Le premier ministre polonais pro-UE Donald Tusk interdit les médias d'opposition
An Jacobs
Source: Nieuwsbrief Knooppunt Delta, n°194, Novembre 2024
Depuis des mois, la deuxième chaîne d'information polonaise est totalement interdite d'accès aux conférences de presse et aux briefings de crise du premier ministre libéral pro-UE, Donald Tusk. Cette situation est d'autant plus curieuse qu'elle est le fait d'un de ces eurocrates qui, pendant les huit années de gouvernements conservateurs en Pologne, ont cloué au pilori les menaces pesant sur la démocratie, l'État de droit et le pluralisme des médias.
Mais il faut l'admettre: Tusk avait déjà un certain passif en matière d'attaques contre le pluralisme des médias lorsqu'il était premier ministre de son pays de 2007 à 2014, avant de devenir président du Conseil européen de 2014 à 2019, puis président du Parti populaire européen (PPE) de 2019 à 2022.
Contrôle des médias publics par la force
De retour au pouvoir depuis le 13 décembre 2023, Donald Tusk a commencé à prendre le contrôle des médias publics par la force. Cependant, son approche brutale a eu une conséquence sans doute inattendue: le départ massif des téléspectateurs de TVP Info, la chaîne d'information du radiodiffuseur public, vers le petit radiodiffuseur privé TV Republika, qui a une ligne éditoriale conservatrice et sympathise avec les conservateurs du parti Droit et Justice (PiS).
TV Republika, le vent en poupe
Aujourd'hui, TV Republika peut presque rivaliser avec la chaîne d'information TVN24, qui était jusqu'à présent le leader incontesté dans ce segment de l'information. TV Republika dépasse de plus en plus TVN24 aux heures de pointe. Bon à savoir : TVN24 fait partie du groupe TVN, propriété de la société américaine Warner Bros Discovery. Elle offre à ses téléspectateurs un contenu éditorial très engagé dans le camp de la gauche et très hostile à l'opposition conservatrice.
Mais alors que la chaîne d'information publique TVP Info s'est effondrée, passant d'une moyenne de 5,33% en septembre 2023 à seulement 2,08% en septembre 2024 - un mois où les résultats des chaînes d'information en continu ont été dopés par les inondations catastrophiques dans le sud-ouest du pays - TV Republika est passée d'une moyenne de 0,11% à 4,66%. Le numéro un, TVN24, a enregistré une audience de 6,56% en septembre, contre 5,52% il y a un an (source: Wirtualne Media).
Tusk ne veut rien voir, rien entendre
Mais même pendant les inondations qui ont ravagé le sud-ouest de la Pologne, faisant de nombreux morts, le Premier ministre Donald Tusk a ordonné à ses services de refuser aux journalistes et aux caméras de TV Republika l'accès à ses briefings de crise, y compris sur le terrain lorsqu'il s'est rendu dans les zones touchées par cette catastrophe naturelle. C'est sans précédent dans un pays européen supposé être "démocratique". Mais il faut dire que Donald Tusk refuse depuis des mois à TV Republika l'accès à ses conférences de presse, manifestement parce qu'il veut éviter les questions embarrassantes des médias d'opposition.
La situation perdure malgré une première décision de justice en juillet qui condamnait le ministre de la Culture Bartłomiej Sienkiewicz pour la même pratique à l'égard de TV Republika. M. Sienkiewicz est un lieutenant-colonel à la retraite, ayant jadis oeuvré au service du contre-espionnage. C'est lui qui, en tant que ministre de la culture et du patrimoine national dans le troisième cabinet de Donald Tusk, a mené le putsch contre les médias publics juste avant Noël. Le 13 mai 2024, il a renoncé à ce poste pour devenir député de la Plateforme civique de Tusk (Platforma Obywatelska) au Parlement européen, où il siège donc au sein du PPE.
Que ce soit dans le cas de l'ancien ministre de la Culture Sienkiewicz (photo) ou dans celui du Premier ministre Donald Tusk, le Médiateur a protesté à plusieurs reprises contre ces pratiques, qui sont à la fois antidémocratiques et illégales et totalement contraires au droit à l'information des citoyens tel qu'il est inscrit dans la constitution polonaise. Plus récemment, le 18 septembre 2024, le médiateur a envoyé une lettre au voïvode (gouverneur provincial) de Basse-Silésie, la région touchée par les inondations, demandant une explication sur l'attitude des organisateurs du point de presse. Ceux-ci avaient brutalement plaqué au sol une équipe de journalistes de TV Republika pour l'empêcher d'assister au point presse.
Condamnation par les instances constitutionnelles en vain
Cette attitude des autorités polonaises a également été condamnée à plusieurs reprises par l'Observatoire de la liberté de la presse de l'Association des journalistes polonais (SDP). En vain. Lorsqu'un journaliste a demandé à Donald Tusk, dans la salle du Parlement, pourquoi il se livrait à ces pratiques illégales, le Premier ministre, entouré de ses gardes du corps, a répondu de manière moqueuse: "Pourquoi ne vous adressez-vous pas à la Cour constitutionnelle?".
L'attitude de Donald Tusk a de nouveau été condamnée par le président du Conseil national de la radio et de la télévision (KRRiT), l'organe constitutionnel indépendant chargé de superviser les médias. Il est vrai que la majorité de gauche n'était pas encore satisfaite de sa prise de contrôle brutale des médias publics, au mépris de la loi et en discriminant scandaleusement la deuxième chaîne d'information du pays. En outre, les partisans de M. Tusk veulent traduire le président de l'autorité des médias devant le tribunal d'État. Il s'agit de l'instance chargée de juger les ministres et certains hauts fonctionnaires en cas d'infractions particulièrement graves dans l'exercice de leurs fonctions.
Reporters sans frontières complice, comme souvent
Le 26 septembre 2024, l'interdiction par TV Republika des conférences de presse et des briefings de crise du Premier ministre Donald Tusk a de nouveau fait l'objet d'une note de la Plateforme pour la sécurité des journalistes du Conseil de l'Europe, qui attend une réponse du gouvernement polonais pour le 26 décembre 2024. Les activistes de Reporters sans frontières, en revanche, gardent un silence radio total. RSF ne semble pas se soucier de la liberté des médias en Pologne depuis le changement de gouvernement, et a même fait passer le pays de la 57ème place en 2023 à la 47ème dans son classement mondial de la liberté de la presse 2024. Il suffit d'oser.
Et pourtant: lors d'une conférence au Sénat polonais le 10 septembre 2024, Donald Tusk lui-même a admis qu'il ne respectait pas l'État de droit, insistant sur le fait que cela était nécessaire «pour sauver la démocratie en Pologne». Une démocratie qui, selon lui, est désormais une «démocratie militante». S'agit-il de la nouvelle réponse de la gauche et des libéraux à la montée du «populisme» de droite en Europe ? On peut le craindre, étant donné le soutien évident de « Bruxelles » aux actions du gouvernement Tusk. Et si c'est le cas, il y a vraiment de quoi s'inquiéter... en Pologne et ailleurs.