Vijay Prashad
Dimanche 8 décembre, après plus d'une semaine de combats intenses entre le gouvernement syrien et le groupe terroriste Hay'at Tahrir al-Sham (HTS) et ses factions alliées, qui ont pris le contrôle de villes clés du pays, le président syrien Bachar al-Assad a quitté la Syrie. La nouvelle a été annoncée par le ministère russe des Affaires étrangères, qui a également indiqué qu'avec sa démission, al-Assad a demandé à son Premier ministre de rester à la tête de l'État pour superviser une transition pacifique du pouvoir vers les forces de l'opposition.
Cette affaire prend lieu 14 mois après le début du génocide israélien à Gaza et quelques semaines après la signature d'un accord de cessez-le-feu avec le Hezbollah. Vous trouverez ci-dessous les réflexions de Vijay Prashad sur cette prise de contrôle et les éléments clés permettant de la comprendre.
1. L'État syrien a été dévasté par la guerre, puis par les sanctions imposées au pays par les États-Unis et leurs alliés. L'armée arabe syrienne (l'armée officielle de l'État) ne s'est jamais complètement remise des combats majeurs et a été incapable de reprendre les principales villes de Hama, Homs et Alep.
2. Les bombardements israéliens contre des installations militaires syriennes ont affaibli les capacités logistiques et militaires des forces armées syriennes. Ces attaques ont été prolongées et douloureuses pour les forces armées syriennes.
3. L'invasion israélienne du Liban et l'assassinat du chef du Hezbollah Sayyed Hassan Nasrallah ont affaibli la capacité du Hezbollah à opérer même dans le sud du Liban, ce qui a forcé le récent accord de « cessez-le-feu » avec Israël. Cela a démontré que le Hezbollah n'était pas en mesure de pénétrer à nouveau en Syrie pour défendre le gouvernement syrien contre toute incursion armée sur la route reliant Hama à Damas (autoroute M5).
4. Les attaques contre les dépôts d'approvisionnement et les installations militaires iraniens en Syrie ainsi que les attaques d'Israël contre l'Iran ont empêché tout renforcement des forces iraniennes pour défendre le gouvernement syrien. L'affaiblissement du Hezbollah a également affaibli le rôle de l'Iran dans la région.
5. Les près de trois années de conflit en Ukraine ont certainement privé la Syrie de la possibilité de faire appel à une assistance russe supplémentaire pour la protection de Damas ou de la base navale russe de Lattaquié.
6. Le gouvernement syrien ne pouvait donc plus compter sur ses alliés militaires iraniens et russes pour l'aider à combattre les rebelles renforcés.
7. Hayat Tahrir al-Sham, formé en 2017 à partir de formations d'Al-Qaïda, a rassemblé diverses forces militaires de la Turquie aux Ouïghours - avec un grand nombre d'autres combattants influencés par Al-Qaïda - et a renforcé ses forces à Idlib au cours de la dernière décennie. HTS a reçu l'aide et le soutien de la Turquie, mais aussi secrètement d'Israël (cette information m'a été communiquée par un haut responsable du renseignement turc).
8. Que fera le nouveau gouvernement dirigé par HTS à l'égard des nombreuses minorités sociales en Syrie ? Que fera le nouveau gouvernement dirigé par HTS à l'égard du plateau du Golan et d'Israël ? Comment le nouveau gouvernement HTS réagira-t-il à l'incursion militaire israélienne à Quneitra ?
9. Cette histoire n'est pas encore terminée. Il y aura encore beaucoup de troubles dans le pays, menés par l'EI (État islamique) et les groupes kurdes du nord; des groupes soutenus par la Turquie combattent déjà les forces kurdes du YPG (Unités de défense du peuple) et du PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan) à Manbij ; les forces américaines sont déjà dans l'est de la Syrie, où elles affirment qu'elles resteront comme tampon contre l'EI (et garderont donc le contrôle du pétrole); Israël a également annoncé qu'il avait pris le contrôle de la zone tampon du Golan. Il y aura des tensions entre les gouvernements turc et américain concernant ce que le nouveau gouvernement dirigé par HTS doit faire, ou ne pas faire.
10. J'espère vivement que les déclarations d'Abou Mohammed al-Jolani, selon lesquelles le châtiment ne doit pas être la nouvelle culture, se réaliseront. La véritable crainte concerne le traitement des populations minoritaires. On ne sait pas encore si les milices irakiennes entreront en Syrie. Cela dépend en grande partie de ce qui arrivera à des endroits comme le sanctuaire de Sayyida Zaynab à Damas.
Source: Peoples Dispatch