Les établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) sont dans une situation financière préoccupante. Le modèle est à bout de souffle, alertent des sénatrices. Il leur faut de l'argent, du personnel, et des idées alternatives.
La situation financière des Ehpad (établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes) est mauvaise, très mauvaise. C'est le message central d'un rapport parlementaire rendu public fin septembre. De nombreux établissements font face « à des difficultés de trésorerie à court terme », alertent les trois sénatrices (l'écologiste Anne Souyris, la macroniste Solanges Nadille et la LR Chantal Deseyne).
Il existe environ 7500 Ehpad en France. Près de la moitié, 44 %, sont publics, un quart privés à but lucratif, 31% privés non lucratif. Tous statuts confondus, deux-tiers des Ehpad de France sont aujourd'hui en déficit. C'est deux fois plus qu'en 2020 [1].
Quelles sont les causes de cette situation ? Le rapport pointe une chute du nombre de résident·es des Ehpad depuis le Covid. Les familles se sont détournées des Ehpad. Le scandale des établissements du groupe Orpea, où se sont multipliées négligences et maltraitances, a joué un rôle dans cette désaffection. Les Ehpad sont aussi confrontés à une hausse des coûts, due à l'inflation et aux augmentations des rémunérations des personnels décidées lors du Ségur de la santé.
Le manque de personnel creuse le déficit
De l'autre côté, les établissements peinent de plus en plus à recruter. « 61 % des Ehpad, tous statuts confondus, déclaraient rencontrer des difficultés de recrutement en 2019. Les Ehpad privés à but non lucratif étaient le plus couramment confrontés à ces difficultés », pointe le rapport parlementaire. Le manque de personnel touche tous les postes, de médecin à aide-soignante.
Les difficultés de recrutement pérenne poussent les Ehpad à faire appel à l'intérim, qui coûte plus cher. Et cela intensifie encore leur difficultés financières. La Fédération nationale des associations de directeurs d'établissements pour personnes âgées « considère l'intérim comme l'une des causes principales de la dégradation financière des Ehpad », signalent les sénatrices.
Jour travaillé non payé ou impôt sur les héritages
Le rapport avance plusieurs suggestions pour sauver les Ehpad. Une proposition serait de créer une deuxième « journée de solidarité », travaillée mais non payée, sur le modèle du lundi de Pentecôte, jour férié travaillé depuis 2003 pour contribuer au financement de la Caisse nationale de solidarité pour l'autonomie. La sénatrice écologiste Anne Souyris s'oppose à cette idée. « Une telle mesure constituerait un recul social pour les salariés et tout particulièrement pour les personnes aux revenus modestes », estime-t-elle. Pour Anne Souyris, « d'autres solutions plus justes pourraient être mobilisées ».
Elle défend une hausse de la CSG (contribution sociale généralisée, un impôt créé en 1990) pour renflouer les Ehpad. « Une telle mesure aurait donc un rendement comparable à la création d'une journée de solidarité et serait plus juste puisqu'elle ne pèserait pas sur les seuls salariés. Il semble cohérent que le coût de la prise en charge de la perte d'autonomie soit également supporté par les retraités », fait valoir l'écologiste en opposition avec une partie des propositions des élus LR et macroniste.
La sénatrice de gauche envisage aussi un financement des Ehpad par l'impôt sur les successions. Cela permettrait de « renforcer la justice fiscale alors que l'héritage a un poids de plus en plus déterminant dans le patrimoine global des individus ». Une autre idée serait de faire varier les tarifs d'hébergement des Ehpad en fonction des ressources financières des résidents, sur le modèle des tarifs adaptés dans les crèches ou les cantines scolaires.
Des titres de séjours pour les aide-soignants
Par ailleurs, l'écologiste souligne que les groupes d'Ehpad privés lucratif continuent à s'enrichir malgré la situation financière difficile des Ehpad : « Les gestionnaires d'Ehpad privés à but lucratif présentent un résultat net positif et s'enrichissent ainsi grâce à l'hébergement des personnes âgées dépendantes, soutenu par la Sécurité sociale ». Il faut donc, défend Anne Souyris, rendre transparents les comptes de tous les Ehpad, « sans que les gestionnaires ne puissent faire valoir le secret des affaires ».
« Compte tenu de la pénurie de professionnels dans le secteur du grand âge, le recours à la main d'œuvre étrangère semble aujourd'hui incontournable afin de répondre aux besoins de recrutement », met aussi en avant la sénatrice écologiste. Elle propose la création d'un titre de séjour ouvert aux professionnels qualifiés pour exercer le métier d'aide-soignant, ainsi qu'aux personnes admises dans des formations pour accéder à ce métier.
D'autres idées sont avancées par l'élue pour dépasser le modèle actuel des Ehpad : privilégier les petits Ehpad, d'une vingtaine de places plutôt que des établissements avec 60 à 80 résidents ; ou même s'éloigner des Ehpad pour renforcer la vie au domicile des personnes âgées dépendantes.
Aux Assises des Ehpad, mi-septembre, le secteur a appelé le nouveau gouvernement à agir. Pour l'instant, le Premier ministre Michel Barnier n'a rien dit sur le sujet.
Rachel Knaebel
Dans un Ehpad de Perpignan, en août 2024. ©Aline Morcillo/Hans Lucas
Notes
[1] Entre 2020 et 2023, la part des Ehpad déficitaires, tous statuts confondus, est passée de 27% à 66 % des Ehpad.