Par Fereshteh Sadeghi, le 27 octobre 2024
Vingt-cinq jours après les attaques de missiles iraniennes du 1er octobre contre Israël, et après des semaines de menaces et de fanfaronnades sur ses extraordinaires préparatifs, Tel-Aviv a lancé sa propre offensive contre les sites militaires de la République islamique d'Iran dans les premières heures du samedi 26 octobre.
L'attaque israélienne a commencé dans la capitale, Téhéran, où vers 02h15 heure locale (22h45 GMT), de très fortes explosions ont été entendues à l'ouest de la ville. Des témoignages, publiés immédiatement sur la plateforme de réseaux sociaux X, indiquent que six explosions ont été entendues.
Une attaque en plusieurs vagues
Les images qui ont fait surface par la suite - bien que peu nombreuses - ont montré des 𝕏 canons antiaériens iraniens tirant dans le ciel de Téhéran, mais 𝕏 aucun signe de missiles n' a été enregistré dans ces vidéos. L'absence de preuves visibles de l'existence de missiles a suscité un débat parmi les analystes, certains suggérant que l'État d'occupation a employé des tactiques conçues pour échapper aux méthodes de détection traditionnelles, probablement en utilisant des drones furtifs ou à basse altitude. Mais d'autres ont mis en doute le fait que les avions israéliens aient même pénétré l'espace aérien iranien.
Les deuxième et troisième vagues de frappes ont eu lieu deux à quatre heures plus tard, lorsque les systèmes de défense aérienne se sont activés dans les provinces iraniennes d'Ilam (ouest) et de Khuzestan (sud-ouest). Cette stratégie en plusieurs vagues témoigne d'une tentative calculée d'affaiblir les défenses iraniennes, en sondant leurs temps de réponse et leur capacité à faire face dans plusieurs régions simultanément.
Les médias occidentaux ont commencé à présenter les frappes israéliennes comme énormes et couronnées de succès, alors que les nouvelles concernant les raids initiaux se dissipaient. Ces descriptions sans preuves ont été accueillies avec scepticisme par les responsables iraniens, qui ont souligné l' efficacité de leurs défenses aériennes pour minimiser les dégâts causés par les frappes israéliennes.
Le New York Times a écrit :
"Les avions israéliens ont d'abord ciblé les batteries de défense aérienne et ont ensuite frappé les réseaux de missiles et les sites de production de l'Iran".
Axios a cité des responsables israéliens affirmant
qu'"Israël a adressé un message à Téhéran, avant les frappes aériennes, avertissant les Iraniens de ne pas riposter".
Dans la matinée, l'armée israélienne a publié un communiqué indiquant
"qu'elle a achevé ses frappes, mais que si l'Iran commet l'erreur de mener une nouvelle attaque, Israël devra riposter".
La base de défense aérienne de Khatam al-Anbiya - le commandement central chargé de défendre le ciel iranien - a entre-temps annoncé que :
"Malgré tous les avertissements précédents des autorités iraniennes au régime sioniste criminel et illégal contre toute forme d'aventurisme, ce régime a frappé des sites militaires à Téhéran, dans les provinces d'Ilam et du Khuzestan. La défense aérienne du pays a réussi à intercepter et à faire échouer les raids de l'agresseur, bien que certains sites ont subi des dommages limités dont l'étendue précise est en cours d'investigation".
Plus tard dans la journée, l'armée iranienne a annoncé la mort d'au moins quatre officiers, dont un colonel, tués lors de raids aériens israéliens au Khuzestan. Une source informée qui s'est confiée à The Cradle sous couvert d'anonymat révèle que le nombre de victimes iraniennes est plus élevé que ce qui est officiellement rapporté.
Quelle était la tactique de Tel Aviv ?
Plus de 24 heures plus tard, les détails concernant les raids aériens israéliens ou l'étendue des dommages subis par l'armée iranienne restent flous et, au mieux, fragmentaires. Les deux parties ont tout intérêt à contrôler le récit : Tel-Aviv pour projeter sa puissance et sa dissuasion, et Téhéran pour maintenir une image de résilience et minimiser les éventuelles vulnérabilités.
Israël affirme avoir déployé plus de 100 avions de combat F-35 pour mener l'offensive. Toutefois, un député conservateur iranien a affirmé samedi matin que les frappes à Téhéran ont été effectuées par de petits drones ou des quadcoptères.
Hamid Rasaei a écrit sur sa chaîne Telegram que
"les agents du régime sioniste à Téhéran étaient impliqués dans ces attaques et que les canons antiaériens iraniens ont riposté à ces microdrones".
Dans l'ouest du pays, la situation est différente. Les images de la chute du propulseur d'un missile israélien dans la province irakienne de Salahuddin suggèrent qu'Israël a utilisé le missile balistique Golden Horizon lancé par voie aérienne pour frapper les radars iraniens dans la partie occidentale du pays.
La violation de l'espace aérien irakien par Israël a été confirmée par la base de défense aérienne de Khatam Al-Anbiya. Elle a reproché à l'armée américaine d'avoir permis à Israël de tirer des missiles balistiques sur le territoire iranien à partir du territoire irakien, à une centaine de kilomètres en profondeur. Les autorités irakiennes n'avaient accordé aucune autorisation de ce type.
Bagdad a été rejoint par d'autres capitales arabes pour condamner fermement l'attaque israélienne sur le sol iranien sans faire référence à l'utilisation de son espace aérien par Israël. Le correspondant de TheCradle à Bagdad déclare :
"L'Irak n'a pas autorisé le recours à son espace aérien, mais le Premier ministre [Mohammed Shia] al-Sudani n'a pas son mot à dire dans cette affaire, car Washington contrôle l'espace aérien irakien, et les systèmes radar irakiens sont vétustes".
Khatam al-Anbiya n'a pas mentionné la Jordanie, un pays qui nie toute implication dans l'attaque aérienne israélienne bien qu'il ait déjà défendu l'État d'occupation contre les précédentes frappes de représailles iraniennes.
Succès limité, ou dégâts importants ?
Bien que les médias officiels iraniens aient minimisé l'ampleur et la gravité des frappes israéliennes, Mohammad Marandi, universitaire et analyste politique de l'université de Téhéran, déclare au journal The Cradle
qu'"il s'agit d'une opération de grande envergure de la part d'Israël, et même d'une opération considérable, car les Israéliens ont endommagé les radars et les systèmes de défense iraniens".
L'universitaire iranien Foad Izadi estime que
"l'attaque israélienne n'a pas été à la hauteur des espérances de Tel Aviv, bien moins que ce que l'on pensait". Mais il souligne que "par essence, Israël n'est pas en droit de frapper l'Iran, qu'il s'agisse de frappes mineures, moyennes ou massives. L'Iran est un pays indépendant, et attaquer un autre pays est une violation du droit international".
M. Izadi rejette les affirmations occidentales selon lesquelles les frappes manifestement illégales d'Israël sur l'Iran sont justifiées par la "légitime défense", soulignant que, dans tous les cas, Tel-Aviv a lancé les agressions initiales alors que Téhéran ripostait en toute légalité.
"L'Iran a tiré une salve de missiles sur Israël pour la première fois en avril, à la suite d'une attaque israélienne contre l'ambassade iranienne à Damas, en Syrie, qui avait été menée malgré les avertissements précédents de Téhéran. La deuxième frappe a eu lieu après l'assassinat par Israël du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, à Téhéran. L'Iran était en droit de réagir à l'assassinat de son invité, ainsi qu'aux événements qui se sont déroulés au Liban, y compris l'assassinat de Nasrallah".
M. Izadi souligne l'excellente performance des systèmes de défense aérienne iraniens, qui ont permis à l'Iran de minimiser les effets de l'agression israélienne.
M. Marandi, qui a été consultant auprès de l'équipe de négociation iranienne lors du dernier cycle de négociations nucléaires à Vienne, est d'accord avec l'évaluation selon laquelle les défenses aériennes de l'Iran ont bien fonctionné :
"Les Iraniens ont mené des opérations de sécurité et de renseignement avant les frappes et ont réussi à déjouer les pièges et les appâts, ainsi que la désinformation sur les sites sensibles".
Comme il l'explique à The Cradle, les dégâts infligés aux sites militaires iraniens ont été limités car
"l'éventualité d'une confrontation directe avec les États-Unis a convaincu les Iraniens, il y a de nombreuses années, de relocaliser sous terre la quasi-totalité des sites sensibles et des installations de production stratégiques"."Ni les avions de combat ni les missiles ne peuvent atteindre ces installations souterraines.
"Il ne reste au sol que de petits ateliers de production de pièces détachées de missiles, disséminés dans tout le pays, mais pas près des frontières, c'est pourquoi la frappe n'a pas fait de dégâts significatifs", ajoute M. Marandi.
True Promise 3 ?
Les frappes de samedi sur la capitale iranienne et les installations militaires des provinces iraniennes sont les premières depuis 1987, lorsque les forces militaires de l'ancien président irakien Saddam Hussein avaient lancé une salve de missiles sur Téhéran et d'autres villes iraniennes. L'impact psychologique des attaques contre Téhéran ne doit pas être surestimé : il s'agit d'un coup symbolique qui remet en cause la sécurité et la souveraineté de l'Iran, qui impliquera probablement une riposte significative et proportionnée.
Ce point a été rappelé par le Guide suprême iranien Ali Khamenei, qui a le dernier mot sur toutes les questions de sécurité nationale. Lors d'une réunion avec les membres des familles des "martyrs de la sécurité", plus tôt dans la journée, M. Khamenei a souligné qu'Israël n'a pas encore retenu la leçon :
"Ils (les Israéliens) devraient être conscients de la puissance, la détermination et l'esprit novateur de la nation iranienne et de sa jeunesse. Il appartient à nos responsables de déterminer comment faire comprendre au régime sioniste l'importance de la puissance et de la détermination de la nation iranienne, et de décider ce qui est dans l'intérêt de la nation et du pays".
Foad Izadi estime qu'une troisième attaque iranienne contre l'État occupant est probable, car
"les dirigeants iraniens sont tout à fait d'accord avec l'analyse selon laquelle il ne faut pas normaliser les attaques contre le pays".
Mohammad Marandi estime que les représailles de Téhéran ne sont pas une question de "si", mais de "quand" :
"Même si Téhéran n'avait pas été frappé et que seul Ilam avait été la cible des Israéliens, les dirigeants iraniens auraient réagi", déclare-t-il à The Cradle."Les représailles de l'Iran à l'attaque de Damas en avril ont pris des jours. Après l'assassinat de Haniyeh, Téhéran a mis des mois à riposter", poursuit M. Marandi.
Après les frappes israéliennes, le Conseil suprême de sécurité nationale de l'Iran s'est réuni pour faire le point sur les cibles touchées et évaluer la situation. Une éventuelle riposte militaire iranienne aurait été évoquée, mais rien n'indique pour l'instant qu'une telle décision ait été prise.