.494
Les microzymas pourraient donc être à l'origine de tout ce qui apparaît au cours du développement du nouveau petit être... et pourquoi pas des gènes, en particulier, selon cette publication relativement récente qui montre l'autoassemblage de l'ADN à partir des granulations du vitellus. Des gènes, mais aussi des cellules, des tissus et de toutes les structures de l'individu.
Antoine Béchamp n'a pas pu reconstituer de cellules animales à partir des microzymas, même si ces investigations conduisent à cette conclusion. Il explique :
«Pour résoudre le problème de la synthèse cellulaire et tissulaire, j'ai cherché s'il n'existerait pas quelque production naturelle, réputée vivante, organisée par conséquent, que l'on puisse considérer comme exclusivement tissée de microzymas. De tels êtres existent vraiment. J'en ai spécialement étudié deux : l'un est connu sous le nom de «Mère de vinaigre», l'autre sous le nom de «glairine⇒. (1) p.431
Il a réussi à reconstituer des cellules de mère de vinaigre en trouvant le milieu propice à cette réalisation (1) p.433 alors que dans d'autres milieux, les mêmes microzymas développaient des bactéries (1) p.436 comprenant alors que «tout est une question de milieu» et de l'importance de le préserver.
Il attribue d'ailleurs ce rôle à la cellule ; à savoir, la cellule doit maintenir l'équilibre du milieu propre à la fonction d'un centre vital.
Les petits points sur ces dessins, sont les microzymas qui s'associent pour former des bactéries successivement (de la figure 1 à la figure 4) OU des cellules (fig.5), jamais les deux en même temps ; c'est vraiment une question de milieu !
Antoine Béchamp a mis longtemps à s'intéresser à ces petits corps qu'il avait découvert entre 1854 et 1857. Il découvrait dans le même temps les enzymes, cette substance active dont il comprenait qu'elle provoquait l'interversion (on dit «inversion» désormais) du sucre dans une première étape de la fermentation et se rendait compte que le plus souvent ces tout petits corps, venant de l'air (cette fois), prenaient alors la forme évoluée de moisissures produisant cette même enzyme (qu'on appelle invertase dans ce cas).
Longtemps après, se confiant au Dr Edouard Fournié 2, il s'est interrogé, se demandant s'il avait su que ces granulations étaient déjà connues comme des granulations amorphes, s'y serait-il intéressé ? Pas sûr, selon lui.
Il est sans doute difficile de remettre en question les «acquis», par volonté d'aller de l'avant le plus souvent et pourtant ces acquis s'ils ne sont pas vérifiés peuvent devenir un lourd handicap pour la science et les scientifiques.
N'est-il pas temps de s'interroger et de prendre du recul ?
Pourquoi la cellule serait-elle le plus petit élément vital alors qu'elle n'est que transitoire ?
Pourquoi la cellule ne serait-elle pas capable de produire son PROPRE métabolisme et le devrait à une bactérie étrangère en symbiose ?
Pourquoi les exosomes, particules ayant (comme les microzymas) les caractéristiques des cellules dont elles s'extraient, seraient-ils inertes alors qu'on ne cesse de leur découvrir quantité de propriétés ?
Pourquoi des «mitovésicules» transporteraient des mitochondries à l'extérieur de la cellule sous prétexte qu'on leur découvre un métabolisme ? Ces particules ne pourraient-elles être tout simplement des particules vivantes plus petites que les cellules ?
Il serait temps, désormais, de savoir distinguer les véritables parasites des éléments internes, du SOI vivant, élément vital plus petit que la cellule et pouvant prendre des formes diverses en fonction du milieu et des fonctions qu'il réalise, parce que de toute évidence nous ne sommes pas «stériles», loin de là, mais plus probablement «impénétrables» (au vivant) dans l'état sain.
«On les prend pour des parasites dont on fait des genres et des espèces» disait Antoine Béchamp alors qu'on prenait les «microzymas», éléments vitaux, pour des «microbes», éléments prétendument étrangers à l'organisme.
Il est temps de considérer les éléments vivants plus petits que la cellule avec un autre regard, celui que portait Antoine Béchamp, qui avait compris que sans eux, aucune transformation chimique ne pouvait se produire dans une cellule qui ne vit que grâce à eux. Il me semble difficile pour la Science de continuer à avancer sans se retourner ni s'interroger sur la théorie cellulaire en particulier.
Brigitte Fau - août 2024
J'ai écrit un livre en 2023, «Antoine Béchamp, la compréhension du vivant», publié aux éditions Marco Pietteur, faisant la synthèse de la théorie de l'organisation et de la vie, reconstituant pas à pas les éléments de cette théorie basée sur les faits scientifiques.
source : Bonnes Habitudes