03/09/2024 ssofidelis.substack.com  10min #255996

 Cisjordanie : Israël revendique son annexion

Déclarer la guerre en Cisjordanie va faire plonger Israël

Par  Khalil Harb, le 2 septembre 2024

L'offensive brutale de Tel Aviv en Cisjordanie illustre la stratégie israélienne de répression de la résistance palestinienne, de renforcement du contrôle & de remodelage de la région, accélérant l'effondrement du cadre d'Oslo et de l'Autorité palestinienne de collaboration.


L'invasion israélienne actuelle de la  Cisjordanie déjà occupée a mis en lumière la dure réalité d'Israël et de son occupation de la Palestine qui dure depuis des décennies : l'ampleur de l'extrémisme au sein de son gouvernement, les tactiques récurrentes et inefficaces de son armée, la perte d'"autorité" de Mahmoud Abbas, l'obsolescence des accords d'Oslo, la pression accrue sur la monarchie jordanienne et la complicité indéniable des États-Unis dans les atrocités commises quotidiennement.

Cette offensive majeure en Cisjordanie - la  plus importante de l'État d'occupation  depuis la seconde Intifada- a de profondes implications. Alors que le gouvernement israélien poursuit son onzième mois d'offensive brutale contre la bande de Gaza, il a étendu sa campagne génocidaire à une autre partie de la Palestine historique, annonçant une nouvelle phase du conflit qui s'apparente à un "Gaza 2.0".

Gaza 2.0

En attaquant la Cisjordanie, Israël a clairement montré que ses actions contre Gaza n'étaient pas uniquement une réaction à l'opération de résistance menée par le Hamas l'année dernière, Al-Aqsa Flood, mais qu'elles s'inscrivent dans une stratégie plus large visant à "judaïser" l'ensemble de la Palestine, comme les groupes de résistance palestiniens n'ont cessé de l' affirmer depuis le début de la dernière guerre.

Au cours de la dernière session de la réunion hebdomadaire du gouvernement israélien, le ministre israélien de la protection de l'environnement, Idit Silman, a placé les villes de Jénine et de Naplouse dans la même catégorie que la frontière entre Gaza et l'Égypte, et a réaffirmé le droit d'Israël sur l'ensemble de la Palestine, en l'état :

"Dans le couloir de Philadelphie, à Jénine et à Naplouse, nous devons attaquer pour hériter de la terre. C'est ce terme qui doit être utilisé (héritage), et non le terme 'occupation' des terres".

Le même jour, la ministre des Colonies et des Missions nationales, Orit Strook, a demandé au ministre de la Sécurité et au cabinet de sécurité d'Israël de "déclarer l'état de guerre en Cisjordanie."

En effet, les facteurs à l'origine de l'explosion actuelle en Cisjordanie sont identiques à ceux qui ont enflammé Gaza. Depuis le début de la guerre contre Gaza, Israël a intensifié ses tactiques brutales en Cisjordanie : plus de 650 Palestiniens ont été tués, dont plus de 150 enfants.

Les forces d'occupation ont mené plus de 10 300 opérations, accompagnées d'une augmentation de l'activité des colonies et de la distribution de dizaines de milliers d'armes aux bandes de colons, intensifiant encore les attaques contre les communautés palestiniennes autochtones.

Même Ronen Bar, le chef de l'agence de sécurité israélienne, le Shin Bet, a  mis en garde contre la montée du "terrorisme juif", avertissant qu'un tel extrémisme pourrait nuire davantage au statut international de Tel-Aviv et à ses alliances régionales.

Déclarer la guerre à la Cisjordanie ne fera qu'enfoncer Israël davantage

Malgré ces avertissements, l'État d'occupation n'a guère tiré de leçons de son court passé. La campagne israélienne en cours en Cisjordanie continue d'employer des  stratégies familières mais vaines -  assassinats (le plus récent et le plus marquant étant celui d' Abu Shujaa à Tulkarem), destructions (en particulier à Jénine et à Tulkarem), emprisonnements, intimidations, confiscations de terres et démolitions de maisons et d'infrastructures - tout cela dans une tentative dérisoire de neutraliser la résistance palestinienne, qui a développé ses capacités en dépit de conditions répressives éprouvantes.

L'agression actuelle, menée par les factions ultranationalistes au sein du gouvernement israélien, est une manœuvre calculée pour exercer un contrôle sur la Cisjordanie, à l'instar des tactiques brutales utilisées à Gaza.

"Nous devons faire face à la menace de la même manière que nous faisons face à l'infrastructure terroriste à Gaza, y compris en évacuant temporairement les résidents palestiniens et en prenant toutes les mesures qui s'imposent. C'est une guerre de tous les instants et nous devons la gagner",

a déclaré le ministre des Affaires étrangères, M. Israël Katz.

À court terme du moins, Israël a bénéficié de conditions favorables : un large soutien de l'opinion publique israélienne en faveur d'actions agressives, la nécessité pour le gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu de revendiquer une "victoire" interne, et un sentiment d'impunité renforcé par l'absence de dissuasion efficace de la part des États-Unis ou des pays arabes.

La résistance en marche

Le plus grand raid israélien en Cisjordanie depuis 2002 révèle que la stratégie de l'État d'occupation n'est pas seulement une réaction à des événements isolés, mais une campagne plus large visant à démanteler la société et la résistance palestiniennes, et à priver les Palestiniens de leurs aspirations futures.

L'invasion ne se borne pas à poursuivre la riposte à Al-Aqsa Flood. Elle s'inscrit au contraire dans le cadre plus large d'une campagne visant à cibler les Palestiniens, où qu'ils se trouvent, et à briser leur moral. Les tactiques employées à Gaza - destruction, dévastation et mort - sont reproduites, bien qu'à un degré moindre, en Cisjordanie, malgré l' absence de succès à Gaza et la résistance croissante qu'elle a déclenchée.

La Cisjordanie a été témoin non seulement d'une hausse des opérations de résistance conventionnelles (coordonnées par le Hamas et le Jihad islamique palestinien), telles que les fusillades, attaques à l'arme blanche, embuscades et attaques au bélier, mais aussi du retour des  opérations martyres et des  voitures piégées, ainsi que de l'émergence du recours aux  obus RPG pour la toute première fois.

Les dirigeants israéliens et les factions ultra nationalistes préconisent depuis longtemps d'infliger de graves souffrances aux Palestiniens, et Netanyahu voit aujourd'hui l'occasion d'y parvenir grâce à une nouvelle vague de violence dans des villes clés de Cisjordanie comme Jénine, Tulkarem, Tubas, Naplouse, Ramallah et, plus récemment, Hébron.

Jénine, en particulier, point central de la bataille de 2002 (et de la plus récente "bataille de la fureur de Jénine" en juillet 2023), est considérée comme une menace persistante pour l'entité d'occupation, notamment parce que les résidents du camp font preuve d'une forte cohésion sociale, qui "contrairement à beaucoup d'autres villes et villages de Cisjordanie, n'est pas marquée par les divisions politiques".

L'"Autorité" d'Abbas ne tient plus qu'à un fil

Cependant, Netanyahu n'a peut-être pas pleinement pris en compte tous les  risques. La situation en 2024 n'est pas la même qu'en 2002 : Israël est déjà engagé dans de multiples conflits sur différents fronts alors que  l'escalade va bon train. Si la Cisjordanie est soumise à un scénario "Gaza 2.0" - avec des destructions systématiques, des attaques coordonnées et des déplacements massifs - la fragile Autorité palestinienne (AP) d'Abbas pourrait s'effondrer, enterrant les accords d'Oslo pour une durée indéterminée, et érodant encore davantage les perspectives de la solution dite des deux États.

Abbas est confronté à des défis sans précédent. Il est assailli par la colère des Palestiniens de Cisjordanie, frustrés par les souffrances persistantes de leurs frères de Gaza, par l'asphyxie financière imposée par Israël et l'expansion incessante des colonies. Les critiques à l'encontre d'Abbas vont crescendo en Cisjordanie, soulignant la désillusion face à l'incapacité de l'Autorité palestinienne à protéger les droits des Palestiniens ou à mettre un terme aux incursions israéliennes répétées, ainsi qu'à sa coordination sécuritaire inconditionnelle avec l'occupation israélienne.

La faillite des accords d'Oslo aurait des conséquences considérables. La communauté internationale n'aurait plus aucun intérêt à investir dans l'Autorité palestinienne en tant qu'alternative à la lutte armée. Il serait de plus en plus difficile de convaincre un Palestinien ou un Arabe que la paix est possible avec les dirigeants israéliens actuels, qui se distinguent par leur position ultranationaliste et militariste.

La guerre au-delà de la Cisjordanie

La crise ne se limite pas aux territoires palestiniens. En  Jordanie, le roi Abdallah II est confronté à des défis croissants alors que l'invasion israélienne de la Cisjordanie menace de déstabiliser son royaume. Amman, comme Ramallah, est pris dans un réseau de pressions contradictoires - incapable de rompre les liens avec Israël ou de s'aligner pleinement sur la résistance palestinienne, et maintenant potentiellement confronté à une crise des réfugiés si les Palestiniens sont déplacés en masse de la Cisjordanie.

On peut aisément imaginer que le roi de Jordanie serait pris au piège d'une vague d'indignation publique si ce scénario devait se concrétiser. Il ne s'agit pas de simples spéculations. Le ministre des Affaires étrangères israélien, Israël Katz, par exemple, a souligné l'importance stratégique des actions d'Israël en Cisjordanie en affirmant que l'Iran tente d'y établir un "front terroriste", semblable à ceux de Gaza et du Liban. L'armement de la résistance en Cisjordanie est une ambition de longue date de la République islamique, qui  aurait mené des opérations secrètes de contrebande au cours des deux dernières années.

D'autres nations arabes ont signé des traités de paix ou normalisé leurs liens avec Israël (Égypte, Émirats arabes unis, Maroc, Bahreïn), et peuvent être confrontées à une situation similaire à celle d'Amman si l'assaut israélien se poursuit en Cisjordanie, car les actions de Tel-Aviv constituent un affront direct à l'initiative de paix arabe de 2002, ratifiée par la Ligue arabe pas plus tard qu'en 2017. Cette initiative, que l'Arabie saoudite a placée au cœur d'un accord de normalisation d'Israël recherché depuis longtemps, appelle à un retrait total de l'armée israélienne des territoires occupés (y compris la Cisjordanie, Gaza, le plateau du Golan et le Liban), à un "règlement juste" de la crise des réfugiés palestiniens sur la base de la résolution 194 de l'ONU, et à la création d'un État palestinien avec Jérusalem-Est pour capitale. Au lieu de cela, le nombre de colons juifs en Cisjordanie est monté en flèche, passant d'environ 70 000 en 2002 à 800 000 en 2024, ne laissant ainsi aucune place à l'"État palestinien" que les pays arabes normalisateurs prétendent vouloir créer.

Netanyahu n'accomplit actuellement rien d'autre qu'une accélération de la fin inévitable d'Israël, comme en témoignent son véritable désir d'enterrer l'idée d'un État palestinien annoncé et les actions d'Israël, tant en Cisjordanie que dans la bande de Gaza.

Alors qu'Israël poursuit son objectif meurtrier, la position des États-Unis s'est également affinée. Avec d'importants déploiements militaires dans la région et un soutien continu aux actions israéliennes, l'approbation tacite de Washington -  quel que soit l'élu à la Maison Blanche- donne à Netanyahu la latitude de poursuivre cette escalade du conflit, au détriment potentiel de la stabilité régionale.

La quête de pouvoir de Netanyahu par la force risque de provoquer un tremblement de terre régional semblable à celui qui a suivi la Nakba de 1948, qui pourrait déstabiliser les dictatures soutenues par les États-Unis et déclencher de nouvelles vagues de résistance, non seulement en Cisjordanie, mais aussi dans toute l'Asie de l'Ouest. La violence actuelle en Cisjordanie n'est pas un simple épisode de cette bataille : il s'agit d'une escalade dangereuse qui pourrait remodeler l'ordre géopolitique de la région.

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