Comment l'UE a contribué au projet d'une nouvelle prison à Jénine en pleine invasion israélienne
Par David Cronin, le 14 novembre 2024
L'annexion est de nouveau à l'ordre du jour.
Bezalel Smotrich, l'un des principaux ministres du gouvernement israélien, menace de faire de 2025 "l'année de la souveraineté en Judée et en Samarie".
S'il est sérieux - et il n'y a aucune raison de suspecter que l'autoproclamé "homophobe fasciste" bluffe - alors nous pouvons nous attendre à ce qu'Israël revendique bientôt officiellement la possession des terres palestiniennes qu'il aura volées en Cisjordanie.
Bien entendu, Israël se gardera bien d'avouer qu'il a volé des terres dans sa déclaration. Appeler la Cisjordanie "Judée et Samarie" est une façon d'affirmer un "droit" biblique sur un territoire qu'Israël occupe depuis 1967.
Aucune autre nation ne reconnaît ce "droit". Mais Smotrich et ses collègues espèrent que les États-Unis le feront - une fois que Donald Trump sera investi président en janvier.
Mike Huckabee, le choix de Trump comme ambassadeur américain en Israël, a déjà signalé qu'une annexion pourrait avoir lieu.
L'Union européenne se montrera-t-elle moins complaisante que Trump ?
Il y a quatre ans, une annexion officielle des blocs de colonies d'Israël en Cisjordanie semblait imminente. À l'époque, l'UE avait prévenu que toute démarche de ce type aurait inévitablement des conséquences sur ses relations avec Israël.
Avec le recul, il est permis de douter que les fonctionnaires de Bruxelles aient accordé de la crédibilité à leurs propres avertissements.
Un génocide devrait constituer une ligne rouge bien plus nette qu'une annexion formelle. Pourtant, l'UE a continué à coopérer avec Israël alors qu'il mène une guerre d'extermination contre Gaza.
Josep Borrell, le responsable de la politique étrangère de l'UE, a condamné la nouvelle menace de Smotrich au motif qu'elle met en péril "toute perspective de solution à deux États".
La répétition sans fin du mantra des deux États ne change rien à une fâcheuse évidence : l'Union européenne a ouvert la voie à l'annexion.
Elle l'a fait en jouant un rôle important dans le morcellement de la Cisjordanie.
En vertu des accords d'Oslo - signés dans les années 1990 entre Israël et l'Organisation de libération de la Palestine (OLP) - le territoire a été divisé en trois zones. La plus grande zone - la zone C - comprend plus de 60 % de la Cisjordanie et englobe les principales colonies d'Israël.
La domination d'Israël étant essentiellement acquise au moment de la mise en œuvre des accords, les autorités israéliennes ont aisément pu les exploiter afin d'accélérer la colonisation. La suite logique est de faire exactement ce que Smotrich propose : annexer la zone C.
L'isolement
En appliquant les accords d'Oslo, l'Union européenne a contribué à enfermer les Palestiniens dans une fraction de leur patrie historique.
Au cours des deux dernières décennies, l'UE a été chargée de former les forces de police et les administrateurs des établissements pénitentiaires de l'Autorité palestinienne.
Ces effectifs sont tenus de ne pas pénétrer dans la zone C. Dans les autres territoires de la Cisjordanie, ils sont totalement inféodés à Israël.
Cette subordination a été soulignée chaque fois qu'Israël a envahi cette année la zone A de la Cisjordanie, c'est-à-dire les plus grandes villes palestiniennes. Les représentants de l'Autorité palestinienne étaient, de fait, totalement inactifs alors qu'Israël tuait et mutilait des Palestiniens, dont un grand nombre d'enfants.
Les raids d'Israël sur Jénine et Tulkarem en août et septembre ont duré 10 jours. C'est la plus longue offensive de ce type contre la Cisjordanie depuis 2002, année où Ariel Sharon, notoirement hostile, était Premier ministre d'Israël.
Comble de la perversion, l'UE a passé les jours et les semaines qui ont précédé, pendant et après les raids d'août et de septembre à aider l'Autorité palestinienne à implanter une nouvelle prison juste à l'extérieur de Jénine.
Grâce à une demande de liberté d'information, j'ai obtenu plusieurs rapports rédigés par la mission de maintien de l'ordre de l'UE en Cisjordanie sur cette prison.
Ils décrivent comment la prison - nommée Barghasha Rehabilitation Correction and Rehabilitation Centre - dispose de huit cellules d'isolement.
Les documents ayant été censurés, on ne peut connaître les commentaires de l'équipe de l'UE sur l'isolement cellulaire, bien qu'elle se soit engagée à faire part de ses préoccupations concernant la vie privée des détenus.
J'ai contacté la mission de police de l'UE pour lui demander si elle cherche à éviter le recours à l'isolement cellulaire en Palestine. La mission, dont l'acronyme est EUPOL COPPS, a refusé de répondre à ma question, affirmant que son travail sur la détention est "toujours aligné sur les normes internationales".
L'Autorité palestinienne a l'habitude d'associer l'isolement cellulaire à d'autres formes de sévices infligés aux détenus.
En 2022, un certain nombre de prisonniers ont entamé une grève de la faim après avoir été arrêtés par les forces de l'Autorité palestinienne. Amnesty International et d'autres groupes de défense des droits de l'homme ont documenté la façon dont ils ont été placés à l'isolement et torturés physiquement.
EUPOL COPPS a publiquement fait l'éloge de la nouvelle prison située à côté de Jénine, la qualifiant de centre de réhabilitation "modèle".
Les documents internes que j'ai pu obtenir révèlent le caractère assez obscur de ce "modèle".
La nouvelle prison a été créée soi-disant pour remédier à la surpopulation dans d'autres prisons.
L'un des documents internes indique que l'équipe de l'UE s'est entretenue le 29 août - le lendemain du début de l'invasion de Jénine par Israël - avec un brigadier officiant pour l'Autorité palestinienne. Le document indique que "le brigadier demandera la coordination des autorités israéliennes pour le transfert des prisonniers" à Jénine depuis d'autres prisons.
Un autre document précise qu'Israël vérifie "les équipements électriques" de la prison.
Cette "coordination" et ces "contrôles" sont présentés comme des questions purement pratiques, alors qu'Israël est plus que jamais maître de la situation.
La destruction de Gaza et la violence accrue des soldats et des colons d'Israël en Cisjordanie a pour objectif de chasser les Palestiniens de leur patrie.
Francesca Albanese, rapporteur spécial des Nations unies sur la Palestine, a déclaré le mois dernier que
"la dévastation infligée à Gaza se propage maintenant en Cisjordanie, y compris à Jérusalem-Est".
Elle a observé qu'Israël, en tant qu'État, "se fonde sur la volonté d'effacer les Palestiniens".
L'ouverture d'une prison "modèle" n'a pas modifié comme par magie la façon dont Israël prive non seulement les Palestiniens de leur liberté fondamentale, mais tente en fin de compte de les éliminer. Et la propagande de l'Union européenne ne peut occulter à quel point elle assiste Israël dans l'accomplissement de ses objectifs.