05/10/2024 2 articles chroniquepalestine.com  12min #257904

Ce n'est pas le 7 octobre, ni une autre date en cause aujourd'hui, mais 1948

Scène de la Nakba, le nettoyage ethnique de la Palestine par les milices sionistes - Photo : archives

Par  Jeremy Salt

Israël est incontrôlable, mais il a toujours été hors de tout contrôle. L'Occident a aussi permis cela, et aura à en payer les conséquences.

Il s'agit bien de  1948. Non pas du  7 octobre, ni de  1967,  1982 ni encore de  2008 ni d'aucune autre date auxquelles Israël s'est livré à d'affreuses atrocités en Palestine et alentour mais bien de 1948.

La guerre et l'effondrement total de tous les efforts pour parvenir à une paix raisonnable ont ramené la Palestine à cette date première. Les 76 années qui se sont écoulées depuis ont été une perte de temps en matière de paix. Tout ce qu'elles ont fait, c'est donner à Israël quatre décennies pour renforcer son emprise exclusive sur la Palestine.

C'est une question d'histoire. Seule l'histoire peut permettre de comprendre la lutte pour la Palestine et de trouver les bonnes réponses.

L'histoire moderne commence avec la Grande Bretagne  utilisant les sionistes (et se faisant utiliser par eux en retour) pour mettre en place une tête de pont impériale au Moyen Orient, faisant plus ou moins d'Israël le pilier central d'un pont reliant l'Égypte et le Nil à l'Irak, son pétrole et le Golfe.

Il n'était question ni de bien ni de mal dans ses calcule, mais seulement d'intérêt personnel.

La Grande Bretagne n'avait aucun droit de céder une partie du territoire qu'elle occupait - La Palestine - à un autre occupant, pas plus que les Nations Unies n'en avaient le droit. La  résolution de partition de l'Assemblée générale de 1947 était de toute façon une résolution états-unienne, dont les votes ont été arrangés par la Maison Blanche une fois devenu évident qu'elle ne passerait pas.

Chaim Weizmann, la plus haute personnalité sioniste à Londres et à Washington, a demandé à Truman d'intervenir. « Je sais quel ascendant sur les délégations prêtes à s'abstenir vos conseils et l'influence de votre gouvernement pourraient avoir » a-t-il dit au président. « Je pense à la Chine, au Honduras, à la Colombie, au Mexique, au Liberia, à l'Éthiopie, à la Grèce. Je vous implore d'intervenir de façon déterminante en cette heure décisive. »

Les Philippines, Cuba, Haïti, et même la France figuraient sur la liste des pays qui nécessitaient un coup de pouce.

« Nous avons fait ce qu'il fallait » a déclaré plus tard Clark Clifford, le conseiller spécial de Truman. « C'est parce que la Maison Blanche était pour que la résolution est passée ». « Je menaçais de leur botter les fesses au Département d'État. »

Herschel Johnson, le chef adjoint de la mission états-unienne aux Nations unies, en a pleuré de frustration en parlant à Loy Henderson, diplomate de haut rang, chef du bureau des Affaires du Proche Orient au Département d'État et résolument opposé à l'établissement d'un état sioniste de colons en Palestine.

« Veuillez m'excuser Loy, de m'effondrer ainsi, » lui dit Johnson, « mais Dave Niles nous a appelé ici il y a deux ou trois jours pour nous dire que le président l'avait chargé de nous dire, mon Dieu, qu'il voulait qu'on s'active et qu'on obtienne le plus de votes possibles, et que ce serait l'enfer si le scrutin donnait le résultat inverse. »

En septembre, l'UNSCOP (Comité spécial de l'ONU sur la Palestine) avait nommé une commission ad-doc pour étudier ses recommandations.

La commission était composée de tous les membres de l'Assemblée générale, avec des sous-commissions chargées d'examiner les propositions qui lui étaient faites. Le 25 novembre, l'Assemblée Générale, votant en tant que commission ad-hoc, a approuvé la partition par un vote de 25 voix pour et 13 voix contre, et 17 abstentions.

Comme il fallait une majorité des deux tiers pour que la résolution sur la partition soit adoptée lors du vote en session plénière de l'Assemblée Générale quatre jours plus tard, il était clair qu'elle allait être rejetée; mais après que la Maison Blanche « eut fait ce qu'il fallait », sept des 17 membres qui s'étaient abstenus le 25 novembre ont voté « pour» le 29 novembre, et la résolution 181(II) fut adoptée par 33 voix pour, 13 contre et 10 abstentions.

Niles, « porte-parole » des sionistes à la Maison Blanche, devait plus tard collaborer avec Clark Clifford pour saboter le projet du Département d'État consistant à remplacer la partition par une tutelle, temporairement, en raison des menaces de violence en Palestine.

Niles fut le premier d'une série de lobbyistes sionistes chargés de surveiller le président de l'intérieur. Les présidents ne les appréciaient pas forcément et il se peut même qu'ils les détestaient, eux et leurs pressions constantes, mais ils devaient les supporter.

À l'époque de John Kennedy, Mike (Meyer) Feldman était autorisé à contrôler les câbles du Département d'État et de la Maison Blanche en circulation au Moyen-Orient.

Il existait une certaine résistance au sein de la Maison Blanche mais Kennedy considérait que Feldman « était un mal nécessaire dont la position très visible à la Maison Blanche constituait une dette politique qu'il fallait payer » selon les propos de Seymour Hersh dans The Samson Option. Israel's Nuclear Arsenal and American Foreign Policy (p.98).

Après l'assassinat de Kennedy, Feldman fut repris par Lyndon Johnson, qui donna à Israël tout ce qu'il désirait sans contrepartie.

Livrer la Palestine à une minorité de  colons récemment installés constituait une violation des principes les plus fondamentaux des Nations Unies, au premier rang desquels le droit à l'autodétermination.

Il existait une forte opposition au sionisme et à l'établissement d'un état juif en Palestine au sein de l'administration états-unienne mais ce fut le locataire de la Maison Blanche répondant aux intérêts domestiques (l'argent et les suffrages) qui prit la décision et qui les prend depuis lors.

La Palestine passa des mains des Britanniques à celles des Américains, puis à celles des sionistes.

Ce que voulaient les Palestiniens était immatériel au regard du « retour » des juifs dans leur ancienne patrie, comme Arthur Balfour l'avait flairé à sa manière alanguie d'aristocrate. Le fait que les juifs ne puissent « retourner » sur une terre où ni eux ni leurs ancêtres n'avaient jamais vécu était tout aussi immatériel.

Un chapitre de fourberie

Ce qui s'est tramé à huit clos pour garantir qu'un  état colonial de peuplement soit fondé en Palestine contre le souhait du peuple autochtone n'est qu'un chapitre d'une longue histoire de fourberie, de duperie, de violation permanente du droit international et de violation des principes les plus élémentaires des Nations Unies.

Le soi-disant « problème palestinien » n'a jamais été un « problème palestinien » mais un problème occidental, un problème sioniste, un mélange combustible à long terme des deux qui, en ce moment même, est en train d'exploser et dont les coupables rendent leurs victimes responsables.

La raison pour laquelle nous en sommes arrivés là, au bord du précipice, comme on dit, ne ferait aucun doute si les gouvernements et médias occidentaux avaient jamais demandé à Israël de rendre des comptes au lieu de le protéger, de soutenir et même de justifier les pires crimes au nom du « droit » de se défendre d'Israël.

 La Nakba n'a pas commencé et ne s'est pas terminée en 1948

Suggérer que le voleur a un quelconque « droit » de défendre un bien volé est grotesque. Ce droit revient à la personne qui se bat pour son retour, comme le font les Palestiniens chaque jour depuis 1948.

Mis à part les 5-6 pour cent que les agences sionistes d'achat foncier ont réellement achetés avant 1948, les Israéliens vivent sur des terres et dans des biens volés. Ils vont, c'est sûr, les défendre mais ils n'ont aucun « droit » de défendre ce qui d'un point de vue légal, moral, historique, ou culturel appartient à quelqu'un d'autre.

II n'a jamais été question d'un « conflit de droits » comme l'affirment les sionistes « libéraux » parce qu'un droit est un droit et ne peut s'opposer à un autre droit. Les vrais droits ici ne font aucun doute ou ne le feraient s'ils n'étaient constamment étouffés par des gouvernement et médias occidentaux qui protègent Israël quoi qu'il fasse.

La résolution de partition de 1947 ne prévoyait pas de «  transfert » de la population palestinienne mais il n'aurait pas été possible de créer un état juif sans ce transfert. Sans l'expulsion de la population autochtone il y aurait eu autant de Palestiniens musulmans et chrétiens que de juifs dans « l'état juif ».

La guerre était la seule façon de se débarasser d'eux ; la force brutale a réalisé ce que Théodore Herzl envisageait lorsqu'il parlait de faire « disparaitre » de sa terre la « population sans le sou ». Une fois cela fait cette « simplification miraculeuse de notre tâche » rendait Weizmann euphorique.

1948 a été suivi de massacres à Gaza, en Jordanie, de massacres au Liban et de la guerre et d'assassinats dans toute la région et au-delà. Le nettoyage ethnique de 1948 a été suivi par un deuxième en 1967, et maintenant un troisième et quatrième à  Gaza et au  sud Liban, où les citadins et villageois du sud sont actuellement massacrés et poussés par la terreur à s'enfuir.

Et ceci s'accompagne de la destruction lente, progressive, pseudo-légale/illégale de la vie et des droits palestiniens en  Cisjordanie et à  Jérusalem-Est, le tout avec la caution des médias et gouvernements occidentaux.

Il est stupéfiant que les médias ne puissent s'empêcher de continuer à parler du 7 octobre et n'évoquent jamais cette histoire cruciale.

Bien sûr, en tant que complices de l'un des plus grands crimes du 20ième siècle, planifié en détails et exécuté dans le sang, en parler honnêtement serait s'incriminer soi-même, ainsi ils continuent à parler d'autres choses - du terrorisme du Hamas, du 7 octobre, de n'importe quoi pour détourner l'attention des crimes monstrueux d'Israël.

Cette distorsion du discours a commencé et se poursuit depuis que l'OLP et les fronts populaires des années 60 ont été qualifiés de terroristes et Israël de petit état courageux qui ne fait que se défendre.

Les Polonais et les Français et d'autres en Europe ont résisté à l'occupation nazi. Ceci ne pose auquel problème mais dans le cas des Palestiniens, la résistance à l'occupation est taxée de terrorisme et le terrorisme d'état qualifié de « légitime défense ».

Cette inversion de la vérité a été poussée encore plus loin de manière éhontée après les crimes terroristes commis par Israël au Liban, via les  explosions de bipeurs et talkie-walkie. Les gouvernements occidentaux et leurs  cohortes de médias alliés les ont justifiés et même célébrés.

Les Palestiniens ont montré depuis longtemps qu'ils étaient prêts à dépasser 1948, à faire de grands sacrifices pour la paix - céder 78 pour cent de la terre contre 22 pour cent pour eux - si Israël consentait à traiter honnêtement des droits de la génération 1948 mais il les a rejetés d'emblée et les a raillés.

Les Palestiniens étaient également prêts à partager Jérusalem mais Israël n'y était pas non plus prêt. Il a toujours voulu toute la Palestine.

C'est la réalité que masquait le «  processus de paix » des années 1990 et les plans précédents avancés par divers acteurs du manège diplomatique mais maintenant le gouvernement Netanyahu ne voit plus la nécessité du masque. Il déclare haut et fort, quoique quiconque en pense, y compris ses anciens amis et alliés, ce qu'il veut, c'est-à-dire ce que le mouvement sioniste voulait dès le départ, toute la Palestine, et de préférence sans Palestiniens.

Israël refusant de renoncer à une quelconque partie de la Palestine, les lignes entre pré et post 1987 ont disparu. Il n'y a plus de ligne verte entre ce qui est occupé et ce qui ne l'est pas, il ne reste que les lignes rouges qu'Israël franchit tous les jours.

Confrontés au refus de leur laisser même une petite portion de leur patrie, il ne reste aux Palestiniens et leurs alliés que la résistance et la détermination de récupérer la totalité de la Palestine de 1948 et pas seulement la fraction qu'ils auraient acceptée autrefois.

Si Israël vit en permanence en marge du droit international, c'est que les gouvernements occidentaux le lui permettent et même l'encouragent par leurs livraisons d'armes et leur soutien financier.

Si Israël occupe, massacre et assassine, c'est que les gouvernements occidentaux le lui permettent et l'encouragent concrètement. Si Israël commet un génocide c'est que les gouvernements occidentaux le lui permettent et l'encouragent concrètement.

Si Israël se condamne à une guerre perpétuelle contre les personnes dont il viole les droits les plus élémentaires depuis 76 ans, c'est que les gouvernements occidentaux le lui permettent.

Ils ont permis à Israël d'amener le monde au bord d'une guerre régionale, voire mondiale. Israël est incontrôlable, mais il a toujours été hors de tout contrôle. L'Occident a aussi permis cela, et aura à en payer les conséquences.

Auteur :  Jeremy Salt

* Jeremy Salt a enseigné l'histoire moderne du Moyen-Orient à l'Université de Melbourne, à la Bosporus University à Istanbul et à la Bilkent University à Ankara pendant de nombreuses années. Parmi ses publications récentes son livre paru en 2008 :  The Unmaking of the Middle East. A History of Western Disorder in Arab Lands (University of California Press).

27 septembre 2024 -  The Palestine Chronicle - Traduction:  Chronique de Palestine - MJB

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05/10/2024 ismfrance.org  4min #257947

 Ce n'est pas le 7 octobre, ni une autre date en cause aujourd'hui, mais 1948

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Ramona Wadi, 3 octobre 2024. Les dirigeants mondiaux n'admettront jamais que le « 7 octobre » a en fait commencé bien avant le 7 octobre de l'année dernière ; que toute l'histoire de l'État sioniste, concrétisée par la colonisation en Palestine, est à l'origine du génocide israélien actuel à Gaza et du déchaînement de sa machine à tuer au Liban et dans tout le Moyen-Orient. Pendant des décennies, l'ONU a ordonné au monde de se soumettre et a modifié la signification des dates importantes de l'histoire en réduisant le symbolisme et en faisant de faux souvenirs, tandis qu'Israël bénéficiait de l'impunité accordée par le sentiment international d'oubli imposé à ses victimes.