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Une nouvelle carte géopolitique se dessine - La fin de la Syrie (et de la Palestine, pour l'instant)

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Par Alastair Crooke, le 16 décembre 2024

La Syrie a basculé dans l'abîme - les démons d'Al-Qaïda, de l'État islamique et des éléments les plus radicaux des Frères musulmans tournoient dans le ciel. On y trouve chaos, pillage, terreur, et une terrible ardeur de vengeance brûle les esprits. Les exécutions de rue sont désormais légion.

Peut-être que Hayat Tahrir Al-Sham (HTS) et son chef, Al-Joulani, (suivant la consigne turque), ont cru contrôler les choses. Mais HTS n'est qu'un simple symbole, comme Al-Qaida, l'État islamique et An-Nusra, et ses factions ont déjà sombré dans des luttes intestines. L'"État" syrien s'est dissous au cœur de la nuit. La police et l'armée sont rentrées dans leurs foyers, laissant les dépôts d'armes à la disposition des Shebab qui les ont pillés. Les portes des prisons ont été ouvertes (ou forcées). Certains étaient sans doute des prisonniers politiques, mais beaucoup ne l'étaient pas. Certains des détenus les plus dangereux errent désormais dans les rues.

En quelques jours, Israël a totalement éviscéré l'infrastructure de défense de l'État en effectuant plus de 450 frappes aériennes : défenses anti-missiles, hélicoptères et avions de l'armée de l'air syrienne, marine et arsenal, tous détruits au cours de la "plus grande opération aérienne de l'histoire d'Israël".

La Syrie n'existe plus en tant qu'entité géopolitique. À l'est, les forces kurdes (avec le soutien militaire des États-Unis) s'emparent des ressources pétrolières et agricoles de l'ancien État. Les troupes d'Erdogan et ses mandataires tentent d'écraser complètement l'enclave kurde (bien que les États-Unis aient maintenant négocié une sorte de cessez-le-feu). Dans le sud-ouest, les chars israéliens se sont emparés du Golan et des terres situées au-delà, à moins de 20 km de Damas. En 2015, le magazine The Economist écrivait : "L'or noir du Golan : les géologues en Israël pensent avoir trouvé du pétrole - sur un territoire très difficile". Les exploitants pétroliers israéliens et américains pensent avoir découvert une mine d'or dans ce site des plus complexes.

Et un obstacle de taille - la Syrie - aux ambitions énergétiques de l'Occident vient de disparaître.

Pour Israël, l'équilibre politique stratégique que représentait la Syrie depuis 1948 s'est évaporé. Et l'"apaisement des tensions" antérieur entre la sphère sunnite et l'Iran a été perturbé par l'intervention brutale des relookés de l'État islamique, et par le revanchisme ottoman qui œuvre avec Israël, par le biais d'intermédiaires américains (et britanniques). Les Turcs ne se sont jamais vraiment réconciliés avec le traité de 1923 qui a conclu la Première Guerre mondiale, par lequel ils ont cédé ce qui est aujourd'hui le nord de la Syrie au nouvel État syrien.

En quelques jours, la Syrie a été démembrée, partitionnée et balkanisée. Voilà pourquoi Israël et la Turquie continuent de bombarder. Les bombardements ont commencé dès le départ de Bachar Al-Assad - parce que la Turquie et Israël craignent que les conquérants d'aujourd'hui ne s'avèrent éphémères, et ne soient eux-mêmes bientôt déplacés. Pour contrôler quelque chose, il n'est pas nécessaire de le posséder. Israël et la Turquie, en tant qu'États puissants dans la région, souhaitent exercer un contrôle non seulement sur les ressources, mais aussi sur le carrefour régional vital et le lieu de passage que constituait la Syrie.

Toutefois, le "Grand Israël" risque inévitablement, à un moment ou un autre, de se heurter au revanchisme ottoman d'Erdogan. De même, le front saoudo-égypto-émirati ne verra pas d'un très bon œil la résurgence des nouvelles bannières de l'État islamique, ni celle des Frères musulmans d'inspiration turque et ottomane. Ces derniers représentent une  menace immédiate pour la Jordanie, qui borde la nouvelle entité révolutionnaire.

Ces préoccupations pourraient pousser les États du Golfe à se rapprocher de l'Iran. Le Qatar, qui fournit des armes  et des fonds au cartel HTS, pourrait se voir à nouveau ostracisé par les autres dirigeants du Golfe.

La nouvelle donne géopolitique pose de nombreuses questions concrètes sur l'Iran, la Russie, la Chine et les BRICS. La Russie a joué un rôle complexe au Moyen-Orient : elle a d'une part mené une guerre défensive de plus en plus intense contre les puissances de l'OTAN et géré des intérêts énergétiques clés, tout en essayant d'autre part de modérer les opérations de la Résistance vis-à-vis d'Israël afin d'éviter que les relations avec les États-Unis ne se détériorent totalement. Moscou espère - sans grande conviction - qu'un dialogue avec le nouveau président américain pourrait voir le jour, à un moment ou à un autre.

Moscou en tirera probablement la conclusion que les "accords" de cessez-le-feu tels que l'accord d'Astana sur le confinement des djihadistes dans les limites de la zone autonome d'Idlib en Syrie ne valent pas le papier sur lequel ils ont été écrits. La Turquie, garante de l'accord d'Astana, a poignardé Moscou dans le dos. Il est probable que ce revers incitera les dirigeants russes à durcir le ton à l'égard de l'Ukraine et de tout discours occidental sur le cessez-le-feu.

Le 11 décembre, le guide suprême iranien  s'est exprimé en ces termes :

"Il ne fait aucun doute que ce qui s'est passé en Syrie s'est tramé dans les salles de commandement des États-Unis et d'Israël. Nous en avons la preuve. L'un des pays voisins de la Syrie a également joué un rôle, mais les principaux planificateurs sont les États-Unis et le régime sioniste".

À cet égard, l'ayatollah Khamenei a réfuté les spéculations sur un quelconque relâchement de la volonté de résistance.

La victoire par procuration de la Turquie en Syrie pourrait néanmoins s'avérer être une victoire à la Pyrrhus. Le ministre des Affaires étrangères d'Erdogan, Hakan Fidan, a menti à la Russie, aux États du Golfe et à l'Iran sur la nature de ce qui se tramait en Syrie. Mais c'est Erdogan qui est à l'origine de ce gâchis. Ceux qu'il a doublés, à un moment ou à un autre, vont chercher à se venger.

L'Iran, semble-t-il, reviendra à sa position antérieure, qui consiste à rassembler les fils disparates de la Résistance régionale pour lutter contre la réincarnation d'Al-Qaida. Il ne tournera pas le dos à la Chine, ni au projet des BRICS. L'Irak - se souvenant des atrocités commises par l'État islamique lors de sa guerre civile - se joindra à l'Iran, tout comme le Yémen. L'Iran est conscient que les noyaux résiduels de l'ancienne armée syrienne pourraient bien, à un moment ou à un autre, entrer en lutte contre le cartel HTS. Maher Al-Assad a emmené toute sa division blindée en exil en Irak la nuit du départ de son frère Bachar.

La Chine ne va pas apprécier les événements en cours en Syrie. Les Ouïghours ont joué un rôle prépondérant dans le soulèvement en Syrie (on peut estimer à 30 000 le nombre d'Ouïghours à Idlib, entraînés par la Turquie qui considère les Ouïghours comme la composante originelle de la nation turque). La Chine aussi va probablement voir dans le renversement de la Syrie un rappel des menaces occidentales putatives sur leurs propres axes de sécurité énergétique qui passent par l'Iran, l'Arabie saoudite et l'Irak.

Enfin, les intérêts occidentaux sont en compétition pour les ressources du Moyen-Orient depuis des siècles - et c'est finalement ce qui explique la guerre d'aujourd'hui.

Est-il, ou n'est-il pas, favorable à la guerre, demande-t-on à propos de Trump, puisqu'il a déjà signalé que la domination énergétique serait une stratégie clé de son administration.

Les pays occidentaux sont très endettés, leur marge de manœuvre budgétaire se réduit rapidement et les détenteurs d'obligations commencent à se rebiffer. On peut parler d'une course aux garanties pour les monnaies fiduciaires. Autrefois, c'était l'or. À partir des années 1970, c'était le pétrole, mais le pétrodollar s'est effondré. Les Anglo-Américains aimeraient bien récupérer le pétrole iranien - comme ils l'ont fait jusque dans les années 1970 - pour garantir et construire un nouveau système monétaire lié à la valeur réelle des matières premières.

Mais Trump dit qu'il veut "mettre fin aux guerres", et non les commencer. Le redécoupage de la carte géopolitique augmente-t-il, ou diminue-t-il, la probabilité d'une entente mondiale entre l'Est et l'Ouest ?

Malgré toutes les rumeurs sur d'éventuels "accords" de Trump avec l'Iran et la Russie, il est sans doute trop tôt pour dire s'ils vont - ou s'ils peuvent - se concrétiser.

Il semblerait que Trump va d'abord devoir conclure un "accord" national avant de savoir s'il peut conclure des accords en matière de politique étrangère.

Les structures dirigeantes (notamment le concept "Plus-jamais-Trump" au Sénat) laisseront à Trump une latitude considérable pour les nominations clés dans les ministères et agences nationaux qui gèrent les questions politiques et économiques des États-Unis (ce qui est la principale préoccupation de Trump) - et permettront également une certaine latitude sur, disons, les ministères de "guerre" qui ont ciblé Trump ces dernières années, tels que le FBI et le ministère de la Justice.

Le "deal" potentiel pourrait impliquer que les nominations doivent être confirmées par le Sénat et être conformes à la politique étrangère inter-agences (notamment concernant Israël).

Les têtes de l'inter-agence insisteront cependant sur leur droit de veto concernant les nominations affectant les structures les plus profondes de la politique étrangère. Et c'est là que réside le nœud du problème.

Les Israéliens célèbrent abondamment leurs "victoires". Les élites économiques américaines seront-elles sensibles à cette euphorie ? Le Hezbollah est contenu, la Syrie est démilitarisée et l'Iran n'est pas aux frontières d'Israël. La menace qui pèse aujourd'hui sur Israël est d'un ordre qualitativement inférieur. Cela suffira-t-il en soi pour que les tensions s'apaisent ou pour voir émerger une vision plus claire des choses ? Tout dépendra de la situation politique de Netanyahu. Si le Premier ministre sort relativement indemne de son procès pénal, devra-t-il s'engager le grand "pari" d'une opération militaire contre l'Iran, alors que le paysage géopolitique s'est si soudainement transformé ?

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