05/09/2024 investigaction.net  13min #256087

 Haaretz : «La dernière étape est la fin du sionisme»

La fin des temps - Les guerres de Gog et Magog

Patrick Lawrence

L'Israël sioniste semble encore plus dévoué que les États-Unis à sa politique meurtrière & dévastatrice au nom d'un destin apocalyptique. C'est, à mon sens, la réalité la plus sombre de notre époque.

Orit Malka Strook sert dans le gouvernement Netanyahu en tant que ministre des Colonies et des Missions nationales. Elle siège à la Knesset en tant que représentante du National Religious Party-Religious Zionism, un amalgame politique formé l'année dernière lorsque le parti Religious Zionism a fusionné avec le parti Jewish Home, lui-même issu de la fusion de trois partis sionistes-extrémistes. Le parcours politique d'Orit Malka Strook a donc commencé à l'extrême droite et s'est poursuivi jusqu'à l'extrême, extrême, extrême droite de la constellation israélienne.

Orit Malka Strook est née en 1960 et est le fruit d'une éducation stricte dans les yeshivas les plus résolument sionistes d'Israël. Après s'être mariée à la fin de l'adolescence ou au tout début de la vingtaine - la date n'est pas claire dans les biographies accessibles au public, Orit Malka Strook et son mari, étudiant en rabbinat, se sont installés dans une colonie juive de la péninsule du Sinaï.

Lorsqu'Israël a rendu le Sinaï à l'Égypte en 1982, à la suite des accords de Camp David négociés quatre ans plus tôt par le président Carter, Mme Strook et son époux se sont installés dans une colonie juive à Hébron.

Pour avoir une idée de la politique d'Orit Malka Strook dans la pratique, il faut savoir que l'un de ses fils a été condamné il y a 17 ans pour avoir violemment attaqué un jeune Palestinien à Hébron et a passé deux ans et demi en prison pour ce délit. On peut en déduire sans grand risque d'erreur qu'il devait s'agir d'un acte particulièrement violent, car les attaques de colons contre des Palestiniens sont monnaie courante en Cisjordanie depuis de nombreuses années. Orit Malka Strook a été horrifiée par la sentence pénale prononcée à l'encontre de son fils, parce que le tribunal a retenu la parole des Palestiniens plutôt que celle d'un Juif, faisant ainsi progresser la cause palestinienne, selon elle, plutôt que la cause des colons, la cause sioniste.

Passons sur le fait qu'Israël ne devrait pas compter de ministre des Colonies, puisqu'elles sont toutes illégales,  comme a enfin tranché la Cour internationale de justice. Pour aller droit au but, Orit Malka Strook, qui réside toujours à Hébron, s'est récemment mise à déclarer qu'Israël "vit actuellement une période merveilleuse", comme l'a dit Amit Varshizky dans  un article très important paru dans  Haaretz audébut de ce mois. Orit Malka Strook considère l'assaut israélien contre les Palestiniens de Gaza comme - d'après l'article de Haaretz - "les douleurs de l'enfantement du Messie et l'avènement de la rédemption".

La guerre à Gaza n'est pas une guerre, bien sûr, mais pour Orit Malka Strook, c'est la guerre apocalyptique que les élus de Dieu mènent contre Gog et Magog, les forces du mal décrites dans le livre d 'Ezekiel puis dans l 'Apocalypse. Ce sont les jours derniers, dans la cosmologie d'Orit Malka Strook.

En lisant l'article de Haaretz et en examinant l'histoire d'Orit Malka Strook, j'ai immédiatement pensé aux premières années de notre nouveau millénaire et au régime de George W. Bush. Je m'explique.

Comme les lecteurs s'en souviendront sans peine, Bush II a autorisé l'invasion de l'Afghanistan peu après les événements du 11 septembre 2001, en déclarant, selon sa formule bien connue, "Vous êtes soit avec nous, soit avec les terroristes".

Bush et ses têtes pensantes, notamment Dick Cheney et Donald Rumsfeld, respectivement son vice-président et son Secrétaire à la Défense, se sont ensuite attelés à attiser la ferveur de l'opinion publique et recueillir le soutien de loyaux commanditaires alors qu'ils planifiaient l'invasion de l'Irak en mars 2003.

Bush II était du type manichéen. Ancien alcoolique, il est devenu un fervent chrétien, tendance évangélique pour autant qu'on puisse en juger, lors de sa cure de désintoxication. Pour Bush II, notre monde est divisé entre le bien et le mal, et telle fut sa pensée lorsqu'il a recruté sa "coalition de volontaires" - une coalition de contraints, comme je l'ai toujours pensé.

Il est notoire que Jacque Chirac et son ministre des Affaires étrangères, Dominique de Villepin, ont refusé de rallier la France à cette coalition. Une invasion de l'Irak déstabiliserait la région, pensait (à juste titre) le président français. Cette position a fait de Paris une exception parmi les grandes puissances occidentales.

"L'Irak ne représente pas aujourd'hui une menace immédiate telle qu'elle justifie une guerre immédiate", a  déclaré Jacques Chirac deux jours avant le début de l'invasion menée par les États-Unis. "La France en appelle à la responsabilité de chacun pour que la légalité internationale soit respectée. S'affranchir de la légitimité des Nations unies, privilégier la force sur le droit, ce serait prendre une lourde responsabilité."

Les trois quarts des Français se sont rangés derrière Chirac, dont le refus d'engager la France dans l'opération Iraqi Freedom a tendu les relations franco-américaines pendant plusieurs années. Souvenez-vous des "frites de la liberté" et des Français considérés comme des "primates mangeurs de fromage de la reddition". Tel est le niveau du discours que Bush II atteint dans la manipulation de l'opinion publique avant l'invasion. Les bons, les méchants. Chapeaux noirs, chapeaux blancs.

Un détail de la confrontation franco-américaine sur l'Irak est resté méconnu. Juste avant l'invasion du 20 mars 2003, Bush II a appelé Chirac pour tenter de le convaincre de changer d'avis. L'échange a été très houleux. Bush II a fait valoir avec véhémence qu'avec les événements du 11 septembre, la guerre prophétisée de Gog et Magog avait enfin commencé. Je ne sais pas ce qui a traversé l'esprit de l'homme du monde qu'était Chirac, ni même la tête qu'il a faite pendant que Bush II tenait ce genre de discours.

Je ne connais qu'un seul témoignage de cette conversation. Il figure dans The Irony of American Destiny : The Tragedy of American Foreign Policy (Walker & Co., 2010), un livre que William Pfaff a publié à la fin de sa vie. Ce livre clôt la longue carrière de M. Pfaff, marquée par les principes qu'il a défendus, et en constitue une sorte de résumé. Il peut être interprété à juste titre comme sa critique des causes et des conséquences de l'exceptionnalisme américain. Il comprend, entre autres, une description de l'échange Bush-Chirac. Il l'a obtenu, si je me souviens bien de ce qu'il m'a dit plus tard, d'une source haut placée au ministère des Affaires étrangères français.

Bill Pfaff était un collègue et un ami. Il m'a appris à remonter le cours de la politique américaine, depuis le projet de contention de l'Union soviétique dans l'immédiat après-guerre jusqu'à la mission messianique incessante de sauver le monde dans laquelle nous vivons aujourd'hui. Bush II et ses illusions de Gog et Magog étaient absurdes, oui. Mais ils étaient, illogiquement et logiquement à la fois, le résultat d'une conscience qui a perduré - comment compter ? - depuis la victoire de 1945, ou depuis que Wilson a fait du monde un lieu sûr pour la démocratie, ou encore depuis le débarquement des pèlerins au dix-septième siècle.

Pfaff a eu raison d'intituler son livre ainsi. La politique étrangère américaine est une tragédie depuis que les États-Unis mènent une politique digne de ce nom, à commencer par l'attaque américaine contre l'empire espagnol dans les dernières années du dix-neuvième siècle. Les guerres mondiales faisant partie des exceptions, il s'agit depuis lors d'une série de tragédies allant de l'universalisme wilsonien au triomphalisme post-guerre froide des années 1990, en passant par la guerre froide et le Viêt Nam.

Afghanistan, Irak, Balkans, Libye, Syrie : ces tragédies n'ont fait que s'aggraver depuis le 11 septembre. Quel est le lien entre ces aventures désastreuses ? C'est tout simple. Depuis Bush II, peu de hauts fonctionnaires professent une vision du monde en termes de confrontation finale avec Gog et Magog, mais la croyance fondamentale demeure telle que Bush II la concevait : c'est le bien contre le mal aujourd'hui, et c'est aussi simple que cela. Mike Pompeo, secrétaire d'État de Trump et autre chrétien convaincu, a effectivement pensé et parlé en termes de fin des temps. Jake Sullivan, conseiller à la sécurité nationale du président Biden, a façonné ses perspectives - et ce de son propre aveu, étonnamment - en regardant des westerns et ces films puérils tels que "Terminator" pendant sa jeunesse. "Je vois le monde divisé entre les bons et les méchants", a-t-il déclaré sans hésiter.

Il s'agit, en somme, d'un ensemble de politiques qui ne s'appuient pas sur la réflexion mais sur la croyance - des politiques irrationnelles, en un mot.  Le  Cost of War Project de l'université Brown, une remarquable et honorable initiative, évalue très précisément les retombées des aventures de Washington après le 11 septembre : 8 000 milliards de dollars, 905 000 victimes.

Orit Malka Strook figure en bonne place parmi ceux qui croient que l'État sioniste est maintenant confronté aux méchants prophétisés dans Ezéchiel, mais elle n'est pas la seule : elle n'est pas une figure isolée, loin s'en faut.

"De plus en plus de gens dans les cercles de droite", écrit Amit Varshizky dans Haaretz, "ont récemment rejoint Strock [sic] en identifiant la guerre de Gaza à la guerre de Gog et Magog".

Ils souscrivent, ou du moins certains d'entre eux, aux étranges vérités du rabbin Abraham Isaac Kook, fondateur du sionisme religieux à la fin du dix-neuvième siècle.

"Lorsqu'une grande guerre a lieu dans le monde", prêchait-il, "c'est que la puissance du Messie prend vie".

Varshizky a mis le doigt sur la résurgence d'un extrémisme religieux qui semble évident chez les Israéliens depuis un certain temps, mais qui est loin d'être signalé par tous les correspondants étrangers travaillant dans des bureaux à Jérusalem et couvrant (au lieu de traiter) les innombrables excès de l'État sioniste - tout en faisant semblant de faire leur travail. Au printemps dernier, Moshe Yaalon, ancien ministre israélien de la Défense et homme certainement dévoué à la cause israélienne, a fait des remarques publiques surprenantes, pour ne pas dire inquiétantes à ce sujet. Il fait référence ici à Bezalel Smotrich et Itamar Ben-Gvir, les ministres fanatiques des Finances et de la Sécurité du gouvernement des monstres du régime de Netanyahu. Shiloh est un journal sioniste qui tire son nom d'une colonie mentionnée dans Josué dont le dieu de l'Ancien Testament était satisfait. Il fait également référence à une colonie illégale et très controversée implantée sur l'ancien site en 1978, juste au moment où Jimmy Carter parrainait les pourparlers de Camp David :

"Smotrich et Ben Gvir ont un rabbin. Il s'appelle Dov Lior. C'est le rabbin du Jewish Underground, qui avait l'intention de faire exploser le Dôme du Rocher - et avant cela les bus de Jérusalem. Pourquoi ? Pour accélérer la 'dernière guerre'.

"Les entendez-vous parler de cette dernière guerre, ou du concept de 'subjugation' de Smotrich ? Lisez l'article qu'il a publié dans Shiloh en 2017. Tout d'abord, ce concept repose sur la suprématie juive : c'est 'Mein Kampf' à l'envers. J'ai les cheveux droits sur la tête lorsque j'en parle - tel qu'il le fait. J'ai appris et grandi dans la maison de survivants de l'Holocauste et du "plus jamais ça". Mein Kampf à l'envers, c'est ça : la suprématie juive.... C'est ancré dans l'idéologie. Et ce à quoi [Smotrich] aspire - dès que possible - [c'est] à la grande guerre. La guerre de Gog et Magog."

Marco Carnelos, ancien diplomate ambassadeur au service des Affaires étrangères italien, a attiré mon attention sur les commentaires de Yaalon dans  un excellent article publié le 19 août dans  Middle East Eye. The Floutist se penchera prochainement plus longuement sur le texte détraqué et ouvertement raciste de Smotrich publié dans Shiloh.

Nous devrions nous réveiller et examiner attentivement les avertissements de Yaalon et l'article du Haaretz. Cette croyance, et l'absence de réflexion sont bien ancrées dans le régime de Netanyahu, car Bibi dépend de sionistes extrémistes tels que Ben-Givr, Smotrich et Strook pour assurer sa survie politique. Il y a là des implications auxquelles nous devons réfléchir. Et nous devrions alors faire le lien entre divers aspects : les sionistes chrétiens américains sont moins influents sur la question d'Israël que ces extrémistes aux élucubrations choquantes, mais pas de beaucoup, et les sionistes chrétiens américains sont tout aussi extrêmes dans leur version de "fin des temps".

On ne saurait considérer les sionistes israéliens avec détachement ou en les critiquant du haut d'une supériorité illusoire. Les Américains se sont longtemps raconté des histoires tout aussi spectaculaires et délirantes pour justifier leurs injustices et leurs cruautés passées : l'histoire de Gog et Magog de Bush II n'est qu'une version exacerbée, une variante sur le même thème. La politique américaine, en tout cas depuis le désastre du 11 septembre, est de moins en moins fondée sur des calculs rationnels - sans parler du souci de l'intérêt général - mais plutôt sur ce que je considère comme des croyances perdues d'avance face aux réalités du vingt-et-unième siècle.

Il en va de même pour les Israéliens, qui tuent quotidiennement à Gaza et, de plus en plus, en Cisjordanie. La politique israélienne - et c'est vrai aussi de la politique américaine, dans le fond - est conçue et exécutée par des individus qui n'agissent pas de manière rationnelle. Ils répondent à leurs dieux, qu'il s'agisse de Yahvé ou de la divine Providence - "le Grand Œconomiste", comme le disaient certains historiens du dix-huitième siècle.

Les conséquences de ces pratiques sont graves. En premier lieu, il est impossible de dialoguer avec ces gens, car ils vivent et agissent derrière l'écran imposant et protecteur de la croyance messianique. Ils peuvent faire semblant d'écouter les autres, mais ils n'entendent rien. Et rien ni personne ne peut les faire changer d'avis. C'est là un phénomène lourd de conséquences, vu le pouvoir que détiennent les irrationnels.

Pour les États-Unis comme Israël, notre monde est défini par une vision radicalement simpliste. Pour eux, aucune place pour la complexité de notre environnement mondial. Ce pourrait être une bonne définition de l'incompétence. Voici l'effroyable situation que nous vivons, effroyable parce que la voie à suivre, au-delà de ces considérations, ne peut qu'être longue et ardue. Voilà qui nous amène à la conclusion.

Seul leur échec est susceptible de contraindre Israël ou les États-Unis à changer de cap. Voilà pourquoi j'applaudis sans retenue tous les fréquents et regrettables échecs de la politique étrangère des deux pays, même si, par ailleurs, je concède que les échecs sont souvent décourageants parce que les cliques politiques de Washington comme de Tel-Aviv semblent déterminées à enchaîner les échecs sans que rien ne change.

En fait, l'Israël sioniste semble encore plus dévoué que les États-Unis à sa politique meurtrière et dévastatrice au nom d'un destin apocalyptique. C'est, à mon sens, la réalité la plus sombre de notre époque. Si l'assaut qu'Israël mène à Gaza et en Cisjordanie - et maintenant peut-être au Liban et en Iran - représente une bataille de fin des temps contre Gog et Magog, comment les hommes justes pourront-ils s'arrêter, faire la paix ou négocier un accord durable ? Comment cela peut-il finir sans l'anéantissement des Israéliens ?

Source :  spirit of free speech

Photo : Mais où est le Messie ? La vision d'Ézéchiel. Francisco Collantes, 1630.(Wikimedia Commons.)

 investigaction.net

newsnet 2024-09-05 #14388
Les conséquences de ces pratiques sont graves. En premier lieu, il est impossible de dialoguer avec ces gens, car ils vivent et agissent derrière l'écran imposant et protecteur de la croyance messianique. Ils peuvent faire semblant d'écouter les autres, mais ils n'entendent rien. Et rien ni personne ne peut les faire changer d'avis. C'est là un phénomène lourd de conséquences, vu le pouvoir que détiennent les irrationnels.