Par Robert Inkalesh*, le 5 novembre 2024
Alors que les forces d'opposition syriennes, dirigées par Hayat Tahrir al-Sham, affilié à Al-Qaïda, intensifient leur offensive pour s'emparer de plus de territoire après avoir capturé Alep, Washington a pris ses distances avec l'attaque - un revirement remarquable, compte tenu de son soutien de longue date à l'armement des groupes dits "rebelles modérés" basés à Idlib.
Sous la présidence de Barack Obama, le gouvernement américain a secrètement injecté des milliards dans une opération secrète destinée à renverser le gouvernement de Bachar el-Assad. Le programme "Timber Sycamore" de la CIA, l'une des opérations les plus coûteuses de l'agence, a permis, à son apogée, d'acheminer 100 000 dollars par militant syrien formé, dont beaucoup allaient finalement se battre sous la bannière de factions liées à Al-Qaïda.
L'étendue du rôle joué par Washington a été révélée par des fuites de documents, qui ont fait état d'un aveu surprenant de la part de Jake Sullivan, alors chef d'état-major adjoint, à Hillary Clinton en 2012 : Al-Qaïda " est de notre côté en Syrie". Brett McGurk, coordinateur du Conseil de sécurité nationale pour le Moyen-Orient, a par la suite qualifié Idlib de " Assessing the Trump Administration's Counterterrorism Policy ".
Lors d'une audition en 2020 de la sous-commission des Affaires étrangères de la Chambre des représentants, Dana Stroul, qui allait plus tard devenir Secrétaire adjointe à la Défense (DASD) pour le Moyen-Orient sous l'administration Biden, a fait valoir que
"la Russie et l'Iran n'ont pas les ressources nécessaires pour stabiliser ou reconstruire la Syrie". Elle a souligné que l'économie syrienne, déjà chancelante, "continue à décliner", une situation aggravée par la crise économique au Liban et le régime de sanctions mis en place par les États-Unis".
Mme Stroul a poursuivi en suggérant que "nous avons ici une opportunité", plaidant en faveur d'une approche proactive. Elle a proposé que les États-Unis commencent à planifier la manière de "tirer parti du prochain regain de violence pour relancer un processus politique". Mme Stroul a poursuivi en soulignant que cette stratégie devrait inclure un rapprochement des États-Unis avec la Turquie, tout en maintenant une position ferme sur les questions politiques, les sanctions et le refus de l'aide à la reconstruction.
L'objectif est inchangé : chasser l'Iran du territoire syrien et contraindre Damas à renoncer à son alliance avec le Hezbollah libanais. Cette ambition est plus qu'une stratégie, c'est une vision qui ambitionne de remodeler l'équilibre des pouvoirs dans la région en faveur des intérêts israéliens et américains.
Au lendemain de la prise d'Alep par HTS, les Émirats arabes unis et les États-Unis ont profité de l'occasion pour faire avancer leur vision d'un nouveau Moyen-Orient avec une précision calculée, en faisant une offre qui touche au cœur de la lutte de la Syrie : un allègement des sanctions en échange d'une rupture des liens avec l'Iran, un allié de longue date.
Au début de l'année, la coalition de lobbyistes favorables au changement de régime, baptisée American Coalition for Syria, a rencontré des responsables américains à Washington lors de sa journée annuelle de plaidoyer, au cours de laquelle on a plaidé pour le financement de groupes liés à Al-Qaïda. Selon un rapport publié par The Grayzone, le chef de cabinet du sénateur républicain de Floride Rick Scott a rassuré les partisans de l'opposition syrienne en leur disant que "les Israéliens veulent que vous soyez aux commandes".
Les analyses des think tanks pro-israéliens, comme le Washington Institute for Near East Policy (WINEP), dépeignent une Ligue arabe qui a modifié sa posture pour soutenir Damas. Toutefois, ce soutien s'accompagne d'un objectif calculé : faire avancer un programme anti-iranien qui s'aligne parfaitement sur les objectifs des États-Unis et d'Israël.
L'objectif principal est clair : une solution négociée en Syrie qui oblige le président Bashar al-Assad à rompre ses relations avec l'Iran et à mettre fin aux livraisons d'armes au Hezbollah.
Ces dernières années, alors que la guerre en Syrie était dans l'impasse, les responsables occidentaux de la politique étrangère ont entrepris de redonner une nouvelle image à Hayat Tahrir al-Sham (HTS). La renaissance du chef de HTS, Abu Mohammad al-Julani, a constitué l'élément central de cette opération. Connu pour son treillis militaire, al-Julani est réapparu à la télévision américaine sous un jour radicalement différent, revêtu d'un costume et se présentant comme un chef poli et formel.
Dans son analyse de HTS, le Center for Strategic and International Studies, un think tank basé à Washington, a noté ce qui suit :
"Les messages de HTS ont clairement fait état de ses mesures de « syrianisation », de ses campagnes antiterroristes contre les groupes islamistes transnationaux et de ses efforts pour mettre en place une structure de gouvernance dans le nord d'Idlib. Ce message persistant et l'absence d'opérations militaires en dehors des zones contrôlées par HTS indiquent que le groupe continuera à se positionner comme une force dirigeante relativement modérée en Syrie dans le but de recevoir une aide internationale, des ressources et éventuellement une reconnaissance".
James Jeffrey, ancien ambassadeur américain et représentant spécial pour l'engagement syrien sous l'administration Trump, a décrit Hayat Tahrir al-Sham (HTS) comme " un atout" pour la stratégie américaine à Idlib.
Le nouveau visage de Hayat Tahrir al-Sham HTS s'est imposé malgré des rapports accablants sur la torture et les violations des droits de l'homme, le groupe ayant même attaqué des journalistes à Idlib favorables à sa cause. Un rapport des Nations unies de 2020 a encore obscurci le tableau, notant que chaque faction majeure en Syrie, y compris HTS, s'est appuyée sur des enfants-soldats pour grossir ses rangs.
Alors que les États-Unis se distancient publiquement de toute implication directe dans la dernière escalade en Syrie, la réalité est plus complexe. En soutenant ouvertement des groupes officiellement désignés comme organisations terroristes, ils s'exposent à de sérieux désagréments que Washington préfèrerait éviter.
* Robert Inlakesh est un analyste politique, un journaliste et un réalisateur de documentaires actuellement basé à Londres, au Royaume-Uni. Il a vécu et réalisé des reportages dans les territoires palestiniens occupés et anime l'émission « Palestine Files ». Réalisateur de « Steal of the Century : La catastrophe Palestine-Israël de Trump'. Suivez-le sur Twitter @falasteen47