Maxime VIVAS
Nous vous proposons en deux parties une recension du magnifique livre d'Alain (Georges) Leduc sur Yves Klein.
Mais vous allez voir très vite que c'est prétexte, par une autre approche, inhabituelle ici, pour vous parler du monde tel qu'il va.
LGS
Extrait de la quatrième de couverture du livre « Yves Klein ou la Pureté du Pur » (Les éditions de la librairie Tropiques, 2024) :
« Historien de l'art, socio-anthropologue, Alain (Georges) Leduc a publié différentes biographies : de Paul Gauguin (2004), Roger Vailland (2008), Octave Mirbeau (2017) et Gaston Couté (2018). Membre de l'Association internationale des Critiques d'Art (AiCA), de l'Association internationale des Sociologues de Langue française (AiSLF), de l'Association française des Anthropologues (AfA), il a assuré de nombreux commissariats d'expositions, tant en France qu'à l'étranger, et conçu maints monographies et catalogues d'artistes-peintres. On lui doit le dictionnaire Les Mots de la peinture, paru chez Belin (2002), dans la collection « Le français retrouvé ». Il a collaboré au Dictionnaire des sexualités, (2014), aux éditions Laffont, dans la collection « Bouquins », dirigé par Janine Mossuz-Lavau, du CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Science Po/Paris), et collabore à L'Encyclopédie de la colonisation française, en cours de publication en six volumes aux éditions des Indes savantes, sous la direction d'Alain Ruscio. Il est membre du Comité de Rédaction de La Raison, le mensuel de la Libre Pensée, et chargé de la rubrique « Arts ». Du même auteur, aux Éditions Delga, Art morbide ? morbid art. De la présence de signes et de formes fascistes, racistes, sexistes et eugénistes dans l'art contemporain(2007) ».
En 256 pages, de son livre, Leduc nous guérit d'un aveuglement imposé par l'intelligentzia. Je ne peux citer, tant le livre est foisonnant, toutes les informations, anecdotes, réflexions, analyses qu'on y trouve. Ni tous les noms. Leduc m'en voudra sans doute de mes choix. Mais ne fallait-il pas laisser au futur lecteur la surprise de pépites qui affleurent ici et là ?
Alain (Georges) Leduc s'oppose dans son livre, un peu seul sans doute, mais avec les qualifications requises, aux béotiens incultes « faiseurs » d'une quasi-déité devant laquelle la règle médiatique est de se prosterner, car l'individu, en plus de son « génie » pictural, était doué de qualités physiques supra-normales : comme nous le verrons plus loin, des photos (truquées) nous le montrèrent sautant en un élégant vol sans parachute depuis le deuxième étage d'un pavillon.
Leduc, Klein, Vailland, dieu et moi-même
S'il est vrai que le hasard est le procédé par lequel dieu se manifeste incognito, il faut reconnaître qu'il nous marque à la culotte, Leduc et moi.
Avec bonhomie.
Voyez : A 20 ans, j'ai découvert (je fus ébloui par) Roger Vailland (sur lequel Leduc a écrit), un intellectuel qui fut journaliste, écrivain, dandy, communiste, libertin, alcoolique, gros fumeur, drogué, prix Goncourt. Vailland fut aussi un Résistant quand tant de ses confrères avaient filé aux Etats-Unis ou léchaient les bottes des ennemis, celles des collabos et (comme Klein) los zapatos en peau de republicanos del caudillo espagnol.
En 1997, quand le prix Roger Vailland m'a été décerné pour mon livre (« Paris Brune », éditions Le Temps des Cerises), Alain (Georges) Leduc m'a contacté : il avait lui-même obtenu le prix Roger Vailland en 1991 pour son roman, « Les Chevaliers de Rocourt » paru aux Editions Messidor. Ainsi nous fîmes connaissance.
En 2019, le natif de l'Aveyron que je suis se fit un devoir d'aller visiter à Rodez le musée Soulages, un autre natif. Dans ma prime jeunesse de provincial inculte monté à Paris et s'ouvrant aux arts, les monochromes noirs m'avaient paru suspects. Euphémisme. Mais un article de Roger Vailland me poussa à éviter le manichéisme. Il y contait comment, le 27 mars 1961 il avait passé l'après-midi avec Pierre Soulages, dans son atelier, pour le regarder préparer sa toile, ses couleurs, peindre, commencer et recommencer sa toile, la finir.
Travailler, quoi.
Cet article est devenu un petit livre qu'on trouve en vente dans la boutique du musée Soulages. Il a été édité par mon premier éditeur, Le Temps des Cerises.
Le musée proposait alors une immense exposition temporaire d'Yves Klein. J'en ressortis avec la conviction d'avoir visionné le « non travail » d'un fumiste et d'un escroc.
Mais je ne suis pas un intellectuel de l'art et je n'aurais pas su théoriser sur le sujet. Et voila qu'il y a quelques jours, Alain (Georges) Leduc m'a envoyé un exemplaire de son livre « Yves Klein ou la Pureté du Pur » où il dit si bien ce que j'avais ressenti.
Donc, Dieu existe, c'est démontré (sauf mauvaise foi), n'en déplaise aux gens de « La Libre Pensée ». Ici : émoticône hein !
Allons au sujet
Pour ma plus grande joie, Leduc dégomme savamment, avec jubilation et quelques sarcasmes celui qui fut adulé des médias, des critiques, des galeristes, des collectionneurs, des gogos, alors que nous allons découvrir un affairiste, un peintre entre guillemets, un menteur, un mystificateur, un misogyne, un rosicrucien, un fasciste (Leduc nous raconte sans rien omettre son entourage d'extrême-droite, son amitié pour Jean-Marie Le Pen : « On picolait ensemble »), un franquiste (phalangiste) dont les deux livres de chevet étaient la Cosmogonie des Rose-Croix de Max Heindel et Mein Kampf…
Le bleu Klein.
Leduc détaille par le menu en plusieurs pages (je vous laisse y aller voir) la vérité sur l'invention du bleu Klein (IKB : International Klein Blue). En deux mots : Klein n'a rien inventé du tout. C'est un marchand de couleurs, Edouard Adam, qui lui a indiqué une substance, produite par Rhone-Poulenc industries (et distribuée sous le nom de RhodopasM.) à ajouter à sa couleur pour produire le résultat que l'on sait. Contrairement à ce qui se dit souvent, Klein n'a pas fait breveter la trouvaille (pour cela, il faut payer, faire renouveler le brevet, repayer...). Le grippe-sous a simplement envoyé pour enregistrement à l'INPI (Institut national de la propriété Industrielle) des enveloppes contenant la formule et des échantillons. C'est pareil, c'est moins cher, pérenne, c'est une certaine forme de brevétisation.
Leduc : « Nathalie Heinich (née en 1955) débusqua le cochonnet : « En 1954, Klein avait publié un faux catalogue mentionnant des œuvres qu'il n'avait pas réalisées, antidatant de quelques années le début de ses monochromes. » On ne saurait plus clairement dire. Elle y revient quelques pages plus loin : « Klein construisit de son vivant une légende rétrospective à propos de son œuvre, antidatant des monochromes. » Question « Lumière » : l'entourloupeur aura été entourloupé, comme l'arroseur arrosé »
Le saut depuis le deuxième étage
« Notre petit Zorro, vêtu, à défaut d'une cape et d'un chapeau Cordobes, d'une riquiqui liquette de VRP marchand d'aspirateurs (de ceux qui vous coincent une chaussure dans l'entrebâillement de la porte) et d'une cravate, se tient sur le rebord du deuxième étage d'une maisonnette en pierre meulière. Alléluia ! En pyjama ! Lorsque les photographes sont prêts, il bande les muscles et s'élance dans un mouvement ascendant. Fixant d'un regard intense le firmament, sa demeure (les yeux étincelants), il reste un instant suspendu au plus haut de son saut (on entend le déclic des appareils). L'« alléluia ! » des fraises Tagada !… L'envol présage deux choses : le vol et l'élévation. Pour pouvoir voler, il faut quitter le sol et les amarres terrestres. Volonté d'évasion et de tutoyer les cieux, il représente un besoin de puissance et la recherche de la capacité à subsumer les ennuis quotidiens. Rêver d'Icare, en sus d'échapper à la loi de la gravitation, c'est vouloir s'élever au-dessus de la triste réalité des choses. Jacques Lacan (19011981) n'aurait pas manqué d'effectuer le lien entre prendre l'avion et s'envoyer en l'air.
D'un point de vue freudien, l'avion, qui est en lui-même un symbole phallique, implique de désirer ressentir des émotions sexuelles hors du commun. Visiblement, le redressement, sitôt les préliminaires du décollage, n'est pas sans rappeler l'érection. Planer = Ne pas avoir les pieds sur terre.
Mais un autre sens est possible, fondé sur un jeu de mot : Je l'évite = problème que le rêveur craint et donc, évite. Signer le ciel, signer le vide, étonnante démiurgie. Fou ? Paranoïaque ? Petite gouape mal dégrossie, Yves Klein ? Ou simplement zinzin ?
Oui, le comble de la vacuité narcissique fut atteint lorsque le 19 octobre 1960 Klein se lancera dans le vide. Il en résultera un vulgaire (et assez maladroit) photomontage, tellement approximatif, si on se donne un seul instant la peine de l'analyser... ».
Je serai un peintre
Klein : « "Je serai un « peintre", on dira de moi : c'est le "peintre". Et je me sentirai un "peintre", un vrai justement, parce que je ne peindrai pas, ou tout du moins en apparence. »
LE peintre. LE Monochrome
"En parfait petit-bourgeois bien-pensant, il personnalise tout. Michel Ragon dans son ambigu hommage posa la question : « Canular ? On le crut d'abord… » Comme l'explique François Albera, c'était reprendre un des mots qui revenaient le plus fréquemment avec le substantif « supercherie » dans la presse française, au sujet des travaux d'Yves Klein7. Il en alla de même en Allemagne fédérale, en 1961, à l'occasion de son exposition à Krefeld : « charlatanerie ou révélation ? », se demanda alors la Neue Rhein Zeitung.
Tout aura été dit, même tardivement, de cette lancinante autoconstruction d'un mythe personnel, égocentré, appuyée sur des témoignages bidonnés, triturés, et sur des manipulations chronologiques, comme l'illustre (entre autres) la controverse avec Takis (1925-2019)9.
Que ce dernier ait exposé chez Iris Clert trois sculptures magnétiques suspendues en l'air sans socle, le 15 juillet 1959, valut à la galeriste une lettre incendiaire antidatée au 21 mai par Klein où celui-ci s'attribuait impunément l'invention du procédé. Un maquillage assez grossier, d'autant qu'il y évoque ce que disait Jean Cocteau de ses Sculptures Éponges exposées seulement le… 15 juin. Pour ce caractériel faussaire ce nouveau faux est doublement avéré : l'antériorité est notoire.
« Je soussignée Iris Clert déclare sur la foi du serment :
Il y a quelques années, assistant à Londres à l'ICA10 à une exposition de Brown, un peintre qui se précipitait avec sa bicyclette sur sa toile, couverte de peinture.
Outrée du procédé, j'eus une idée que je communiquai immédiatement à M. Alloway, directeur de l'ICA : me jeter toute nue sur une toile imbibée de peinture, afin d'y laisser mon empreinte.
L'idée amusa tout le monde.
De retour à Paris, je la communiquai à Yves Klein. Six mois après, je m'aperçus qu'il se l'était accaparée. »
Klein ne fut pas un inventeur, mais un plagiaire puisque des tableaux unicolores avaient été peints quelques décennies plus tôt.
Petite parenthèse : dans mon livre sur Vailland/Céline, je démonte le fameux style célinien, fait d'usage exagéré d'aphérèses (troncatures des débuts de mots), d'apocopes, (troncatures des fins de mots) de mots déformés inventés par un de ses amis peintre (Henri Mahé) de mots valises et de néologismes dont Ronsard avait donné la recette. Mais, chut : Céline, on nous l'a dit, était aussi un génie et un novateur ! Céline, Klein et bien d'autres, la classe dominante est une usine à fabriquer des leurres.
Buren, à qui ses colonnes à Paris apportèrent une notoriété mondiale, fabriqua aussi des toiles, réduites à de bandes verticales, vertes et blanches alternées. On raconte qu'à un commerçant lui demandant ce qu'elles avaient de plus que l'auvent qui protégeait du soleil sa devanture, il répondit que les siennes étaient signées Buren. Mouais.
Peignez !
Tout à la fin de son livre, Leduc offre « un petit apocryphe » à ceux qui souhaitent « tenter le badigeon » : « Si vous ne savez pas dessiner et vous n'avez qu'un pot de ripolin bleu, alors, faites un monochrome pour accrocher au-dessus de votre canapé ». Et pourquoi pas ? Pour Duchamp, ce sont les « regardeurs qui font le tableau ». Pour peu que le regard ait été formaté (il l'a été), le spectateur va se résigner à voir une œuvre dans un tableau de format A4 où l'artiste a passé quatre coups de rouleaux trempé dans de la peinture bleue.
Klein innova, non pas par des tableaux monochromes (comme on l'a vu, le genre existait depuis des décennies), mais en se séparant du rouleau de peintre en bâtiment, outil qui imprimait prestement une œuvre, mais qui risquait de projeter des gouttelettes de peinture sur l'artiste. Dès lors, il répudia « l'objet pictural », trop salissant, en mettant au labeur des femmes-objets, nues et barbouillées de bleu. Dans son film « Les Godelureaux », Chabrol, qui avait fréquenté Klein et qui eut avec lui des rapports conflictuels, a introduit une scène de « pinceaux vivants » : des actrices peinturlurés. Il s'en est expliqué ainsi : « Au fond, ce que je voulais montrer, c'est une société mourante. Un univers très futile, au stade de la putréfaction ».
Alphonse Allais
Les professeurs de Klein à l'école Alsacienne avaient regretté qu'il soit « fainéant, qu'il arrive en retard et ne travaille pas ». Pour ma part (je ne le dis pas pour provoquer, quoi que…) je suis navré de l'apathie des féministes qu'on ne voit pas perturber les expositions de Klein, mais qui sont promptes à monter des cabales contre quiconque a dit à sa voisine de bureau « T 'as d'beaux yeux, tu sais ? » et, peut-être, a frôlé ciel ! (bleu) son épaule. Le témoignage des femmes peinturlurées, qu'il traîne sur la toile et dont l'une se relève avec des saignements aux seins devrait intéresser un peu, un tout petit peu, les défenseurs des femmes. D'autres, pour moins que ça (Adrien Quatennens vous le dira) ont été cloués au pilori pour y recevoir des tomates pourries, des mois, des années durant.
Le mariage de Klein, en 1962, un peu moins spectaculaire et mégalo que celui de Bokassa, reçut des messages de trois évêques (pas moins). Dame, cet homme était hors du commun. Il caressait l'espoir d'obtenir le prix Nobel de la Paix.
Maxime VIVAS
A suivre avec quelques infos sur des "boites de merde" d'un artiste, sur Klein terreplatiste, judoka et rabroué par le philosophe Bachelard.
Yves Klein ou la Pureté du Pur (1ère partie)