Les nominations de Trump ouvrent la voie aux entreprises afins de permettre à celles-ci de faire fi des citoyens américains sur fond de dérégulations rampantes.
Source : Truthout, Sam Rosenthal
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises
Au cours des deux dernières semaines, le président élu Donald Trump a dévoilé les noms de ceux qu'il espère voir travailler dans les principales agences fédérales de sa future administration. Alors que la première administration de Trump était dirigée par un mélange d'initiés de longue date de Washington et de choix moins traditionnels pour des postes ministériels, Trump semble prêt, cette fois-ci, à rompre complètement avec la sagesse conventionnelle. La liste des candidats à sa deuxième administration comprend des personnes issues de différentes sphères de la vie publique, mais ses choix ont tous deux qualités principales en commun : ils ont témoigné une loyauté totale envers Trump et ils partagent l'objectif de ce dernier de saper complètement les fonctions de réglementation et de contrôle du gouvernement fédéral.
Cette philosophie n'est nulle part mieux incarnée que dans la proposition de Trump de créer une nouvelle agence fédérale, le Department of Government Efficient [le département de l'efficacité gouvernemental, NdT] (DOGE), dirigé par le milliardaire Elon Musk et le quasi-milliardaire (et ancien candidat républicain à la présidence) Vivek Ramaswamy. Derrière le nom ridicule de l'agence, qui est un clin d'œil à la crypto-monnaie préférée d'Elon Musk, se cache une philosophie de la terre brûlée visant à réduire à néant de vastes pans de l'administration fédérale.
La promesse de Trump est de « restructurer les agences fédérales », un message de mauvais augure de la part d'un président en devenir qui exprime depuis longtemps son désir de contractualiser un grand nombre de fonctionnaires, afin qu'il soit plus facile de les licencier. Prises conjointement, ces mesures montrent clairement que Trump, assisté de Musk et de Ramaswamy, a l'intention de modifier radicalement les dimensions et le champ d'action de la bureaucratie fédérale.
En pratique, cela pourrait annoncer des réductions massives de l'appareil réglementaire du gouvernement fédéral, ce qui permettrait à des gens comme Musk et Ramaswamy (qui était un entrepreneur pharmaceutique avant de s'engager en politique) de gérer leurs entreprises sans se soucier des contrôles du gouvernement. Si c'est effectivement l'idée maîtresse de la politique du DOGE, cela confirmerait la tendance de la première administration Trump à favoriser les politiques favorables aux grandes entreprises tout en se contentant d'un intérêt de pure forme pour les préoccupations de la classe ouvrière. Ces politiques s'aligneraient également sur la feuille de route exposée dans le Projet 2025, qui est le grand manuel de la « Fondation Heritage » pour l'élaboration de politiques de droite, dont les architectes sont étroitement alliés à Trump, mais dont ce dernier a stratégiquement cherché à se distancer pendant la campagne.
La décision de Trump de nommer Robert F. Kennedy Jr., le candidat tiers à la présidence qui a abandonné la course pour le soutenir, à la tête du ministère de la santé et des services sociaux est sans doute aussi surprenante que sa salve sur le DOGE. Au début de sa carrière, Kennedy s'est forgé une réputation d'avocat progressiste spécialisé dans les causes environnementales, mais il s'est fait connaître plus récemment pour son scepticisme marqué à l'égard des vaccins. La croisade anti-vax de Kennedy a déjà eu des conséquences terribles, notamment sur l'île de Samoa, où Kennedy a contribué à diffuser de fausses informations sur les vaccins. En 2019, une épidémie de rougeole y a tué 83 personnes, dont de nombreux enfants. Si Kennedy est autorisé à étendre sa désinformation sur les vaccins à l'échelle nationale, cela pourrait avoir des conséquences terribles dans d'importants endroits du pays.
Kennedy, qui n'a aucune formation en médecine ou en santé publique, a déjà fait une série de promesses qui ont alarmé la communauté médicale. Le ministère de la santé, par l'intermédiaire de la Food and Drug Administration [Administration pour l'Alimentation et la Santé, NdT] (FDA), supervise l'approbation des nouveaux médicaments et vaccins, une compétence de l'agence que Kennedy a spécifiquement ciblée. Dans le cadre d'un groupe qu'il a fondé, le Children's Health Defense (défense de la santé des enfants), il a tenté d'empêcher la FDA d'approuver le vaccin COVID-19 de Pfizer. Kennedy a également accusé la FDA de supprimer les preuves de l'efficacité de traitements médicaux pseudo-scientifiques tels que le lait cru et les cellules souches. Le mépris évident de Kennedy pour les réglementations de la FDA pourrait aboutir à un démantèlement complet de ce département s'il prend les rênes du ministère de la santé et des services sociaux comme cela est prévu.
Les attaques de Kennedy contre les entreprises pharmaceutiques l'ont cependant mis en porte-à-faux avec certaines des plus grandes industries des États-Unis. S'ils se réalisent, de nombreux objectifs politiques de Trump entraîneront certainement des profits records pour les entreprises, tandis que l'attitude antipharmaceutique de Kennedy a déjà eu un impact sur ce secteur. Si Trump n'est pas en capacité de gérer les tensions entre l'une des personnes qu'il a nommées et le monde de l'entreprise, Kennedy, malgré sa loyauté affichée à l'égard de Trump, pourrait être amené à quitter prématurément la deuxième administration de Trump.
Kristi Noem, gouverneure du Dakota du Sud, est une autre personnalité politique qui récolte les fruits de son soutien de longue date à Trump. Noem, qui a été considérée comme l'une des principales candidates à la succession de Trump, a été nommée à la tête du ministère de la sécurité intérieure. Si elle venait à être confirmée en tant que ministre de la sécurité intérieure, elle aurait à jouer un rôle majeur en mettant en oeuvre la promesse de campagne de Trump de déporter des millions d'immigrés illégaux résidant aux Etats-Unis. Elle travaillera en étroite collaboration avec Stephen Miller et Tom Homan, deux hauts responsables de Trump, tous deux partisans d'une politique d'immigration extrême. L'un d'entre eux est à l'origine de la pratique controversée et cruelle de la séparation des familles, qui a défini la politique d'immigration de Trump au cours de son premier mandat.
Noem a affirmé son approche libérale en ignorant de manière flagrante les réglementations COVID-19 lorsqu'elle était gouverneure du Dakota du Sud. Elle n'a pas d'expérience en matière de sécurité des frontières, ni d'expérience notable de travail avec les immigrés. En fait, seuls 4 % de la population du Dakota du Sud sont des immigrés - l'État se classe en queue de peloton de tous les États américains en termes de pourcentage et de nombre réel d'immigrés qui y vivent. La nomination de Mme Noem semble donc reposer principalement sur une qualité que le nouveau président a récompensée à maintes reprises : sa fidélité à Trump.
Noem est restée proche de Trump pendant ses quatre années d'exil de la présidence, principalement grâce à ses liens - que la rumeur dit à la fois romantiques et professionnels - avec l'ancien conseiller de Trump, Corey Lewandowski. Noem a été une fervente partisane de Trump lors de sa deuxième campagne présidentielle, et il semble que sa loyauté sans faille porte aujourd'hui ses fruits. Noem a apporté un soutien sans faille à la rhétorique de Trump en matière d'immigration et, avec d'autres gouverneurs républicains, elle a envoyé des troupes au Texas pour tenter de décourager l'immigration à la frontière sud. Noem constitue une fidèle acolyte de Trump pour ce rôle. Avec elle, ainsi qu'avec Miller et Homan, il est peu probable que Trump rencontre une grande résistance s'il décide de mettre en œuvre son plan de déportation massive à une échelle jusqu'ici inédite dans l'histoire des États-Unis.
Et puis, bien sûr, il y a la nomination par Trump de l'ancien membre volatile du Congrès, Matt Gaetz, au poste de procureur général. La nomination de Gaetz a suscité un profond désaccord, essentiellement parce qu'il a récemment fait l'objet d'une enquête à la suite d'allégations selon lesquelles il aurait violé les lois sur le trafic sexuel. Comme l'a rapporté l'Associated Press, les accusations faisant l'objet d'une enquête portent sur le fait que « Gaetz et son ancien allié politique Joel Greenberg auraient payé des mineures et des escortes ou leur auraient offert des cadeaux en échange de faveurs sexuelles. »
Les membres du comité d'éthique de la Chambre des représentants, qui enquêtaient sur Gaetz avant qu'il ne démissionne brusquement du Congrès, sont actuellement en débat sur la question de savoir s'ils doivent publier ou non le rapport qu'ils ont compilé. Ce rapport contiendrait des détails accablants concernant les relations sexuelles de Gaetz avec une mineure.
Gaetz est un politicien de carrière issu d'une famille politique. Il n'a passé le barreau que quelques années avant d'être élu pour la première fois à une fonction officielle. Les procureurs généraux sont généralement des membres de la profession juridique qui ont des dizaines d'années d'expérience ; même les personnes nommées par Trump à ce poste au cours de son premier mandat répondaient à ce critère. Cette fois-ci, Trump n'a pas caché son désir de vider le ministère de la justice de sa substance, qu'il accuse d'être devenu politisé et partisan à son encontre et à celle de ses alliés. Gaetz, un loyaliste avoué de Trump, semble être la personne que ce dernier considère comme la plus apte à appliquer la pratique de la terre brûlée qu'il souhaite pour le ministère de la Justice.
Outre ces nominations controversées et incongrues à des postes de son administration, Trump a également nommé un groupe d'institutionnalistes comparativement plus conventionnels, qui attirent moins l'attention, mais qui sont tout aussi déterminés à démanteler la capacité réglementaire du gouvernement fédéral.
Par exemple, Trump a nommé Chris Wright, PDG de Liberty Energy, à la tête du ministère de l'énergie. Wright est un partisan de la ligne dure en matière de combustibles fossiles, qui a nié la réalité du changement climatique et qui a été loué par certains républicains pour avoir « [posé] les bases du développement de la fracturation en Amérique ». Liberty Energy se spécialise sur la fracturation aux États-Unis et en Amérique du Nord et bénéficierait certainement d'un recul de certaines des modestes réglementations en matière de forage mises en place sous la présidence de Joe Biden. Dans une déclaration révélant son choix pour le poste de secrétaire à l'énergie, Trump a laissé entrevoir le rôle de Wright pour « réduire la bureaucratie », ce qui sera très certainement l'objectif de son mandat au ministère de l'énergie : supprimer et vider de leur substance toutes les réglementations considérées comme un obstacle à la production sans entrave de combustibles fossiles sur le sol américain.
Entre-temps, Trump a nommé Doug Burgum, le gouverneur du Dakota du Nord qui s'était déjà présenté contre lui lors de la primaire présidentielle républicaine, à la tête du ministère de l'intérieur. À ce poste, Burgum supervisera la gestion des terres publiques, ce qui lui permettra de jouer un rôle complémentaire dans les efforts déployés par Wright pour ouvrir les terres publiques aux forages pétroliers et gaziers. Burgum est un autre milliardaire nommé au cabinet de Trump qui a fait fortune en tant qu'entrepreneur dans la tech avant de se lancer en politique. Il s'oppose à la réduction des forages pétroliers et gaziers sur les terres publiques proposée par Biden et a été un ardent promoteur des combustibles fossiles, en particulier en tant que gouverneur d'un État où le forage pétrolier est une industrie majeure.
Ensemble, Wright et Burgum pourraient déclencher une vague de forages domestiques, accélérant une tendance qui s'est déjà accrue sous la présidence de Biden. Avec le soutien enthousiaste de Trump, son administration pourrait superviser une évolution vers une dépendance encore plus grande à l'égard des combustibles fossiles pour les besoins énergétiques nationaux. Les États-Unis sont déjà en passe de manquer leur objectif de réduction des émissions dans le cadre de l'accord de Paris sur le climat - un accord que Trump quittera probablement à nouveau, comme il l'a fait lors de son premier mandat - et un nouvel accent mis sur la production de combustibles fossiles mettrait les États-Unis sur la voie d'un dépassement flagrant des objectifs de réduction des émissions, même les plus modestes.
Comme toujours, une confirmation du Sénat est nécessaire avant que quiconque puisse officiellement faire partie de l'administration. Certains sénateurs républicains ont déjà exprimé des doutes sur un certain nombre de ces candidats, et il est possible que tous ne finissent pas par trouver une place à la Maison Blanche de Trump. Gaetz, en particulier, emprunte un chemin escarpé vers sa nomination, en raison du scepticisme qui règne au sein de son propre parti. Cependant, quel que soit le candidat qui occupera ces postes, ce que Trump a l'intention de faire au cours de son second mandat est déjà clair : réduire fondamentalement la capacité du gouvernement fédéral à réglementer les entreprises, tout en étendant simultanément son contrôle sur la vie des travailleurs.
*
Sam Rosenthal est le directeur politique de RootsAction et fait partie du comité électoral national des Socialistes démocrates d'Amérique. Il était auparavant collaborateur de Our Revolution et vit à Washington, D.C.
Source : Truthout, Sam Rosenthal, 18-11-2024
Traduit par les lecteurs du site Les-Crises