France Culture, le 21 novembre 2024
Le journaliste palestinien Rami Abou Jamous livre un récit poignant sur la famine qui frappe la population de Gaza.
Mon fils Walid a trois ans. Hier, c'était le jour le plus heureux de sa vie. Ses yeux brillaient, son sourire illuminait tout autour. Pourquoi ? Juste pour un bout de chocolat. Oui, vous avez bien entendu. Une simple tablette de chocolat. Pour les enfants du monde entier, ce n'est peut-être rien, juste quelque chose de banal. Mais pour Walid, c'était comme si le Père Noël en personne débarquait en pleine guerre avec sa hotte magique.
Pour briser le blocus imposé sur Gaza, nous avons défié ce blocus avec une arme redoutable : une tablette de chocolat envoyée depuis la France par une amie au grand cœur. Walid l'a reçue comme un roi recevant un sceptre. En une bouchée, il l'a engloutie, savourant chaque milligramme de cacao comme s'il s'agissait de la recette du bonheur éternel.
La joie de Walid était immense parce que c'était la première fois qu'il goûtait du chocolat depuis sept mois. Oui, du chocolat. Ce symbole de l'enfance insouciante est interdit par l'occupation. Mais pas seulement le chocolat. Laissez-moi vous donner des exemples : les bonbons, les boissons, les jeux, les sucreries en général, le lait, les vitamines, les couches, les produits d'hygiène... Tout ce qui est essentiel pour les enfants, tout ce qui pourrait leur offrir un semblant de vie normale.
Hier, Walid a aussi reçu des vêtements d'hiver. Là encore, c'est un miracle. Il n'a pas de vêtements d'hiver, car c'est interdit aussi de les faire passer sous l'occupation. Nous vivons sous une tente, et pas par choix écologique, une tendance de mode ou parce que nous sommes en vadrouille. Non, c'est juste notre quotidien. Nous sommes parmi les 1,6 million de personnes forcées de quitter leur maison, de fuir la terreur pour finir sous une tente. Cette tente qui ne protège de rien : ni de la chaleur, ni du froid, ni du vent, ni de la pluie. Elle ne protège pas non plus des rongeurs, des reptiles et parfois même du métal brûlant tombé du ciel.
Avec ces nouveaux vêtements, Walid pourra résister à quelques degrés de moins. Un vrai triomphe de la mode dans les camps de fortune. Je regardais les yeux de Walid briller de joie et je me demandais : est-ce cela, la vie que nous pouvons offrir à nos enfants ? Une vie où un bout de chocolat est un événement historique, où un pull devient une protection contre un monde qui ne veut pas de nous.
Peut-être qu'actuellement, un bout de chocolat ou un pull représente une victoire contre le quotidien. Et Walid a certainement eu la chance que des centaines de milliers d'enfants à Gaza n'ont pas. Je me dis aussi que c'est déjà un miracle que nous soyons encore vivants après tous ces massacres.
J'espère que demain, Walid et tous les enfants du monde ne connaîtront plus la guerre ni l'humiliation, mais seulement le goût du chocolat.